Voici la plus riche et la plus catégorique des affirmations théologiques de la Bible : la terre est la propriété exclusive de Dieu. Qui pourrait avant lui réclamer avec justice un droit de préséance sur les autres pour se prétendre maître et seigneur d'un monde créé par grâce, offert par grâce.
La terre appartient à notre Dieu, crieront les Hébreux en terre d'Égypte. La terre appartient à notre Dieu, chantera le peuple pendant la recherche d'une identité dans une terre d'emprunt, une terre promise, une terre prêtée, pour construire un pays, structurer un peuple, fonder une nation.
CAR LA TERRE EST A LUI, DIEU VIENT SUR TERRE.
À l'image ineffable d'un Dieu lointain, le Dieu de la Bible oppose l'image directe et évidente de son Fils qui prend demeure sur terre.
Dieu est venu sur terre pour montrer que la création est son souci. Par ce geste-là, l'être humain est restauré dans sa condition de partenaire aimé de Dieu. Le Dieu qui vient au milieu du monde pour affirmer que son Royaume n'est pas une propositon mythique et lointaine. Non, Dieu n'est pas le refuge de ceux qui veulent se sauver des responsabilités envers la réalité du monde. Le plan de Dieu ne va pas dans le sens de la séparation de l'homme et de la terre.
Le vecteur du salut s'oriente vers le sol, la flamme libératrice de Dieu cherche la terre d'où l'homme et la femme sont pris, la parole rédemptrice de Dieu est prononcée pour des hommes et des femmes tirés de la boue.
Dieu vient ! Le mystère et le signe, la force et l'énergie, la puissance et la tendresse de Dieu sont orientées vers la terre où nous vivons. Son Royaume vient.
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CAR LA TERRE EST A LUI, DIEU ORIENTE SON ROYAUME VERS LA TERRE.
La foi chrétienne n'est pas un programme d'évacuation des hommes et des femmes vers des lieux célestes où l'on pourra courir sans le corps, chanter sans la bouche, aimer sans les mains.
Non, la terre n'est pas lieu du provisoire, car elle est la maison où nous vivons chez Dieu, dans sa maison.
Enlève tes sandales, car la terre où tu marches est sainte. Nous sommes chez lui. Et il est parmi nous. Dieu vient ! Il est venu ! Il viendra !
Le salut commence ici et maintenant ! Aucune vie éternelle ne saurait être valable sans qu'elle ne concerne l'homme et la femme en rapport avec la terre qui les nourrit, qui les produit, qui les construit et qui les sollicite.
Chercher le Royaume de Dieu, c'est chercher le Dieu de la terre, le Dieu incarné dont les traces de son passage se trouvent dans la boue faite vie par grâce.
CAR LA TERRE EST A LUI, LA TERRE EST LE DROIT INALIÉNABLE DE TOUS LES HOMMES ET DE TOUTES LES FEMMES.
Voler la terre, s'approprier de manière injuste et insolente les lieux de vie des autres, détruire les forêts et les hommes qui y vivent, transformer la terre en lieu de production de produits superflus pour nourrir le snobisme et la folie de grandeur, faire de la terre un lieu de bataille, couper l'être humain de son lien fondamental à une terre d'appartenance ou d'accueil, c'est mettre Dieu lui-même à la porte, c'est clôturer le Royaume possible.
Parce que Dieu a des droits sur la terre, le seul droit légitime c'est de vivre la terre comme un lieu de partage, de respect de l'homme et de la femme.
Non, Dieu n'est pas le locataire éternel d'un ciel que l'on veut loin et parfait : Dieu est parmi nous, ici sur terre, habillé en indien, vêtu avec les habits du réfugié, blessé par nos guerres, touché par la famine, à la recherche d'un loyer, expulsé par nos convoitises, exploité par nos systèmes, privé d'un parc pour promener ses enfants, isolé par notre manque de temps, fatigué par le travail de nuit, violé par nos structures injustes.
Nous voici sur terre, suspendus au milieu du ciel, avec le ciel tout autour, un ciel qui contient la terre, qui l'inclut, qui la soutient, qui la rende lieu légitime et urgent de l'action de Dieu.
Croire en Dieu aujourd'hui, c'est croire au milieu de la réalité de la terre et de la souffrance que nous sommes interpellés à changer, à reconsidérer, à transformer.
Servir Dieu, c'est constuire le Royaume avec le Dieu qui est venu, avec le Dieu qui vient, avec le Dieu qui viendra.
Chercher le Royaume de Dieu, c'est parcourir la terre avec un esprit nouveau, avec une soif de justice, avec un projet de paix, avec la foi de la réconciliation entre les hommes.
Le projet de la famille de Dieu c'est de vivre chez lui - dans sa terre - avec la quête permanente de la perfection, du respect, du droit.
Vivre chez lui, chez le Dieu propriétaire de la terre, c'est de s'assumer étranger, nouveau venu, en construisant un espace de liberté pour que tous et chacun accèdent à la liberté préparée pour tous par le Dieu propriétaire.
En parcourant la terre, en la vivant, nous trouvons l'humain la seule image légitime et authentique de Dieu, car c'est celle que lui-même a faite.
En trouvant l'humain dans son droit et sa dignité, locataire privilégié du Dieu libérateur, nous trouverons certainement le Dieu digne et juste, le Dieu du salut.
Amen.