J'veux pas… J'ai pas envie… Non… Lorsque nous étions enfants, nous n'avons pas toujours eu envie d'obéir et de faire ce que nos parents nous demandaient. C'est difficile d'obéir ! Il faut quitter son occupation du moment pour entreprendre autre chose, sans en avoir forcément envie ou sans en voir l'utilité immédiate. Bien sûr, il y a toujours moyen de faire la sourde oreille, mais cela ne fait que repousser le problème. Vient le moment où il nous faut bien nous décider à obéir, ou non !
La parabole de ce matin, dans l'évangile de Matthieu, nous rappelle ce qui peut sembler une évidence. Mieux vaut accomplir son travail, après l'avoir d'abord refusé, plutôt que de se croiser les bras après avoir promis d'agir. Cela va de soi.
La première attitude, celle du fils qui dit non mais finit par agir, cette attitude révèle une ouverture d'esprit, l'humilité de reconnaître ses erreurs, la capacité de modifier son point de vue. Ou, pour le dire autrement, une aptitude à la repentance, à ce retournement total de la personne que la Bible nomme la conversion. Le comportement du second fils est bien celui des «béni-oui-oui», toujours prêts à se gargariser de mots, sans guère se soucier d'honorer leurs promesses et de respecter leurs engagements.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, tout le monde tombant d'accord pour approuver la conduite du premier fils et blâmer le second. Les difficultés commencent quand les fils sortent de l'anonymat et reçoivent leur nom. Le récit n'est plus aussi inoffensif. Il peut devenir un piège. Voici que la réalité rejoint la fiction et que les mots sont loin d'être innocents.
Cette brève parabole acquiert la puissance d'une bombe quand Jésus précise que le fils désobéissant et pécheur est exactement la figure de ceux qui, sans complexes, se proclament obéissants et irréprochables. Il est à l'image de ceux qui cherchent à piéger Jésus, de tous ces gardiens vigilants de la tradition des anciens.
Et pour comble, le fils exemplaire, promu aux premières places dans le Royaume de Dieu, évoque, ô scandale, les collecteurs d'impôts; ces complices de l'occupant romain, rangés une fois pour toutes dans la catégorie des pécheurs, en compagnie des prostituées. C'est donc ce beau monde, méprisable selon les lois et méprisé par les justes, qui serait, selon Jésus, le modèle d'obéissance au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob !
Mais prenons garde de ne pas tout comprendre de travers ! Car Jésus ne fait pas l'éloge de la prostitution et des trafics d'argent; pas plus qu'il ne balaie la loi, ridiculise les pratiques religieuses ou ferme les portes du Royaume aux chefs des prêtres et aux anciens. Ce qu'il reproche ouvertement à ceux qui l'interrogent, c'est de ne pas avoir cru à la parole de Jean Baptiste et de ne pas avoir répondu à son appel à la conversion.
Leur péché, à ces gens-là, c'est de s'être cru sans péché et d'avoir souverainement jugé, condamné et méprisé les pécheurs. L'erreur et la faute qu'ils ont commises, c'est d'avoir observé la loi dans tous ses détails et d'en avoir oublié l'esprit. Leur orgueil coupable, c'est d'avoir tellement vénéré, commenté et pratiqué la loi de Dieu qu'ils en ont oublié le Dieu de la loi ! Croyants pieux, conscients d'être l'élite du peuple saint et le rappelant à toute occasion, infatigables pour brandir les grands principes, ils étaient cependant plus soucieux de leur réputation et de crier Seigneur, Seigneur !, que de servir Dieu et d'accomplir sa volonté.
Certes, ils ont bien vu les signes accomplis par Jésus, ils ont entendu l'appel pressant de sa parole… mais ils n'ont rien voulu comprendre, rien croire, rien changer. Trop sûrs d'eux-mêmes, ils ne se sentaient pas concernés…
Mais les pécheurs, les marginalisés, les exclus de la bonne société, eux, se sont laissés interpeller jusqu'à poser des questions très concrètes, jusqu'à accepter l'amitié inattendue de Jésus, à croire en lui et à se convertir pour le suivre. Ce que les purs ont refusé non sans mépris, les impurs l'ont accueilli avec joie et reconnaissance. Oui, la parabole des deux fils nous entraîne sur des chemins inattendus. Tout n'est pas si simple que cela pouvait paraître à première vue. Tant il est vrai que l'obéissance — et surtout l'obéissance de la foi — ne va jamais de soi.
Bien sûr, nous ne sommes plus des enfants, prêts à trépigner et à crier : Non, je ne veux pas… je n'ai pas envie… Sans être aussi ouverte et déclarée, notre opposition est pourtant bien là. En fait, nous savons très bien ce que Dieu attend de nous. Nous savons que Dieu aime et qu'il nous demande d'aimer à notre tour. Seulement, les chemins de notre amour sont parfois un peu tortueux. Et puis, nous avons des affinités sélectives. Aimer ? D'accord, mais pas n'importe qui ! Nous avons des exigences, des préférences.
L'amour véritable, lui, ne compte pas. Il donne, il se donne. Il ne fait de différences, ni d'exclusions. Pour lui, il n'y a pas les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. Il n'y a que des hommes et des femmes en quête de compréhension et d'accueil. Il nous est parfois difficile de penser et d'admettre que Dieu puisse aimer chacun, sans restriction. Nous avons le jugement facile et souvent féroce. Nous savons ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Nous ordonnons notre vie, notre monde, en catégories bien distinctes.
Et voilà que par une toute petite parabole, par un récit bien inoffensif, Jésus fait éclater nos cadres. Il fait souffler sa vie là où notre idée de l'ordre risquait de tout étouffer. Nous voilà interrogés, mis en question. Sommes-nous prêts à accepter l'amour de Dieu dans toute sa force, dans toute sa liberté ? Pouvons-nous le suivre, jusque-là ? Ou, pour le dire autrement, avons-nous bien conscience que Dieu nous aime nous, gens honnêtes et sans grandes histoires, avec le même élan qu'il aime ceux qui s'égarent dans les pièges de la vie; celles et ceux auxquels nous ne pensons que rarement, parce que leur vie est trop loin de la nôtre ?
La conversion, que déjà le Baptiste prêchait, ce total retournement de la personne vers Dieu, n'est pas réservé à ceux que nous jugeons être des pécheurs notoires ! Gardons-nous d'être trop sûrs de nous, de ce que nous croyons. Nous risquons bien de ne plus entendre la parole de Dieu, de devenir l'image du fils qui répondit : Oui, Seigneur, mais n'alla pas travailler la vigne. La foi porte toujours en elle une part d'incertitude, de quête. C'est ainsi seulement qu'elle se montre vivante, sinon, elle risque de rester lettre morte.
Cet émerveillement de la foi qui vit et qui fait vivre, j'aimerais vous le donner à entendre par le témoignage de Michèle; une femme, qui à travers le Christ, a retrouvé sa dignité perdue. Une femme que nous aurions peut-être jugée et méprisée. Son témoignage sera ma conclusion.
Qui est Jésus Christ pour moi ? Si j'osais, sans peur de scandaliser, je dirais : il est tout. Ma joie de vivre. Ma raison de vivre. Ma force pour vivre. Il est mon unique espérance.
Et c'est tout, j'aurais envie de m'arrêter là. Mais notre monde d'aujourd'hui dirait : Tiens, encore une illuminée, une chrétienne à l'eau de rose.
Au fond, il aurait raison. Car notre certitude dans le Christ cela doit se voir, se traduire dans la vie par des actes, dans une solidarité partagée.
Alors, je vais essayer de traduire ce que nous vivons, lui, le Christ et moi, ensemble au long des jours. Ce ne sera pas de la théologie : qu'attendre d'une femme qui a vécu dans la prostitution de longues années, sinon la vie de tous les jours ?
Pour moi, le Christ c'est quelqu'un de vivant que j'ai rencontré dans les autres. Et cette rencontre a bouleversé toute ma vie. Longtemps bafouée, vendue, (…) je découvrais que le Christ pouvait m'aider à devenir une femme comme les autres.
Cette certitude me venait de la part des autres. Un groupe de personnes me respectait en tant que femme, me convainquait que ma vie n'était pas finie, n'était pas perdue. En cheminant avec elles, j'ai compris que le Christ était un homme vivant, capable de refaire la personne tout entière. Et pour moi, redevenir une femme était capital.
Alors, j'ai commencé à lire sa parole, j'ai découvert sa vie, sa mort, sa résurrection. Et je me disais : cela, toi aussi tu peux le vivre.
(…)
Pour moi, le Christ est vivant en tous les hommes. Il est celui qui m'a tirée du désespoir (…). Il est le vivant qui veut des humains vivants, heureux dans leur peau, capables de s'émerveiller devant la beauté et l'amour, capables d'éclater de rire et d'avoir le sens de l'humour. C'est de lui que le monde a besoin, c'est lui en tout cas qui est ma raison de vivre et que je n'aurai jamais fini de découvrir.
Amen.