Marchez en le Seigneur Jésus-Christ

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Ecoutez, il faut que je vous raconte une aventure qui m'est arrivée récemment. Tout récemment même, puisque j'étais justement en train de préparer le culte et la prédication de ce matin.
Tout a commencé à cause d'un dessin. Non, ne le cherchez pas dans un musée, il ne se trouve exposé ni à Paris, ni à Martigny ni à Lausanne. Il s'agit en effet d'un dessin d'enfant. Une simple feuille de papier, des formes encore malhabiles, des couleurs vives. Un dessin comme chacun de nous en a fait quand il était haut comme trois pommes. Un dessin scotché peut-être sur les murs d'une chambre ou d'une cuisine, ou encore gardé précieusement parmi d'anciens cahiers d'école.
En le regardant, trois éléments m'ont - comme on dit - sauté au visage : un arbre, une maison, un chemin. L'arbre tout d'abord, élancé vers le ciel, et en même temps légèrement incliné. Etait-ce l'effet des tempêtes contre lesquelles il avait dû lutter ? Le signe qu'un vent léger le caressait de son souffle ? Ou encore voulait-il se rapprocher de la terre pour offrir ses fruits ? Difficile à dire. Peut-être tout cela en même temps. A côté de l'arbre, une maison, ouverte comme un sourire; une porte, deux fenêtres, un toit rouge, et une cheminée qui fume. Et puis, en dessous, un chemin. Avec des courbes, des passages étroits, mais aussi des places pour se croiser, se rencontrer. Ce chemin reliait l'arbre et la maison, et puis il continuait, en direction du bord, comme une invitation à la promenade, à la découverte.

Moi qui jusque-là ne lui avais accordé que des regards distraits, j'ai regardé longuement ce dessin. Et je me disais : quelle belle image de ce que chaque être humain, enfant ou adulte, porte dans son cœur. Un arbre, parce que chacun a besoin de grandir, de se tourner vers le ciel et de vivre au rythme des saisons, enraciné dans une terre qui le porte et le nourrit. Une maison, parce que chacun a besoin de se sentir protégé, abrité, en sécurité, pour pouvoir ouvrir sa porte aux autres. Un chemin, parce que chacun a besoin d'un horizon ouvert, de savoir qu'il a un avenir, et de sentir la liberté de découvrir, d'aller plus loin.
Chose étrange, et que je mis du temps à remarquer, il n'y avait pas de fond. Je veux dire, l'enfant n'avait pas colorié le sol. Les différents éléments se détachaient simplement sur le blanc de la feuille. Et pourtant on voyait bien qu'ils n'étaient pas " en l'air ", mais solidement enracinés, fondés, portés; par quelque chose qui était trop évident pour qu'on ait besoin de le dessiner. Comme s'il fallait être aveugle pour ne pas voir sur quoi reposaient l'arbre, la maison, le chemin. Et j'entendis alors avec un regard neuf, si j'ose dire, ces paroles qui me trottaient dans la tête : " Poursuivez donc votre route dans le Christ, Jésus le Seigneur... soyez enracinés et fondés en lui… "

J'en étais là, plongé dans mes réflexions, lorsque je sentis une main toucher mon épaule. Je me retournai, je levai les yeux; devant moi se tenait un homme, imposant, mystérieux. " Je vais te montrer la vérité, me dit-il. Je sais que tu te poses des questions, je vais te donner des réponses. " L'homme avait l'air si sûr de lui que je ne sus que répondre. Je l'avoue, j'étais impressionné. Je ne sais pas comment vous êtes. Mais moi, il m'arrive d'être inquiet. C'est vrai, je me pose des questions sur l'avenir, sur la vie, sur le monde, sur l'être humain, sur moi-même. Qui sommes-nous ? Pourquoi vivons-nous? Où allons-nous ? A quoi sert ce que nous faisons ?
Mais déjà l'inconnu avait commencé à tout m'expliquer. L'univers, l'existence, l'absolu, l'ipséité, le paralangage, la finalité, la supralectique, le principe de disaccordance : il lançait et rattrapait les mots comme un jongleur. Impossible de l'arrêter, les idées s'enchaînaient sans qu'il reprenne souffle, les phrases se suivaient comme les voitures entre Nyon et Genève un lundi matin. Chaque fois que je hasardais une question, il la balayait sous une avalanche d'arguments. Chaque fois que je tentais de mettre en doute une de ses affirmations, il en sortait deux nouvelles à la place. J'avais beau me creuser la tête, mon intelligence avait beau chercher, je ne voyais pas d'issue : il avait réponse à tout. Et c'est ainsi que je l'ai surnommé : M. Réponsatout. (En fait, ainsi que je l'appris plus tard, il a un nom beaucoup plus compliqué, et que je n'ai pas retenu, mais qui, comme tous ceux de sa famille, se termine en -isme.)
Enfin je crus avoir trouvé. " Vous savez beaucoup de choses, lui ai-je dit. Mais êtes-vous capable d'expliquer le dessin d'enfant qui se trouve derrière moi ? " L'inconnu eut un sourire amusé. " Sans difficulté, dit-il. Regardez ! " Je me retournai, et je crus alors avoir le choc de ma vie. Le dessin avait disparu ! Plus d'arbre, plus de maison, plus de chemin... Mais à la place, des schémas, des plans, des diagrammes. Mal à l'aise, je compris ce qui était en train de se passer. Ce n'était plus le monde et ses couleurs que j'avais devant les yeux, mais une idée du monde.
Ce n'était plus la vie, mais un système de pensée refermé sur lui-même. Je regardai M. Réponsatout. Il avait changé. Il me ressemblait de plus en plus. Il avait mon visage. Et je me retrouvai seul.
Je mesurai alors le piège qui était devant moi. Ce piège qu'à son époque l'épître aux Colossiens désignait sous le terme de " philosophie ", mais qui porte en fait de multiples noms, car il est celui de tous les systèmes de pensée bâtis comme des châteaux forts. Cet aveuglement de l'être humain quand il pense tout connaître, tout savoir, tout expliquer, tout maîtriser. Et son illusion de croire qu'il peut être à lui-même ses propres racines, sa propre sécurité, son propre horizon.

J'en étais là, à nouveau plongé dans mes réflexions. Et c'est alors que je me suis fait enguirlander. " Comment ! " me disait un nouveau personnage apparu à côté de moi. " Comment peux-tu rêvasser, comment peux-tu hésiter, comment peux-tu perdre du temps à chercher encore ? Tu aurais dû lui clouer le bec, à ton M. Réponsatout. Crois-tu qu'il y ait quelque chose à attendre de la sagesse humaine ? Jésus est la réponse. Christ est la solution. Il n'y a pas à chercher ailleurs, il n'y a pas à chercher plus loin. Avec lui plus de problèmes, avec lui plus de... "
" Mais laissez-moi parler ! ai-je crié. J'aimerais quand même pouvoir dire quelque chose. Je ne cherche pas ailleurs. Je ne cherche pas plus loin. Mais je cherche, oui, justement parce que je crois au Christ qui me fait vivre. Ecoutez ! je sais que c'est très important pour vous et je ne voudrais pas entamer une bataille de mots. Mais je ne crois pas qu'il soit juste de dire que Christ est la solution. Il est bien plus et bien autre chose qu'une solution ! Il est celui en qui nous sommes portés, sauvegardés, renouvelés. N'en faisons pas un produit, n'en faisons pas un objet pour avoir nous aussi réponse à tout, n'en faisons pas un slogan, ne le rabaissons pas au rang d'un argument humain. "

Christ est le Seigneur. Il n'est pas dans notre poche. C'est nous qui sommes en lui. Il n'est pas la réponse à toutes nos questions, mais celui qui nous permet d'avancer sans avoir toutes les réponses. Celui qui nous donne la force et la patience, le courage et l'humilité de faire face au monde et à la vie sans tout savoir, sans même tout comprendre, mais avec confiance et espérance, parce que tout est entre ses mains. Celui qui nous permet d'accepter l'existence humaine et ses questions, et de chercher sans crainte, parce que l'essentiel nous est déjà donné en lui. Celui qui nous aide à trouver des réponses, sans que nous ayons besoin d'en faire des absolus comme si notre vie en dépendait.
Car qu'attendons-nous de ceux qui nous aiment et que nous aimons, nos parents, nos enfants, nos amis ? Non pas des réponses à toutes nos questions, non pas des solutions à tous les problèmes, mais quelque chose de beaucoup plus précieux, un lien de vie qui nous nourrit et nous permet de grandir. Ce lien fondamental que Dieu nous donne en Christ, et que la Bible, en plus d'un passage, exprime par l'image d'un arbre, d'une maison, d'un chemin. Et d'un soleil.

Car maintenant que les schémas de M. Réponsatout avaient disparu, je le voyais. Sur ce dessin d'enfant, tout en haut dans le ciel, si lumineux qu'il se confondait presque avec la feuille blanche, un soleil éclatant, envoyant ses rayons jaune vif dans toutes les directions. Et puis, en bas - comment avais-je pu ne pas les voir jusqu'ici ! - des personnages. Des corps malhabiles en forme de pommes de terre, de longues tiges avec un rond au bout pour les jambes et les bras, et puis, surtout, des visages et des mains extraordinaires. Avec de grands traits écartés faisant les doigts, très longs, et d'immenses cheveux dessinés un à un, flamboyants. Et ces mains étendues, ces têtes rayonnantes formaient comme autant de petits soleils illuminant le monde à la lumière du grand soleil. Et pour moi s'éclairèrent alors ces paroles : " Car en lui habite toute la plénitude de la divinité, corporellement, et vous vous trouvez pleinement comblés en lui, qui est le chef de toute Autorité et de tout Pouvoir. "

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Madame Béatrice Jornot
Musique
Véronique Ottino Piguet, flûte à bec