Eucharistie = action de grâce

image

Chers Frères et sœurs et chers amis,
Dans l’évangile d’aujourd’hui, dix lépreux viennent à la rencontre de Jésus en lui adressant cette prière : « Jésus, Maître, aie pitié de nous. », dans le texte grec : « Kyrie eleison ». Ces dix hommes sont particulièrement malheureux parce qu’ils sont porteurs d’une maladie considérée comme une malédiction dans la société où ils vivent. De tout temps, il a existé des maladies qui font spécialement peur aux hommes, des maladies sur lesquelles ils projettent toutes leurs peurs et leurs angoisses, des maladies qui jouent, en quelque sorte, le rôle de boucs émissaires. Au temps de Jésus, la lèpre jouait ce rôle. Au Moyen Âge, c’était la peste et aujourd’hui, c’est le cancer et surtout ces dernières années, le sida.
Face à ces maladies qui jouent le rôle de boucs émissaires dans toutes les sociétés, ceux et celles qui en sont victimes sont particulièrement malheureux : à la souffrance de la maladie elle-même s’ajoute la souffrance de se sentir exclu et la souffrance encore plus fondamentale de se poser la question : ce qui m’arrive, est-ce une punition, une malédiction de Dieu ? Qu’est-ce que j’ai bien pu faire au bon Dieu pour qu’un tel malheur m’arrive ? Comme je l’ai entendu si souvent dans ma vie pastorale au chevet de grands malades ou auprès de gens frappés par un grand malheur.

Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus guérit les dix lépreux et, du même coup, il montre qu’aucune maladie au monde – ni la lèpre, ni la peste, ni le cancer, ni le sida – aucune maladie, aucun malheur, aucune souffrance ne sont des punitions et des malédictions de Dieu. La maladie, la mort, la souffrance sous toutes ses formes font partie de ces puissances de mort et de désintégration qui sont à l’œuvre dans le monde et dont la présence est un grand mystère. Mais Jésus a dit et a fait tout ce qu’il fallait pour que nous sachions très clairement que Dieu sera toujours avec nous et jamais contre nous pour lutter contre toutes ces puissances de mort et de désintégration. Dieu ne donne jamais le mal, la maladie, la mort et la souffrance. Les seules choses que le Créateur de l’Univers sait inventer, ce sont la vie, l’amour, la paix, la joie, la justice et l’espérance.
Et ce qui est essentiel à souligner ici, c’est que Jésus a guéri les dix lépreux sans chercher à savoir si parmi eux, il y en avait qui avaient la foi un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout, sans chercher à savoir s’il n’y avait parmi eux que de bons juifs croyants et pratiquants. Il est vrai cependant qu’ils s’adressent tous à Jésus en disant : « Jésus, Maître, aie pitié de nous. » Mais cela ne prouve pas qu’ils ont la foi, tant il est vrai que n’importe quel être humain, quand il se trouve plongé dans le malheur, peut avoir envie d’appeler Dieu au secours.
Oui, Jésus les guérit tous et il manifeste par là l’immense tendresse de Dieu pour tous les hommes, chrétiens ou non-chrétiens, croyants ou incroyants, malades ou en bonne santé, honnêtes gens ou voyous.

Tous les hommes sans exception sont aimés de Dieu comme les dix lépreux, sans exception, sont aimés et guéris par Jésus. Mais un seul a l’idée de revenir vers Jésus pour lui dire merci et pour lui rendre grâce. Et l’on touche ici du doigt à ce qui constitue la caractéristique essentielle de la vie chrétienne et de l’Eglise. La particularité de la vie chrétienne et de l’Eglise, c’est d’être la communauté qui dit merci à Dieu et qui lui rend grâce. La spécificité de la vie chrétienne ce n’est pas d’appeler Dieu au secours quand tout va mal.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, tout le monde y pense plus ou moins une fois ou l’autre. La spécificité de la vie chrétienne, ce n’est pas non plus d’être aimé par Dieu plus que les autres et de devenir en quelque sorte les petits chouchous du bon Dieu ! Ce qui est spécifique à la vie chrétienne, à la vie de l’Eglise, c’est d’être le peuple de Dieu, la communauté de ceux et celles qui reconnaissent que Dieu aime tous les hommes d’un amour gratuit, généreux, désintéressé, inconditionnel et en réponse à cet amour de lui dire merci et de lui rendre grâce. Dans notre récit d’aujourd’hui, un seul sur dix dit merci et rend grâce : ne nous étonnons donc pas si l’Eglise militante est une minorité dans la société ?

Qu’est-ce que l’action de grâce ? Elle est constituée par deux mouvements successifs :
1. Dans un premier mouvement, je reconnais que ma vie et tout ce qu’il y a de beau, de bon et de vrai dans mon existence vient de Dieu, est un don de son amour, de sa grâce.
2. Dans un 2e mouvement, je dis merci à Dieu, je lui rends l’amour et la grâce qu’il m’a donnés en lui faisant l’offrande de moi-même avec tout ce que je suis et ce que j’ai. Et comme je découvre aussi que des millions d’êtres humains ne peuvent pas entrer dans cette action de grâce parce qu’ils sont écrasés par l’injustice, la misère et la violence, je vis cela dans la solidarité avec le monde en apportant des signes de paix, de justice, de partage, de réconciliation et d’espérance.
Or, dans le langage chrétien, il y a un mot qui – plus que tout autre – exprime ce double mouvement de l’action de grâce. C’est le mot qui désigne la Sainte Cène dans la tradition la plus universelle de l’Eglise, le mot grec « eucharistie », qui veut dire exactement « action de grâce ». C’est d’ailleurs précisément le mot employé par Saint Luc quand il nous parle du sixième lépreux qui est revenu vers Jésus en rendant grâce, en grec « euchariston ».
C’est bien dans la Sainte Cène que l’on voit le mieux le double mouvement de l’action de grâce, de l’eucharistie, puisque dans ce repas Jésus nous fait la grâce de se donner à nous et qu’en réponse à cet amour nous nous offrons à lui en vivant cela en communion avec les autres et dans la solidarité avec le monde.

Mais cette attitude eucharistique, cette action de grâce ne doit pas se réduire à la célébration de la Sainte Cène : c’est l’ensemble de notre vie, vie familiale, vie professionnelle, vie en société qui doit refléter cette réalité.
Un dernier mot encore : dans l’évangile d’aujourd’hui celui qui revient pour dire merci et rendre grâce, c’est un étranger, un païen. Il arrive fréquemment que le peuple de Dieu, l’Eglise, les chrétiens s’enlisent dans les habitudes, la routine et n’ont plus envie de dire merci à Dieu et de lui rendre grâce. Dieu peut alors avoir cette liberté de se servir de gens étrangers à notre Eglise, à notre religion et à notre foi pour nous donner l’exemple de ce que peut être une vie d’action de grâce, une offrande de soi-même.
Cela peut être, de la part de Dieu, une manière de nous stimuler, de nous émouvoir, de nous secouer et de nous réveiller. Quand cela arrive, sachons encore rendre grâce à Dieu de ce que ses interventions sont toujours plus surprenantes et plus vastes que tout ce que nous pouvons imaginer et penser, plus vastes que tous nos enfermements.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Pierre-Laurent Haesler
Musique
Sophie Guedin, violoniste