Risquer sa vie pour une Parole vraie

image

Il y a longtemps que Dieu l’avait choisi, mais il ne le savait pas. Il vivait sa vie au plus près de sa conscience, au plus près de son Dieu, mais il ignorait que Dieu l’avait choisi. Aujourd’hui, le jeune Jérémie apprend cette nouvelle : « Avant que je t’aie formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu sois sorti de son sein, je t’avais choisi. » Ça va changer beaucoup de choses. Son regard sur lui-même va changer. Encore faut-il qu’il croie ce que Dieu lui dit, que le Seigneur l’a choisi. A partir d’aujourd’hui, chaque fois qu’il jette un regard sur son parcours de vie, il va pouvoir comprendre comment ça a commencé et, bien plus tard dans sa vie, il pourra dire : « Oui, c’est vrai, c’est Dieu qui a mis sa main sur moi pour que j’accomplisse ce que j’ai accompli. Ce n’est pas moi qui ai construit tout seul ce personnage que je suis devenu. Il s’est construit en moi. Il a été tricoté en moi, par l’Esprit de Dieu. J’ai été saisi par une force qui m’a embrasé. »

Le voile sur le mystère de son origine et de sa vocation est soulevé ; le voile sur le mystère de notre origine et de notre vocation aussi. Le jeune Jérémie prend au sérieux cette parole de Dieu sur lui : « Je t’ai choisi avant ta naissance .» Il ne peut rien dire à l’avance sur son avenir, mais il découvre après coup que ce qui le constitue et ce qu’il réalise vient de Dieu !
Dans sa vie de prophète, il va être à contre-courant de sa société, il va devoir s’opposer aux puissants, il devra cogner dur, pour dire des choses désagréables. Et quand, à la fin, il regardera en arrière sur le départ de sa vie, ce sera clair : pour lui, ce n’est pas lui qui a cherché cela, c’est Dieu qui a mis sa main sur lui, qui a ouvert ce chemin, créé cette vocation en lui.
Il se souvient bien de ses hésitations, de son refus initial : « Non, ce n’est pas pour moi, je ne suis pas compétent, je suis trop jeune. » Et puis la douceur de Dieu l’avait entouré et emmené plus loin, et il réalise maintenant qu’il a fini par faire sa volonté, bien au-delà de ce qu’il avait imaginé ou même voulu et qu’il peut dire : « C’est lui, le Seigneur, qui a travaillé en moi ; c’est lui qui m’a choisi ; je me suis laissé choisir par lui, et l’ai pleinement accepté.».

En lisant ce récit, j’aime moi aussi repenser à nos jeunes années, à ce temps de jeunesse où l’on percevait que la vie se présentait à nous comme un défi passionnant, immense, et quasiment insurmontable. On se sentait petit, impuissant face à ce défi. Puis, il y a eu les formations professionnelles, les formations sur le tas, les expériences, mais ces formations nous semblaient insuffisantes pour relever le défi, le défi d’une vie sensée, le défi d’avoir un impact sur le monde environnant.
Pourtant coulait aussi en nous cette envie que la vie soit pleine, fertile, qu’elle soit significative et qu’on ait prise sur la réalité. Ce qui brûle là dans un cœur de jeune, c’est aussi ce qui lui fait peur, ce défi à relever. Mais avec quelles forces, avec quels moyens, avec quelles compétences ? Il y a des formations pour tout dans la vie, des formations professionnelles ou académiques, mais il n’y a pas de formation pour que notre vie ait un sens et porte du fruit.
En fait, ce défi perçu dans nos jeunes années reste un défi durant toute la vie : le défi de se voir engagé dans des tâches qui dépassent nos possibilités, dans des exigences qu’on ne peut satisfaire, en particulier celle d’une vie fertile et sensée, d’une vie qui réalise la volonté de Dieu.

Et puis quand on regarde avec foi en arrière, avec le regard de Jérémie, on se rend compte que Dieu nous avait pris par la main, que Dieu nous avait parlé et nous a engagés dans son chemin : certains défis ont été relevés ; d’autres ont simplement disparu comme par enchantement, et même nos échecs ont pris un sens sous ce regard.
Peut-être pourrons-nous reconnaître, nous aussi : « C’est vrai Seigneur, je reconnais que tu m’as choisi bien avant que je m’en sois rendu compte, tu m’as ouvert ce chemin que je croyais irréalisable, tu m’as rendu fort comme un buffle et tendre comme une colombe, et je vois la trace de ta main dans ma vie ».
Mais tout de même ! Il y a une tâche que Jérémie a reçue et réalisée, et que je ne voudrais pas avoir reçue : C’est celle d’arracher, renverser, ruiner, détruire, autant que de construire et planter. Et avec celle-ci, la tâche de confronter des puissants, des rois, des ministres, des prêtres, confronter ceux qui semblent capables d’opprimer ou de terroriser les autres.
Alors je me dis : Ça, c’est l’Ancien Testament, c’est pour les prophètes d’Israël, mais dans notre temps ça se passe autrement, et même déjà du temps de Jésus. Eh bien voyons cela de plus près.

Quand Jésus ouvre la bouche en public pour la première fois à la synagogue de Nazareth, c’est un jeune homme de trente ans. De belles paroles sortent de sa bouche, mais une confrontation va commencer immédiatement après. Il vient de lire un texte du prophète: « L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance. » Tous le fixent avec attention, et sa première phrase personnelle est tout à fait étonnante : « Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre est accomplie. » Tout le monde dresse l’oreille : c'est aujourd’hui que ça se passe, aujourd’hui et maintenant. Finies les menaces du futur ou les promesses qui ne sont que pour l’avenir ! Finies aussi les paroles en l’air et les verbiages des religieux et de leurs acolytes ! Finis les enseignements théoriques ou moraux ! Maintenant, Dieu vient !
Dieu s’est tellement approché qu’il ne peut plus être esquivé. Ne reportez pas à demain le temps où Dieu va s’approcher de vous, n’attendez pas vos vacances ou une retraite spirituelle ! C’est aujourd’hui ! C’est aujourd’hui qu’il se rend présent, que Dieu s’immisce dans votre histoire, aujourd’hui que l’ouverture se fait dans votre vie.
Effectivement, on ne peut y rester indifférent; quelques-uns semblent saisir ce qu’il veut dire. Ils vont « prendre » cette parole, la recevoir en plein dans le mille. D’autres, la plupart, vont la rejeter : c’est trop, c’est trop immédiat, trop proche ! Dieu si proche ! Non, c’est insupportable ! Oui, la plupart ne peuvent y entrer: "Comment ? Tu te moques de nous ! Tu n’es que le fils du charpentier et tu prétends des choses pareilles ? D’ailleurs, tu as l’air d’ignorer ce que nous vivons : les Romains sont toujours nos maîtres et nos oppresseurs. La vie est toujours difficile, les malheurs continuent de nous accabler. Tu dis que la promesse s’est accomplie, où vois-tu cela ? Le mal règne dans notre monde. Si Dieu le Tout-Puissant, avait réalisé cette prophétie, on n’en serait pas là où on en est maintenant !"
Et de nos jours, on dirait : « Tu ne vois pas toutes les guerres qui continuent dans le monde ? Et les catastrophes qui nous submergent, et le les injustices qui ne font qu’augmenter ? »

En fait, je comprends bien ceux qui contestent Jésus et qui ne supportent pas ce qu’il dit : « Où sont donc les promesses de Dieu ? Elles semblent ne jamais se réaliser. Pourquoi n’intervient-il pas dans ce monde pour rétablir l’ordre et la paix ? Comment peut-on dire que cette parole du prophète est accomplie ? » J’ai presque envie de me joindre à ce concert de contestations et je me demande si Jésus n’est pas à côté de la plaque. Puis-je me permettre cette pensée impie ? Ou bien faut-il réduire nos espérances et nos ambitions à l’intériorité ? Ça se passerait dans nos cœurs et non dans notre monde extérieur, social, politique environnemental ? Ce serait une affaire intimiste, sans rapport avec la réalité extérieure ? Mince alors ! Enfin, c’est toujours ça !
Toujours est-il que nous voyons ce concert d’oppositions grandir. Cette réaction de violente colère va menacer la vie même de Jésus : « Ils le chassent de la ville et le mènent au sommet de la montagne sur laquelle la ville était bâtie, afin de le précipiter en bas. » Ça les conduit à la limite du meurtre, tellement son affirmation les dérange. En filigrane, on voit se dessiner la passion du Christ. C’est même les préludes de son rejet pur et simpl, et de sa crucifixion, qui se joue là dès le début de son ministère.
Jésus provoque la crise dès le départ. L’enjeu est de taille. Dès l’origine, il y va le tout pour le tout, il y engage sa vie, il la risque même, pour une parole vraie. Et il ne sortira pas indemne de cette épreuve de force, on le sait bien à la fin. Il ne sortira pas indemne de cette proximité où il veut nous introduire avec Dieu.

Alors, cette promesse du prophète, cette venue de Dieu parmi nous, c’est pour aujourd’hui ou pour la fin des temps ? Question impossible pour ces gens de la synagogue, et pour nous aussi !

Jésus s’offre lui-même comme la présence de Dieu :
- Il se présente comme une occasion de se relier concrètement à Lui ;
- Il inaugure une relation, une manière d’être en relation avec Lui ;
- Il est l’intervention de Dieu dans le monde ;
- Celle d’un Être qui se met au service des autres ;
- Celle d’un Être vulnérable, mais dont l’amour est inaltérable ;
- Celle d’un Être qu’on peut rejeter, mais qui garde la relation ouverte.
Comment ? Et ce serait ainsi que Dieu intervient dans le monde ? Il ne bouscule pas toutes choses, comme au temps de la Création ? Il n’est pas inatteignable sur son trône dans le ciel, d’où il ferait les choses à distance ? Il risque sa peau, pour nous rejoindre, dès le départ et fondamentalement ! Quel drôle de Dieu ! Quelle drôle d’intervention divine ! Quelles drôles de présence et de libération !

Ça pourrait bien ne pas me plaire du tout ! Car j’espérais qu’il me laisse tranquille. Oui, j’aurais bien voulu pouvoir observer Dieu intervenir dans le monde et le voir écarter les méchants et sauver les faibles et les petits ! Mais on ne peut pas entrer en présence de cet homme-là en restant nous-mêmes indemnes ! Pas plus que Lui. Entrer en lien avec lui, c’est entrer sur ce même chemin de service que lui, où l’Être que nous sommes est entièrement impliqué, entièrement risqué. Ça ne peut se passer sans que mon monde en soit bouleversé, et pas seulement à l’intérieur ! Est-ce que c’est cet accomplissement-là que je veux ? Cette dimension de la prophétie ? Cette proximité-là ?
« L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé pour guérir les cœurs brisés. » Dans sa présence, notre guérison commence, nos blessures se cicatrisent peu à peu, la paix nous atteint. C’est aujourd’hui que ça commence. Et si ça se passe, c’est comme pour Jérémie qui le reconnaît après coup : c’est un don de Dieu.
Mais que reste-t-il de nos espérances pour le monde entier ? Pour l’histoire ? Pour notre planète ? Pour les affamés et opprimés, les déplacés et réfugiés ? La promesse de la venue de Dieu est en cours. Elle a commencé à s’accomplir, mais elle n’est pas encore pleinement réalisée. Nous sommes encore en attente, en espérance, travaillant à sa pleine réalisation ; nous souffrons même que la plénitude de la paix de Dieu ne soit pas encore réalisée dans ce monde.
C’est la souffrance des serviteurs, la souffrance de ceux qui partagent la vocation et la passion du Christ, de ceux qui sont entrés dans la communion de Celui qui a ouvert le chemin. Cette paix, cet accomplissement, nous l’attendons encore et nous y travaillons, mais nous y avons déjà goûté. Et vous êtes venus goûter combien le Seigneur est bon.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christophe Haug
Musique
Roland Gentsch, guitare; Christine Berger chantre