Ils portent le Christ

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Quand vous êtes entrés dans cette église, vous qui êtes devant moi, ou vous qui nous écoutez, de là où vous êtes, voiture, cuisine, hôpital, salon, quand vous êtes entrés dans cette église, vous avez vu, grâce aux questions d'Henri Künzler, les icônes des enfants.

Henri n'a pas attiré votre attention sur la grande tenture qui est au-dessus du baptistère, à droite du côté du lac... Pour les prédications à la radio, j'ai pensé que nous pourrions prendre comme fil conducteur, ce thème : "les femmes animent le monde", les femmes qui ont éclairé la Bible.
Bien sûr, il vaudrait mieux qu'une femme prêche pour ces 3 dimanches. Dans notre canton de Fribourg où la moitié des ministres francophones sont des femmes, il n'aurait pas été difficile d'en trouver. Mais c'est à un homme qu'on a demandé de mener ces cultes et peut-être que de l'extérieur où il se tient, il pourra dire certaines choses qu'une femme aurait tues.

J'ai voulu prêcher sur ce thème "les femmes animent le monde". Et c'est Marie-Madeleine qui était la première, dans le coin à gauche de la tenture, tout auréolée de lumière, de la lumière de la Résurrection. Elle s'approche des disciples qui sont encore dans l'ombre, dans l'incertitude, qui n'ont pas encore compris les Ecritures. C'est Marie-Madeleine, qui nous guide aujourd'hui. Et pourtant, si vous avez écouté les lectures de l'Ancien Testament, de l'épître, c'est vers Adam, vers le gardien du premier jardin que j'ai été conduit, comme si on ne pouvait parler de la femme sans être renvoyé à l'homme, de l'homme, sans être renvoyé à la femme. J'aurais pu m'attacher à Marie-Madeleine, montrer combien elle nous éclaire, nous met en route par ce qui fait partie de sa personnalité même.

Elle parle, alors que les disciples sont silencieux, que les hommes, Jean et Pierre, sont silencieux.

Elle parle, elle ose poser ses questions, dire ses angoisses : "on a pris mon Seigneur et je ne sais où on l'a mis".

Elle reste là simplement alors que les disciples s'agitent, courent, entrent, sortent, regardent examinent, repartent. Elle prend le temps de l'arrêt.

Elle demande. Chaque fois qu'elle se trouve devant quelqu'un, elle lui adresse la parole. Elle est attentive à l'autre. Alors que les disciples l'ont complètement laissé tomber, sont repartis en la laissant auprès du tombeau, sans une parole, sans un geste. Elle est attentive à l'autre.

Elle pleure. Elle laisse monter ses sentiments. Elle laisse monter ce qui l'habite au plus profond et c'est d'ailleurs à partir de ses larmes que les anges, ou que Jésus pourront lui adresser la parole.
Ce n'est pas à des hommes forts qui essaient d'analyser froidement la situation, mais à une femme qui ose dire, exprimer, se laisser envahir par son désarroi que Jésus va s'adresser.

Elle est transformée. Alors que les disciples restent dans une oscillation entre "croire et ne pas croire", entre "comprendre et ne pas comprendre", elle est transformée. Elle passe du "je ne sais où on l'a mis" au "j'ai vu le Seigneur et voilà ce qu'il m'a dit".

Par toutes ces qualités, par toute cette manière d'être, paroles, calme, demandes, larmes, transformation, elle peut devenir l'apôtre des apôtres, celle qui est envoyée vers ceux qui sont envoyés.

J'aurais pu reprendre uniquement Marie-Madeleine et nous inciter, nous hommes, à regarder simplement en nous ce que cela éveille d'être face à la première disciple, à la femme comme modèle. Mais prêcher, c'est regarder à Christ donc regarder au gardien du jardin, regarder au jardinier de ce récit de résurrection.

Où avons-nous déjà entendu parler d'un jardinier, d'un gardien du jardin, si ce n'est dans la Genèse, tout au début, quand Dieu place l'homme comme gardien du jardin. Quand Marie-Madeleine se retourne, quand elle ne regarde pas encore bien le Christ, elle le prend pour le gardien du jardin, pour Adam, l'homme ancien, pour celui qui n'a pas été renouvelé, transformé, ressuscité. Elle regarde pour son métier et sa fonction et non pour ce qu'il est lui-même. Combien de fois, en regardant autour de nous, nous regardons l'autre comme son métier, comme sa fonction, plutôt que pour lui-même. C'est bien utile pour les relations humaines de ne pas devoir entrer en relation profonde chaque fois que l'on entre dans un magasin, chaque fois que l'on croise quelqu'un, mais cela nous guette aussi dans la vie avec les voisins, avec les proches. Un tel est dans sa fonction politique, un autre enfermé dans ce qu'il a toujours été, le grincheux ou celui qui fait trop de bruit.
Mon épouse n'est-elle plus que mon épouse ? plutôt que Madeleine ? Mon père n'est-il plus que mon père, plutôt que lui-même ? Comme nous nous refusons à voir changer celui qui est en face de nous.
Jésus va éclairer, ouvrir l'esprit de Marie-Madeleine en l'appelant par son prénom de femme. Il va dire Marie, et elle va pouvoir répondre avec le mot avec lequel elle appelait Jésus : "Rabbouni". A moins qu'elle n'ose lui donner là un nouveau nom. Elle qui a suivi Jésus. Elle va l'appeler "Rabbouni", Maître. Elle va devenir disciple, alors que c'était un honneur réservé aux seuls hommes. Elle va voir le Ressuscité, le différent, au moment où elle passe du jardinier, de l'homme ancien à "Rabbouni, mon maître", celui auquel je vais m'attacher.

Je ne sais jamais si Jésus joue à cache-cache avec nous. S'est-il caché dans le voyageur d'Emmaüs, s'est-il caché dans le jardinier comme dans un jeu d'énigme, pour nous mettre en route, nous faire réfléchir ?

Ou bien n'existe-t-il que des étrangers, que des jardiniers, que j'enferme dans ce que je vois d'eux, au lieu de reconnaître qu'ils portent le Christ. Ils ressusciteraient alors devant moi, deviendraient hommes nouveaux, plutôt que Jésus de Nazareth camouflé derrière une fausse barbe.

Voici Pierre, Jacques, Henriette, Anne-Lise, Sophie, qui tout à coup redeviennent eux-mêmes, ressuscitent, plutôt que d'être l'enseignante, la députée, l'épouse. Ainsi, à la suite de Marie-Madeleine, arriver, parce qu'on a osé parler, parce qu'on a osé devenir vulnérable, s'exposer en restant dans le calme, demander, pleurer, parce qu'on a osé courir le risque d'être transformée, à la suite de Marie-Madeleine, voir l'autre transformé, de l'homme, de la femme, de l'homme ancien, de la femme d'autrefois, en un homme ou une femme ressuscités à l'image de Jésus le Christ.

Amen.