L'humilité, secret de la vraie grandeur

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Dimanche passé, la parole était à Jérémie dans un temps de " crise " qui, quand tout pouvait faire penser à l'absence réelle de Dieu, (le peuple tout entier exilé à Babylone) transmettait cette invitation à une partie du nouveau " jeu " de Dieu : le " je me laisserai trouver par vous. " Et aujourd'hui, reprenant le texte proposé pour ce 24e dimanche, Jésus face à des préoccupations " infantiles " de ses disciples place justement un petit enfant au milieu d'eux. Nous restons décidément dans le domaine du jeu et de l'enfance.
Vous me direz, mais ce n'est pas un texte prévu pour un jeûne fédéral et moi je vous répondrai avec une mauvaise foi évidente : un texte où apparaît un enfant est bien un texte de " jeune ". En fait ce texte nous permet d'aborder le thème de la crise par un biais dont nous avons tous l'expérience : celui " des crises " de croissance. A l'image de l'individu qui doit passer par la crise de l'enfance, affirmation de soi face à sa mère, puis par celle de l'adolescence, rupture de la dépendance familiale, puis par celle de la cinquantaine, l'acceptation de vieillir, toute évolution doit passer par des pics de crise qui permettent de franchir un cap.
Ainsi chaque société le pense d'elle-même - et la nôtre la première - on parle de crise structurelle, de crise de croissance de l'économie capitaliste; souvenez-vous pour les plus anciens d'entre nous de la crise de 29 ou de la crise pétrolière des années septante, qui semble-t-il réapparaîtrait en ces jours. Ce qu'il y a de bien dans cette vision, c'est que finalement, on s'en sort toujours puisque ces crises sont nécessaires à une bonne croissance. Ainsi toutes les remises en cause modernes : l'abandon des " anciennes " valeurs, les nouveaux modes de vie, les nouvelles manières de travailler et de considérer le travail et bien sûr, les nouvelles manières de concevoir sa vie religieuse, nous font vivre actuellement sous forme de crise, ce qui sera dans quelque temps un avenir accepté par tous. Avec ce schéma, bien sûr, tout n'est que progrès, les seuls souffrants ne sont plus bienséants que celles et ceux qui s'accrochent aux vieilles chimères du temps déjà résolument passé. Et ça va très vite de se retrouver ainsi décalé.

Avec une conception de l'homme très haute et de Dieu très basse, humaniste à l'excès, celle d'un homme à qui il ne faut pas essayer d'en apprendre, cette vision progressiste de la crise tient la route et le haut du pavé. Bien évidemment, il ne faut pas trop regarder dans son rétroviseur et voir le long cortège des laissés-pour-compte qui traînent derrière : les vieux (je dis vieux parce que c'est beau et moins pharmaceutique que les anciens ou le troisième âge), abandonnés dans nos EMS, les enfants du divorce cherchent à retrouver quelque peu l'équilibre perdu, les faibles, les malades, les moins débrouillards placés sous assistanat, et la moitié du monde à l'agonie parce qu'accrochée à ce même modèle. Mais l'essentiel n'est-il pas d'avancer toujours et encore !
En fait le modèle de croissance que le Christ propose pour son Royaume me paraît diamétralement opposé. Voyez le progrès que les disciples avaient cru ressentir dans leur vie depuis leur rencontre avec le Seigneur. Ma foi, ils n'étaient après tout que douze à avoir été choisis par le maître. Et pas n'importe quel maître, ils l'ont vu à l'œuvre ! Alors leur démarche s'était un tant soit peu modifiée dans leur suivance du Christ : on relève un peu la tête, le pas se raidit quelque peu et tout à coup, on se sent un peu plus haut que les autres. " De quoi discutiez-vous en chemin ? " Pas besoin qu'ils répondent, leur seul silence suffit à montrer l'ampleur des dégâts. Les douze, en prenant bien soin de ne surtout pas mêler Jésus à leur discussion, discutaient de savoir qui était le plus grand ! Des questions de pape avant l'heure !

Et Jésus frappe fort, c'est pire qu'une claque : c'est pire que les marchands chassés du temple, bien plus grave que ses condamnations des pharisiens, et aux antipodes de son pardon accordé à ceux qui ne savent pas ce qu'ils font en le crucifiant. "Si quelqu'un veut être le premier parmi vous, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous." et là il y a deux compréhensions possibles de cette parole : ou bien la punition ou bien la prophétie. Le texte grec opte plutôt pour la punition, puisqu'il s'agit d'un futur, c'est-à-dire "celui qui veut être le premier sera le dernier et le serviteur" du genre, " si Pape tu veux être, assistant pastoral tu seras ! "
Pourtant la leçon la plus couramment reçue reste la prophétie, sous la forme " ce sont les derniers qui sont les premiers "; les premiers en Église, ce sont les plus petits, les plus méprisés, tel l'enfant qu'il place ensuite au milieu d'eux.
Avec cet extraordinaire renversement des valeurs où c'est ce qui est faible qui est vraiment fort ; cette conception qui fait hurler les tenants de la toute-puissance humaine pour qui la petitesse, la fragilité, la maladie ne sont que débris et échecs. C'est au moment où les disciples croient voir venir leur âge adulte que Jésus leur rappelle : moi je suis venu rassembler des enfants pour mon Père et non des saints-pères pour mon Dieu. L'Eglise va se bâtir sous la couleur de l'enfance. Quelques versets plus loin, dans ce même évangile de Marc, Jésus va une fois de plus fustiger ses disciples qui empêchent des enfants de venir à lui avec cette parole vraiment révolutionnaire : " En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point. " C'est le fondement même d'une Église qui veut croître. Renverser la tendance orgueilleuse de l'homme qui voudrait sans cesse augmenter sa force et son pouvoir, pour créer u une Église " enfantine " et non " infantile ", comme l'était la question des disciples. Redécouvrir au moment où la raideur de notre croissance naturelle nous dirige vers la vieillesse du corps et des idées, la souplesse et l'émerveillement des enfants qui reconnaissent leur Père.
Il faut revenir et ne pas croire qu'il faut sans cesse continuer cette croissance toute et seulement humaine qui conduit à la mort, oui retrouver le goût d'être bercé, de s'émerveiller, de jouer, de se sentir aimé.

La leçon est sévère pour nos Églises aujourd'hui; elle peut être le thème d'une véritable repentance pour ce jeûne fédéral, tant nous avons créé des Églises d'" adultes " au sens anti-évangélique du terme. Nous rendons l'accès à la foi impossible trop souvent avec des prétentions de disciples de la même veine que la question des apôtres du texte d'aujourd'hui. A vue d'hommes et de femmes de notre époque, cela donne le tableau suivant : si tu veux être croyant, il faut être fanatique et décalé de ce monde, condamnant tout et rien, discernant sans scrupule le mal du bien et choisissant la meilleure place dans le wagon des élus ou alors un fanatique de l'engagement qui servirait alors de preuve à la foi. Il n'y a pas de place de toute manière pour ceux et celles que l'on pressent comme des fainéants, des inutiles, des enfants quoi !
" Paroissien dit moyen, tu comprends le message, il faut toujours être au-delà de l'endroit où tu crois être bien, l'idée de venir te reposer dans les bras d'un Père, oublie! Il te faut en faire toujours plus !
Inflations des réponses à donner, condamnation des fatigues ! Il faut le dire dans une communauté pareille : je n'ai pas envie de venir. Les croyants non-pratiquants sont brocardés, humiliés ou simplement relégués dans la catégorie des non-croyants, c'est plus simple, et l'Église perd ainsi toute sa base communautaire, pour n'être plus qu'un syndicat ou rassemblement d'activistes.
Les violents s'emparent du Royaume de Dieu ! Ma parole est volontairement caricaturale, mais elle me permet de saisir dans cette crise d'autant mieux le geste évangélisateur du Père et je le vois d'ailleurs dans chaque baptême d'enfant : il place des enfants au milieu de nous !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Janine Leschot
Musique
Anne-Françoise Pape soprano