Dieu a soif de nous

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C'est toujours la même soif. Une soif torride, lancinante, sans réponse... Une soif que Dieu seul peut comprendre, Lui, la source vive ! La mort approche et Jésus revoit sa vie, les moments décisifs, les heures charnières. Toujours cette soif, depuis le début: c'était à Sychar, quelque part en Samarie, sous un ciel sans nuage, dans la chaleur du plein midi. Il aurait pu puiser lui-même. Mais il avait demandé, et il y avait comme une imploration dans sa voix : "Donne-moi à boire !" Comme il avait soif des autres, des étrangers, des soi-disant ennemis, soif de communiquer, soif de comprendre et d'être compris, soif de parler de Dieu et d'entendre parler de Dieu ! Pour finir, personne n'avait puisé au puits de
Jacob ! La femme s'en était retournée au village, désaltérée au-delà de ce qu'elle aurait pu imaginer. Et lui, il n'avait ni bu ni mangé : sa soif et sa faim étaient autres. Les disciples, de retour de la ville avec des provisions, avaient été médusés par ses paroles : "Ma nourriture c'est de concrétiser le désir de Celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre !" Maintenant la mort approche et Jésus sait que l'œuvre est accomplie, mais c'est toujours la même soif.
Et il se souvient de la chambre haute. Il avait tant désiré manger la Pâque avec ses amis avant d'être arrêté ! C'était la dernière Pâque, la dernière fois qu'il boirait du fruit de la vigne jusqu'à ce que vienne le Règne de Dieu. Aucun pain ne pourrait jamais le rassasier, aucune boisson terrestre jamais le désaltérer. Il le savait ! Alors, puisque jamais sa soif des autres, sa soif du monde entier ne serait étanchée, il leur avait donné la coupe en disant : Buvez ! c'est la coupe de ma vie, une coupe de bénédiction : elle vous fera vivre et vous, vous n'aurez plus jamais soif. Vous vous souviendrez de moi, je serai en vous, et c'est comme si Dieu lui-même coulait dans vos veines, et vous ne serez plus seuls, jamais ! C'était le dernier repas; et il leur avait dit alors : "Cette Pâque, jamais plus je ne la mangerai, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le Royaume de Dieu." Maintenant la mort approche et Jésus sait que tout est achevé. Il sait que bientôt dans le Royaume tout proche, s'apaisera la soif de toute sa vie.
Alors il se souvient du Mont des Oliviers : une nuit opaque, hermétique, sans espoir. Il avait vu une coupe horrible s'approcher de ses lèvres, une coupe de haine et de violence, et il lui était demandé de boire ce breuvage d'amertume jusqu'à la dernière goutte ! Et ses amis dormaient. Ô comme il avait soif de leur présence, de leur chaleur, de leur amitié ! Comme il avait soif de comprendre et d'être compris ! Il avait cru, alors, que c'était au-dessus de ses forces : cette coupe... cette coupe... éloigne-la de moi, je t'en supplie! " Mais la soif était là, plus que jamais, cette soif que seul Dieu peut comprendre, Lui, la Source vive ! Alors, peu à peu, la coupe d'amertume s'était estompée et il n'avait plus vu que la coupe de bénédiction, celle qu'il venait de donner à boire à ses amis. Il avait compris alors que personne ne pourrait boire à la coupe qui fait vivre si lui-même refusait de boire à coupe de haine et de violence. Maintenant la mort approche et Jésus sait que tout est accompli, la coupe d'amertume et la coupe de bénédiction sont une seule et même coupe. Mais, pour lui, c'est toujours la soif, sans répit.

Alors lui revient cette confession qu'il leur a faite au moment où ils descendaient de la chambre haute. Pierre, avec son enthousiasme habituel, s'était déclaré prêt à le suivre jusqu'à la mort. Jésus leur avait alors avoué que lui, il lui fallait se prépare, qu'il n'était pas encore vraiment prêt à se laisser totalement assimiler aux ennemis, aux violents, aux malfaisants : "Je vous le dis, il faut que s'accomplisse en moi, à l'intérieur de moi, ce texte de l'Ecriture : on l'a compté parmi les criminels. C'est vrai, ce qui me concerne va être accompli." Il avait fallu Gethsémané, la nuit sans issue, pour que s'accomplisse en Jésus, au plus profond de son angoisse, l'acceptation de la coupe amère. Il n'y avait pas d'autre voie, pas d'autres issues : c'est jusque-là que la Parole de Dieu devait s'incarner si elle voulait un jour s'accomplir vraiment, parvenir à maturité. Jésus ne pouvait pas abandonner les ennemis, les violents, les malfaisants à leur nuit sans rémission. Il avait soif d'eux aussi, soif de leur délivrance, soif de leurs larmes et de leur amitié. Maintenant la mort approche et Jésus sait que tout est accompli, mais sa soif, à lui, est toujours là.
"Pour que l'Ecriture soit accomplie, Jésus dit : "J'ai soif". Il y avait là une cruche remplie de vinaigre, on fixa une éponge imbibée de vinaigre au bout d'une branche d'hysope et on l'approcha de sa bouche." Le vinaigre ne désaltère pas, même s'il s'agit du vin bon marché dont disposaient les soldats. De plus, une branche d'hysope ne mesurant pas plus d'un mètre, on voit mal comment l'éponge aurait pu parvenir jusqu'à la bouche de Jésus. Enfin, d'après les trois autres évangélistes, Jésus n'a pas demandé à. boire; on lui a présenté du vinaigre mais il n'en a pas bu.
Alors il semble bien que l'évangéliste Jean nous donne ici un témoignage unique et personnel : c'est d'une autre soif que Jésus souffrait. Il a eu désespérément soif, toute sa vie et jusqu'à son dernier souffle, soif du monde, soif des autres, soif de chacun-e d'entre nous. C'est ainsi qu'il a parachevé la Parole de Dieu : toute l'Ecriture parle de la soif de Dieu. La mort approche et Dieu nous dit encore, par la bouche de Jésus : j'ai soif de vous, j'ai besoin de chacun-e de vous, même du plus lâche, du plus malfaisant, du plus minable. J'ai besoin des criminels qui me crucifient, comme j'ai eu besoin de la Samaritaine, et des amis q,ui ont sombré dans l'inconscience, et de Judas qui m'a trahi, et de Pierre qui m'a renié. J'ai besoin de toi qui crois n'avoir absolument rien à me donner.
Ô donne-moi à boire, même si c'est une boisson de mauvaise qualité, même si Dieu seul désaltère pour l'éternité, Lui, la source vive, mais toi, donne-moi à boire ! Sinon, la Parole de Dieu reste en suspens, inachevée, inaccomplie. Donne-moi à boire ne serait-ce que ce vinaigre qui reste au fond de ta coupe d'amertume, donne-le-moi et je ne serai plus seul sur ma croix.
Donne-le-moi et notre amertume partagée deviendra coupe de bénédiction : je prendrai ton vinaigre et à cet instant de dénuement extrême, le souffle qui est en moi passera en toi et tu vivras; je te transmettrai le souffle et tu vivras parce que j'ai eu soif de toi et que tu m'as donné le peu que tu pouvais me donner.
"Dès qu'il eut pris le vinaigre, Jésus dit : "Tout est achevé" et inclinant la tête il transmit le souffle" ... il nous transmit le souffle.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sylvie Pagano (harmonium indien)
Musique
Delphine Duport-Butique, soprano