Béatitude....

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Mère Sofia, moniale orthodoxe dépendant du Patriarcat de Constantinople et aumônière de rue à Lausanne, théologienne, infirmière et psychologue, directrice du "Parachute", centre d'accueil pour jeunes et malades du sida.


Bien chers Frères, bien Chères Soeurs,

Je vous salue en notre Christ ressuscité. En marche sur les pas du Christ : "Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux". Mon attention va tout particulièrement à mes "blessés", à mes amis qui manquent d'amour, qui souffrent, et à mes très chers habitants du "Parachute", dont certains ont le sida, d'autres ont été tellement blessés que encore en ce lieu, nous essayons, dans l'esprit des Béatitudes, d'accueillir nos frères et soeurs.


Béatitude, berceau atemporel. Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ nous fait toucher le point essentiel de notre vie. Béatitude est le Christ. Nous sommes amenés "en marche" :- Allez sur ses pas. Lorsque je dis "béatitude atemporelle", je rentre dans l'Eglise dont nous sommes tous des pierres vivantes, et le Christ en est la parure.


"Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux." Chers Frères et Soeurs, si nous n'atteignons pas la lumière au-delà de tout mot, du temps - Viens, demeure en nous ! - Si nous ne pouvons pas rencontrer l'autre, le frère, la soeur, qui nous amène à rencontrer Dieu, vous voyez chers Frères et Soeurs, les Béatitudes ont de multiples facettes. Mais l'une d'entre elles, et c'est la plus importante, le Christ n'a cessé de nous l'enseigner dans les Béatitudes et dans tout l'Evangile. C'est celle qui doit nous amener à "nous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés". Nous ne pouvons grandir sans l'autre. C'est la rencontre du Christ.


Dans la rue, les frères, les soeurs blessés m'aident à rentrer dans la marche de la Béatitude : accueillir, s'enrichir, s'appauvrir de tout ce qui est artificiel, matériel. Ils m'élèvent, ils m'approchent du Royaume des Cieux.


La première Béatitude a comme objet l'un des grands axes de la spiritualité. Dans l'esprit oriental orthodoxe, le "pauvre en esprit", c'est le mendiant du Saint-Esprit. D'ailleurs ce mot grec a cette double signification de pauvreté et de mendicité. Je trouve qu'une telle interprétation de cette Béatitude va tellement dans le sens du Sermon sur la Montagne, où le Christ nous enseigne : "Dépouille-toi, enrichis-toi, demande, prie, afin que l'Esprit saint t'illumine, t'habite, t'enrichisse. Car le Royaume des Cieux est de cette richesse, de cette générosité, que le Christ nous a prouvée au moment de sa grande souffrance sur la Croix. Il est venu pour nous sauver.


Rappelons-nous ce que le bon larron lui a dit :- Souviens-toi de moi dans ton Royaume ! "cet homme-là avait reconnu la royauté du Christ. Dans cette Eglise, j'aime beaucoup le bon larron. On a tellement cette tendance à se tourner du côté du mauvais... rappelons-nous ce bon larron, cet homme qui était jugé par tout le monde, qui était aux côtés du Christ pour qui c'était injuste qu'on le crucifie. Toi ma soeur, toi mon frère, lorsque tu blesses quelqu'un, lorsque tu juges, tu crucifies Christ, nous le crucifions. Lorsque tu anoblis, lorsque tu élèves, lorsque tu vas au-devant de l'autre, que tu ne le juges point, tu lui tends la main, tu l'accueilles, tu le visites. Où que tu sois, tu peux mettre en pratique les Béatitudes.


Nous, les mendiants de l'Esprit saint, nous devons plus que jamais rencontrer l'autre, celui qui est proche de nous, qui souffre, qui est "blessé" par notre dureté et par notre jugement.


"Bienheureux les pacificateurs, car ils seront appelés fils de Dieu"! Arrêtons-nous un instant sur cette Béatitude. Nous sommes constamment en guerre à l'intérieur de soi. L'enfer, c'est pas toi, c'est moi. Lorsque je juge l'autre, lorsque je l'écarte. Cela va aussi pour nos frères et soeurs "blessés" qui sont jugés. Nous parlions de la lèpre... aujourd'hui sévit une deuxième lèpre, le sida. J'ai entendu avec une très grande souffrance certains dire, et hélas dans nos Eglises... "c'est une punition de Dieu ! Qui sommes-nous pour dire une chose pareille ? Ce jour-là, tous ceux et celles qui ont dit cela n'étaient pas dans les Béatitudes, dans la paix, dans la lumière.


Je vous disais : tant que nous sommes en guerre avec nous-mêmes, nous ne pouvons pas approcher l'autre sans le poignarder d'une souffrance incommensurable. L'humanité entière souffre, car j'ai touché "l'icône" (l'image) du Christ dans celui que j'ai atteint. Je rencontre l'autre, ma soeur, mon frère, c'est la face lumineuse du Christ que je rencontre. Si nous avons conscience de cela, nous ne pouvons plus blesser, et là est toute la question. Comment y arriver ? Le Christ nous l'a enseigné avec de si belles paraboles. Ces Béatitudes, lorsque j'ai dû me préparer, chers Frères et Soeurs, à vous en parler, j'ai souffert; je me suis rendu compte à quel point je ne mettais pas en pratique les Béatitudes. Chez nous, en orthodoxie, en liturgie, dans toutes les liturgies, les Béatitudes précèdent la lecture du saint Evangile. Nous les disons dans les Saints-Offices. Mais est-ce que nous les mettons en pratique ? Là est toute la question. Lorsque je rencontre mes frères et soeurs dans les squats où certains n'ont même pas d'eau, pas de lumière, certains sont atteints d'une hépatite C (B-C), on meurt de cela. Dans notre cité lausannoise, je sais qu'il y a d'autres squats, d'autres lieux insalubres. J'y sens une lumière. Vous direz que c'est paradoxal. Non, car ces frères et soeurs me disent, à travers leurs grandes souffrances, "Qu'as-tu fait de l'Evangile ? Qu'avons-nous fait des paroles du Christ ? Laissons-nous évangéliser, jusqu'à la dernière cellule. Les Béatitudes nous le disent : "Bienheureux les miséricordieux!" Il le dit, le Christ : "Soyons miséricordieux, soyons purs, soyons doux, soyons pacifiques."


Ces personnes que je rencontre, que vous avez certainement aussi rencontrées, pour elles, que faisons-nous, l'Eglise ? Nous qui nous disons chrétiens " Que veut dire "chrétien" ? J'ai de la peine quand on me demande : "Es-tu chrétienne " Je dis : Non, je suis apprentie-chrétienne. Car être chrétien, c'est être "un" en Christ. Et comme je suis, hélas, par ma condition humaine, souvent à côté... Mais ce Christ ressuscité, qui nous amène, nous a amenés, de par sa résurrection dans la résurrection déjà. C'est pourquoi, au début, je vous ai dit : "Je vous salue dans le Christ ressuscité. Rentrons dans la résurrection, restons, soyons ici-bas des étrangers. Arrêtons d'être assis dans la foi. La foi, on grandit avec. Ce n'est pas une chose acquise une fois pour toutes. Lorsque toi mon frère, toi ma soeur, tu es dans le doute, laisse grandir ce doute; ce doute peut se transfigurer dans une foi beaucoup plus authentique. Laissons-nous toucher par nos frères.


J'aimerais vous confier une grande souffrance que j'ai vécue cette nuit. Un jeune nous a quittés. Ce jeune avait été rejeté par tous. Et au moment de sa "naissance au Ciel", il m'a dit : Alléluia ! j'étais bouleversée. Il me dit : "Enfin, je vais retrouver le Ressuscité !" Je puis vous le dire, Frères et Soeurs, j'en suis toute ébranlée. Toutes les Béatitudes ont défilé cette nuit. Il avait tout. C'est là que je me dis : enlevons, enlève cet orgueil en toi, rentre dans les Béatitudes. Les Béatitudes, c'est rentrer dans l'amour, l'humilité, les dépouillements. C'est quémander, c'est supplier.


J'aimerais aussi parler de cette prière que j'aime tant, et je suis sûr que là nous allons nous rencontrer : le Notre Père. "Que ton règne vienne!" Là aussi il y a une interprétation. Dans le Notre Père, quand on dit notre Père, les Grecs traduisent "que ton règne vienne" par "que le règne de l'Esprit saint vienne"! Quand on dit le Notre Père, que ton règne vienne, voyez-vous la signification de cette lumière, de cet Esprit saint qui souffle, qui est partout présent en nous, qui souffle... L'humanité entière doit rejoindre l'autre. Cessons la guerre en nous ! et je vous assure que la paix jaillira de nous.


Une autre chose que je souhaiterais vous dire, et c'est tellement proche aussi des Béatitudes : cette montée. Moi je vois bien les Béatitudes, ces paliers... arriver dans l'amour universel. Mais comment y arriver ? Chacun d'entre vous, vous avez toujours à vos côtés quelqu'un qui souffre. Le monde entier est fait de souffrances, mais aussi de joies. N'oublions jamais cela ! Lorsqu'un enfant sourit, nous nous émerveillons. Emerveillons-nous lorsqu'un enfant pleure à cause de la guerre. Rappelons-nous que nous devons rester et surtout rentrer dans ce monde pacifié que sont les Béatitudes !



Si j'ai pu vous transmettre cela, que Dieu nous bénisse ! Priez pour que nous puissions tous ensemble arriver - et nous le sommes - dans le Royaume des Cieux. "Dans ton Royaume, souviens-toi de nous Seigneur !"

Amen.

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Détails

Avec la participation de
Orgue
François Desbaillet
Musique
Choeur "Guillaume St Thierry"