"Les femmes aiment le monde"

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Chers Amis, chers Auditeurs,

Je vais vous parler de l'histoire d'une rencontre, celle de Jésus et de la femme cananéenne. Un récit biblique très dramatique, puisqu'il s'agit là de vie et de mort. La vie, c'est le pain de vie que Jésus peut donner, mais pour lequel il faut beaucoup lutter. La mort, ce serait de ne pas participer, de ne pas goûter de ce pain de vie, c'est-à-dire rester dans les ténèbres.

Regardons ce qui se passe! Jésus s'est retiré dans la région de Tyr, une région à majorité païenne, et non pas juive. Jésus ne désirait pas leur apporter la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, car pour lui, sa mission se limitait au peuple d'Israël. Lorsqu'il se retirait dans ces régions, ce n'était pas pour prêcher, mais pour être seul et ne pas être dérangé.

Pourtant, la nouvelle de ses nombreuses guérisons s'était répandue également dans ces lieux. Une femme avait placé tout son espoir en lui. Qui était cette femme ? Une Cananéenne, qui n'appartenait pas au peuple choisi des filles et fils d'Abraham. Elle est seule, il n'est pas fait mention d'un mari, d'un père ou d'un fils pour la protéger. Mais elle est mère d'une fille malade, possédée par un démon. Un démon qui la tourmente cruellement, dit notre texte.

Quel peut être ce démon ? Une force, une obsession, un élément mortel qui perturbe à jamais sa victime. Ainsi en est-il également aujourd'hui, où l'on voit de nombreuses femmes et hommes possédés par des démons cruels. Je pense à des personnes en proie à une dépression grave, à des enfants souffrant d'une maladie incurable, causant des douleurs continues, à de jeunes femmes violées qui n'arrivent jamais à oublier cette violence qui leur a été infligée, qui en ont perdu la joie de toute sexualité, qui deviennent désabusées et vivent avec ce traumatisme sans pouvoir s'en libérer. Ces femmes existent partout dans le monde. Dans nos villes, dans les régions où sévissent des guerres terribles, que ce soit en Somalie, au Burundi, en Bosnie, Serbie et Croatie. Nous avons entendu l'année dernière leurs témoignages qui nous ont choqués; ce traumatisme laisse une blessure dans leur âme qui ne se cicatrise pas. Elles ont besoin d'une vraie guérison, celle qui leur redonnera leur dignité humaine et la confiance. Elles ont besoin d'un amour sans bornes.

Mais revenons à notre texte dans lequel il n'est pas mentionné de quel démon il s'agit pour la fille de la Cananéenne. Nous assistons seulement à la douleur de cette mère qui avait certainement déjà essayé tous les remèdes connus à l'époque et consulté tous les médecins. Un jour, elle entend parler de Jésus, de ce guérisseur juif et contre toute évidence, elle place en lui son dernier espoir. Pourquoi contre toute évidence ? Parce qu'elle dut passer par des difficultés insurmontables pour l'atteindre. Sa condition de femme faisait qu'elle n'avait pas le droit d'aborder sans autre un homme qu'elle ne connaît pas; elle est cananéenne, de ce fait, elle faisait partie de ce peuple ennemi des juifs; elle est païenne, donc ne pratique pas la religion lui permettant d'accéder au salut. Mais elle est mue par un amour fou, faisant naître en elle un espoir, espoir en Dieu, celui qui lui fait surmonter tous les obstacles entre elle et Jésus. Nous savons bien que l'amour d'une mère peut être plus fort que tous les obstacles du monde et qu'il est prêt à en payer le prix!

Le prix que paie cette femme cananéenne s'appelle l'humiliation, dans laquelle elle puise une force. Un mot de Dieu, transmis à Saint Paul, peut devenir le thème de toute cette histoire : "Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse". (2 Cor 12, 9).

Comment cette femme procède-t-elle ? D'abord elle s'approche seule de Jésus et de ses disciples, tout en restant à une distance respectueuse. Puis, elle se met à crier :"Aie pitié de moi !" Toute sa souffrance s'exprime dans ce cri. Jésus ne réagit pas. Une réaction à laquelle on peut s'attendre, bien dans la ligne de l'interprétation de sa mission. Une mission exclusive qu'il résume en disant : "Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël". Et cela se comprend ! Jésus vivait dans la pure tradition de son peuple, qu'il chérissait et à laquelle il s'identifiait. Il avait assez à faire avec son peuple. Pourquoi étendre sa mission, pourquoi disperser ses forces ?

Après cette réaction de Jésus, la femme aurait pu perdre courage. Mais non, elle persiste. Elle s'approche et se jette à ses genoux : un geste d'humiliation et de respect. La réponse de Jésus témoigne de son irritation. Pour lui, cette femme est une offense : "Il n'est pas bien d'enlever le pain aux enfants pour le jeter aux petits chiens!" A l'époque, "chien" est une expression aussi méprisante qu'aujourd'hui. On appelait les païens des "chiens" : l'image qu'utilisait Jésus pour la femme et son peuple était alors courante, une expression qui témoignait des préjugés en vigueur dans son propre peuple !

Pourtant, la femme ne se lasse pas : son orgueil, sensiblement mis en cause, ne réagit pas, elle reste humble. Par contre, elle utilise toute son intelligence et c'est cela qui est important. En parlant des miettes qui tombent de la table des maîtres et que les petits chiens viennent manger, elle rappelle à Jésus sa propre vision : une vision de vie pour tous et toutes, une vision qui n'est pas exclusive. Cette femme n'a pas peur de rester petite, elle reste accroupie sur ses genoux devant Jésus. Elle n'a pas peur de rester petite parce qu'elle a une vision, celle qui qui démontrera qu'il n'y a plus de grands seigneurs prêts à chicaner et exploiter les petits, une vision où les petits n'auront plus besoin de courber l'échine. Une vision de vie en plénitude pour tout le monde, une vision où le pain de vie est partagé entre tous et toutes, entre étrangers et indigènes, entre juifs et cananéens, entre femmes et hommes, entre riches et pauvres.

Le pain de vie, Jésus peut le donner et il le donne : il guérit la fille de cette femme païenne, il se laisse convaincre par cette mère et exprime ainsi que le salut n'est pas réservé aux seuls juifs et qu'il doit de ce fait changer ses idées quant à sa mission. En guérissant cette fille, Jésus accepte le défi religieux, éthique et théologique que cette femme inconnue a mis devant lui. Et je trouve qu'il fait preuve d'une grande humanité en lui donnant raison. Jésus était homme, il pouvait apprendre et il a appris. Je trouve cela merveilleux et très encourageant. Jésus l'infaillible ? Non, il ne l'est pas, notre histoire en témoigne et cette image de Jésus ne me choque pas. Au contraire, j'ai l'impression que je peux m'approcher de lui, que je peux le toucher et le voir comme un frère qui a pu élargir sa vue, qui m'encourage à élargir aussi la mienne. Il a écouté une femme païenne et a rendu la vie à une fille possédée par un démon, et par ce fait même il a dépassé les frontières qui se trouvaient être très contraignantes pour lui. La femme cananéenne avec son intelligence et cet enseignement, très humble, à l'égard de Jésus, avec sa foi qui ne craignait pas de vaincre les difficultés a été une chance pour nous. Cette rencontre avec Jésus est en quelque sorte une providence. N'a-t-elle pas ouvert la porte au salut, à nous tous qui n'appartenons pas au peuple élu ?

"Les femmes animent le monde" : tel est le thème de la campagne de "Pain pour le Prochain" en ce temps de carême. La femme cananéenne nous encourage à prendre cette image et cette réalité au sérieux! Les femmes animent le monde : animer, dans le sens original du mot veut dire : donner du souffle, inspirer. Je pense que beaucoup de femmes inspirent le monde comme la Cananéenne, avec des visions d'une vie meilleure. Elles se battent pour plus de justice, elles provoquent les puissants et se battent contre les structures injustes. Elles se battent pour leurs propres droits, mais aussi pour ceux de leurs enfants.

Je reviens d'Afrique du sud, où tout le peuple se prépare pour les premières élections libres. J'ai eu la chance de rencontrer beaucoup de groupes de femmes de toutes couleurs qui s'engagent dans l'éducation pour la démocratie. Elles développent avec une ardeur et un espoir admirables des formes et des propositions très concrètes pour accéder à une société plus juste et moins violente. Elles travaillent ensemble sans tenir compte de leur race, de leur appartenance ethnique, de leurs choix politiques, de leur église. En franchissant les murs et les frontières visibles ou invisibles qui les séparaient, les femmes se sont mises ensemble, elle ont su se rassembler.

Est-ce qu'elles vont goûter seulement aux miettes du pain de vie ou est-ce qu'elles vont participer pleinement au repas ? Elles se posent la question et très souvent on les entend dire : si ce n'est pas pour nous, ça sera pour nos filles. Elles ont une grande foi et un grand amour, comme la Cananéenne. J'ai été profondément touchée de les entendre pardonner à tous ceux qui les ont fait souffrir pendant une si longue période. Elles sont prêtes à la réconciliation et elles croient de toutes leurs forces que Dieu va les aider. Je les ai entendues prier et chanter : ces chants et ces prières auraient pu remplir une grande cathédrale, tellement ils étaient forts et beaux. Ils ont certainement pénétré le toi de l'église, on avait l'impression qu'ils allaient faire sauter la toiture ! Cette foi leur donne la force de poursuivre sur ce chemin difficile, mais pavé d'espoir et d'amour.

La femme cananéenne ne s'est pas lassée. Elle a reçu le pain de vie, pour elle et pour sa fille. Que ce pain nous nourrisse toutes et tous et qu'il nous remplisse de foi, d'espoir et d'amour.

Amen.

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Avec la participation de
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François Desbaillet
Musique