"Jésus, Sauveur, nous t'acclamons, et dans nos cœurs nous t'adorons! A toi la gloire, à toi l'honneur, A toi le règne, ô grand vainqueur !" (Psaume et Cantiques 302, 1) avons-nous chanté, il y a quelques instants.
Frères et sœurs, le Jour des Rameaux, Jésus fait une entrée triomphale dans Jérusalem; Il est reconnu comme roi et acclamé comme tel. Certes, il est monté sur un âne en lieu et place d'un cheval ou d'un char d'apparat. Mais pour la foule massée le long du chemin, c'est le digne descendant de l'illustre roi David qu'elle acclame. Certes, Jésus est entouré, en guise de garde d'honneur, par son équipe de disciples en lieu et place de soldats aux tenues rutilantes. Mais les vêtements déposés à même le sol en guise de tapis rouge et les branches d'olivier agitées par la foule en liesse saluent le Messie annoncé jadis par les prophètes et en particulier Zacharie, dont Jésus accomplit la prophétie en entrant dans la ville juché sur une ânesse, accompagnée de son petit (Zacharie 9, 9). Son heure est venue car les temps sont accomplis. Sa gloire peut se manifester.
C'est un roi humble qui s'approche de la ville. Son humilité est symbolisée par la monture qui le porte et la simplicité des disciples qui l'entourent. C'est un roi humble qui pénètre dans Jérusalem, car Jésus sait qu'il va dans la Cité de David pour y mourir. Sur le moment même, la foule et les disciples ne saisissent pas la signification de ces symboles. Foule et disciples attendaient un successeur au grand roi David. Ils l'ont trouvé et ils l'acclament. Cette apothéose deviendra très vite une source de malentendus entre Jésus, les disciples et les habitants de Jérusalem.
Frères et sœurs, le triomphalisme de la foule le Jour des Rameaux, comme les paroles de certains de nos cantiques, nous conduisent à nous demander ce matin, quelle est notre image de Dieu ? Ne sommes-nous pas habités dans notre esprit par l'image d'un Dieu majestueux, Tout-Puissant, se manifestant dans Sa gloire ? N'imaginons-nous pas un Jésus réglant rapidement - et j'ajouterais, comme à coups de baguette magique - des situations qui nous sont difficiles ou douloureuses ? Ne rêvons-nous pas parfois d'un Dieu qui nous épargnerait les vicissitudes inhérentes à notre condition humaine ? Ne désirons-nous pas un Dieu qui nous raccourcirait les chemins rocailleux que nous devons parfois parcourir ? Rêve humain légitime !
Mais voilà, les Évangiles, nous rappellent que Jésus est venu dans l'humilité. C'est une de ses vertus. Elle le différencie des autres rois. Jésus est Roi, mais il n'est pas un roi comme les autres. Et si la foule enthousiaste hurle au bord de la route : "Gloire au Fils de David ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur ! Gloire à Dieu dans les cieux !" (Matthieu 21, 9), c'est une gloire faite de dépouillement, de don de soi, de souffrance qui attend Jésus dans les jours à venir. Sa gloire sera manifestée au travers d'un chemin d'humilité.
Frères et sœurs, l'humilité du Seigneur nous invite à revoir nos images de Dieu. Il s'approche de nous d'abord dans son humanité et c'est pourquoi Il s'est incarné en Jésus. Et Jésus est proche de cette foule qui l'acclame. Il sait l'écouter, la comprendre, partager ses préoccupations. Sur la route de Jérusalem, n'a-t-il pas guéri les aveugles de Jéricho ? N'a-t-il pas ressuscité Lazare ? N'a-t-il pas donné un enseignement qui touche le cœur des gens ? Et si Jésus est acclamé, sa personnalité soulève des interrogations parmi les habitants de la ville. "Qui est cet homme ?" (Matthieu 21, 10), demandent certains. "C'est le prophète, Jésus de Nazareth en Galilée" (Matthieu 21, 11), répondent d'autres.
Dieu manifeste son humanité au travers de l'humilité de Jésus, disais-je il y a quelques instants. Cette humilité ne l'empêche pas d'être ferme quand cela est nécessaire. Et le Jour des Rameaux Jésus manifeste sa fermeté lorsqu'il arrive dans le Temple. Il ne peut tolérer la présence des changeurs d'argent et des marchands. Ils ont transformé la cour de ce lieu sacré en un vaste bazar où, sous prétexte de religion, se négocie un commerce douteux. A d'autres occasions, Jésus a déjà certainement été au contact des marchands. Mais ce jour-là, l'heure étant venue pour Jésus de révéler Sa gloire, il fait preuve de fermeté. Il renverse les tables et les chaises des changeurs et des vendeurs et les renvoie avec ces paroles très dures : "Les Ecritures déclarent : Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs !" (Matthieu 21, 13).
L'humilité de Jésus n'est pas synonyme de laxisme. En agissant ainsi, le Seigneur indique clairement aux marchands comme aux témoins de la scène qu'une limite a été dépassée. On ne fait pas n'importe quoi avec la maison de Dieu. Autrement dit, la foi n'est pas une peinture de camouflage chargée de masquer nos combines intéressées. La Loi du Lévitique définissait les relations économiques et visait à sauvegarder I'équité et la justice. Manifestement, les marchands avaient pris quelques libertés avec elle et cette Loi était devenue dans son application l'occasion de spolier le prochain. C'est pourquoi Jésus réagit avec fermeté pour leur dire : "C'est assez !". Vous avez dépassé la limite. Le Temple n'est plus une Maison où mon Père est adoré et glorifié. Il doit le redevenir. Et ce jugement de Jésus, par delà les marchands, atteint les prêtres qui tolèrent ce trafic.
Cette fermeté de Jésus nous invite aujourd'hui, frères et sœurs, à réfléchir aux choix que nous faisons en tant que chrétiens ou chrétiennes. Sa fermeté nous interpelle quant aux attitudes que nous avons dans notre vie de tous les jours; de même quant aux déclarations que nous faisons en tant qu'église.
Il y a peut-être des limites que nous dépassons pour lesquelles le Seigneur nous dirait aujourd'hui, comme aux marchands du Temple hier, "Stop, c'est assez ! Changez de cap car il y va du crédit de la foi et de l'espérance que vous proclamez."
Si l'humilité de Jésus souligne son humanité, sa fermeté révèle sa divinité. C'est parce qu'Il détient Son Autorité de Dieu que Jésus agit ainsi. L'amour du prochain n'empêche pas la fermeté du Seigneur à son égard lorsque celui-ci est dans l'erreur. L 'humilité et la fermeté de Jésus lui permettent d'avoir un cœur ouvert à la compassion. Et l'Évangile de Matthieu souligne comment s'est terminée cette entrée royale du Seigneur à Jérusalem. Après avoir chassé les vendeurs du Temple, nous lisons au verset 14 du chapitre 21, ces mots qui en disent long sur l'amour de Jésus pour nous, les humains : "Des aveugles et des boiteux s'approchèrent de Jésus dans le Temple et il les guérit." (Matthieu 21, 14).
Le Jour des Rameaux, Jésus est intronisé roi. S'il entre dans Jérusalem, entouré par ses disciples et acclamé par la foule, Jésus, lui, exprime sa compassion. Il s'approche de chacun pour être à son écoute et partager ses préoccupations. Les aveugles et les boiteux du Temple l'ont compris avant les autres. Ils vont à la rencontre de Jésus et Jésus va à leur rencontre. Et la compassion du Seigneur leur rend leur dignité. L'espace de quelques instants, Jésus s'est fait compagnon de ces hommes et de ces femmes. De même ce matin, Jésus a un regard de compassion pour nous. Par Son Esprit et Sa mystérieuse présence, Il se fait compagnon de nos vies. Que nous soyons cloués sur un lit d'hôpital ou retenus dans notre chambre ou notre appartement par le grand âge ou la maladie; que nous soyons meurtris par le deuil, secoués par le doute ou les "pourquoi" sans réponse, que nous soyons des parents d'adolescents mis à mal par les crises de nos enfants, que nous soyons confinés à l'intérieur des murs d'une cellule parce que les circonstances de notre vie nous y ont conduits, ou au contraire que nous soyons au volant de notre voiture ou en train de marcher dans la nature, Jésus se fait compagnon de vie sur notre route et s'approche de nous avec humilité. Il est présent à nos côtés pour nous soutenir avec fermeté de Son bras fort et nous offrir Sa compassion.
L'humilité, la fermeté et la compassion du Seigneur, nous invitent en ce jour des Rameaux à réviser notre image de Dieu. Et dans cette semaine sainte qui s'ouvre devant nous et nous conduit à travers la Passion du Christ, de Vendredi-Saint à Pâques, puissions-nous redécouvrir une image de Dieu, moins triomphante et triomphaliste, mais plus proche de nos réalités existentielles ! Une image de Dieu qui nous ouvre à une communion renouvelée avec Lui et qui nous appelle à la Vie.
Nous pourrons dire alors avec le peuple de Jérusalem, "Gloire au Fils de David ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur I Gloire à Dieu dans les cieux !" (Matthieu 21, 9), car nous aurons accueilli Jésus et nous pourrons chanter de tout notre cœur : "Jésus, Sauveur, nous t'acclamons, et dans nos cœurs nous t'adorons !"
Amen !