Rouvrir une porte !

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Dimanche dernier, je ne sais pas si vous vous en souvenez, nous en étions restés à cette rencontre du Christ ressuscité et de ses disciples. Ses disciples étaient incrédules parce qu'ils étaient tout à leur joie. Tout à leur joie, ils ne pouvaient faire confiance, entrer dans un mouvement de foi. Cette joie d'être ensemble avec le ressuscité les empêchait de faire une confiance suffisante à la présence de ce Christ pour supporter de se séparer de lui, pour supporter de reprendre la distance entre lui et eux. Et pourtant, il fallait la reprendre cette distance ! L'Ascension que nous célébrons jeudi nous dit cela.

Notre vie tout entière n'est que séparation et prise de distance. Voyez l'histoire de Jacob qui est en fuite, qui est seul, qui découvre la solitude. Lui qui était toujours auprès de sa mère dans la maison à aider à la cuisine, il se sépare d'elle, il est séparé d'avec sa mère, sa mère qui le couvait, ne le lâchait pas, sa mère qui lui avait dit "va tromper ton père Isaac pour obtenir la bénédiction", il fallait qu'il se sépare d'elle. Jacob est en séparation, en prise de distance.

Il est séparé d'avec son père. Ce père qui aimait mieux (qui aimait différemment) Esaü. Comme nous supportons mal ces amours différenciés. De ne pas être tout pour nos parents, pour notre conjointe, pour nos enfants. Comme nous supportons mal cette différenciation ! Jacob se sépare de son père parce qu'il y a différence d'amour entre Esaü et lui-même.

Il est encore séparé d'avec son frère parce qu'ils ne sont pas semblables, parce que l'un aime l'indépendance, courir le monde, chasser et que l'autre est plus calme, casanier, attaché à la maison. Il a fallu que Jacob parte seul, qu'il se sépare pour commencer à exister.

Il est parti vers Haran, vers le nord-est. Partir vers le nord, c'est affronter les difficultés, le froid, vérifier sa force : partir vers l'est, vers l'orient, vers le soleil levant, c'est partir vers le lieu de sa naissance, pour connaître ses origines, pour naître à nouveau.

Mais Jacob ne sait pas qu'il cherche cela. Il est simplement en fuite et parce qu'il s'est séparé il se sent coupable. On a du mal à se séparer sans se sentir coupable. Le poids de la culpabilité pèse sur les divorces. Ce poids pèse même quand un enfant, ayant atteint l'âge adulte, quitte son père et sa mère. Ce poids pèse chaque fois que l'on casse ce cercle sacré de la famille, de l'unité, du "être ensemble". Jacob est parti : séparation et culpabilité.

Il se sent en faute et parce qu'il se sent en faute, il imagine que Dieu lui-même le punit, le rejette. Coupable d'avoir cassé l'unité, il est parti; et il se sent rejeté par Dieu. Sa séparation d'avec les hommes il imagine qu'elle le sépare d'avec Dieu. Jacob est en fuite, coupable, accusé, alors qu'il est simplement en train d'accomplir son destin d'homme : prendre de la distance, naître à nouveau, devenir lui-même.

Dieu va reprendre le lien avec Jacob; Dieu reprendra à partir de la dernière séparation que Jacob imagine : "je suis séparé d'avec Dieu". Comme le carrossier qui, quand il reprend une bosse dans une carrosserie, la reprend à partir du bord de la bosse, à partir de la dernière déformation de la tôle, Dieu va reprendre à partir de la dernière culpabilité: la séparation de Jacob d'avec Dieu.

Dieu va reprendre en posant une échelle. Le ciel est ouvert. Jacob qui avait pensé, coupant la relation avec tous les siens, couper la relation avec Dieu se trouve rejoint dans son rêve. Il est là étendu sur le sol, l'échelle monte jusqu'aux cieux (les lignes d'échalas des vignes de mon pays joignent le ciel à la terre comme une échelle de Jacob). Dieu dit ainsi à Jacob que la séparation n'est pas ultime. Il lui dit que le ciel est ouvert. Les anges montent et descendent et en même temps Dieu dit : "la séparation reste, tu ne montes pas au ciel, je ne descends pas sur la terre, nous ne nous rejoignons pas, mais la séparation nous sert à communiquer".

L'enfant au sein de sa mère communique-t-il avec sa mère ? L'homme en union mystique avec Dieu communique-t-il encore avec lui ? Le couple lorsqu'il est totalement fusionnel n'échange pas, il bat au même rythme. Dieu reste au ciel, Jacob sur la terre, mais des messages courent de l'un à l'autre, montent et descendent l'échelle. La séparation signifie possibilité d'entrer en relation, possibilité de dialogue entre deux personnes.

Dieu reste au ciel. Dans la prière, Notre père qui es aux cieux signifie : Dieu est hors de notre atteinte ! Lorsque nous disons de nos morts ils sont montés au ciel, nous disons qu'ils sont hors de notre atteinte. Nous ne pouvons pas et nous n'avons pas à nous unir à eux. Je dirai même que tout vis à vis, toute personne que je rencontre est au ciel pour moi : je n'ai pas à mettre la main sur elle. J'ai à respecter la distance pour que les anges puissent circuler entre nous. Le ciel reste séparé de la terre, non plus pour une coupure, mais pour un interdit, (un inter-dit) : pour que des mots (des dits), passent entre les partenaires, pour qu'un dialogue existe. La séparation signifie échange possible. Je suis séparé pour communiquer. On peut dire ainsi que Dieu a maintenu la distance, qu'il sauvegarde la communication avec Jacob.

On peut aussi faire une autre lecture : Jacob aurait pu monter l'échelle, Jacob aurait pu rejoindre le ciel, Jacob avait cette porte ouverte, cette possibilité. Que n'a-til pris la main d'un ange pour monter vers son Dieu !
Jacob n'a pas voulu réaliser l'Ascension. Il a voulu rester planté en terre - il a même dressé la pierre qui lui servait de chevet pour la planter profondément dans la terre - s'y enraciner. Jacob sera le "premier" du peuple de Dieu (dans la Bible quand on parlera de peuple de Dieu on dira toujours Jacob) parce qu'il a refusé de monter au ciel. Parce qu'il a dit : "c'est ici que je vis. Je reste homme, parmi les hommes". Jacob a préféré rester sur la terre, pour vivre l'espérance du retour, de la réconciliation, de la reprise de contact avec son frère.

Jacob en restant sur terre oblige Dieu à descendre vers nous en Jésus. C'est lui qui ouvre le chemin de Noël. Il dit : "Dieu su tu veux retrouver le contact avec nous, il faut qu etu viennes, moi je ne monte pas. Moi, j'ai des besoins d'hommes" Vous souvenez-vous ? Jacob négocie avec Dieu. "Si tu me nourris, si mon vêtement ne s'use pas, si tu me ramènes auprès des miens, alors je t'adorerai". Jacob dit les besoins de l'homme plutôt que de monter l'échelle vers Dieu. "Si toi Dieu tu n'as pas conscience de notre existence d'homme alors il vaut mieux que tu restes dans tonciel".
Jacob est père du peuple de Dieu parce qu'il refuse de monter vers Dieu. Parce qu'il est pleinement homme. N'est-ce pas pour cela que Dieu le choisit de préférence à Esaü ? Dieu le choisit comme homme enraciné sur la terre qu'il a créée, comme homme qui ne s'évade pour monter vers le ciel.

Dernière lecture : Jacob fuyait, enfermé dans sa faute, dans la séparation qui lui pesait, dans sa solitude. Dieu est venu le désincarcérer, le désenfermer, lui rouvrir une porte, lui rouvrir une porte du ciel, un regard au-delà de sa situation. Dieu a délivré Jacob de l'enfermement où il s'était mis.

Au jour où Luc écrit le récit de l'Ascension, il désenferme le Christ. Nous pourrions le garder enfermé dans les "deux ou trois réunis en son nom". Nous pourrions le garder enfermé dans nos célébrations liturgiques et nos saintes cènes, nous pourrions le garder enfermé dans notre Bible ! Luc en nous racontant l'Ascension, désenferme le Christ, pour qu'il reprenne la distance d'avec nous et que le dialogue soit restauré.
Mais cela, c'est jeudi, jeudi de l'Ascension que nous le verrons ici à Môtier, dans cette église et, pour vous qui êtes à la radio, vous le verrez dans votre paroisse, ou en reprenant ce récit dans votre bible et en cherchant la liberté qu'il donne et au Christ et à ses disciples.

Amen.

Oh notre Dieu,
viens nous désenfermer de toutes nos prisons
Ouvre les prisons bien réelles,
en particulier celle de N et N aux Philippines et de F. en Turquie. (prière pour un dimanche de l'ACAT).
Ouvre les prions,
en particulier celle de Bellechasse tout près de chez nous.
Qu'un peu d'amitié, de relations
puissent exister entre ceux qui s'y trouvent
et nous-mêmes.
Rouvre le ciel
là où il n'est que bombes,
déluge de feu,
menaces.
Rouvre nos propres prisons,
là où ils sont enfermés
ceux qui sont guettés par les maladies,
les angoisses et les solitudes.
Donne-nous d'être anges et messagers partout où il faut relier le ciel et la terre,
rapprocher des hommes, redonner l'espérance.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Avec le Choeur d'hommes "La persévérance"