Oser dire : Je prie pour toi !

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Merci Marcel, de nous avoir permis de vivre une fois encore cette prière de Jésus. Quelle prière ! Combien de fois faudrait-il la relire pour en recevoir toute la profondeur ? Jésus pense à tellement de choses alors qu’il devrait être plutôt préoccupé par lui-même et par tout se qui se prépare.
En la relisant, en vue du culte de ce matin, ce n’est tant le contenu qui a retenu mon attention, mais, l’émotion que j’ai ressentie à sa lecture. Je me suis imaginé Jésus, seul dans le jardin des Oliviers. Ses disciples sont tellement fatigués qu’ils se sont endormis. Jésus est vraiment seul. Il se bat contre lui-même, écartelé entre le désir de fuir et de vivre, et sa décision d’aller jusqu’au bout dans l’obéissance et le don de soi.
Jésus prie. Et au lieu de prier pour lui, et pour ce qu’il est en droit de redouter, il prie pour nous. Il prie pour toi. Il prie pour moi : « Je prie pour ceux que tu m’as donnés… »
Cette prière nous invite à prendre conscience, vingt siècles plus tard, que Jésus s’est soucié de nous au dernier moment de sa vie. Et, comme s’il était le complice, Jean, l’évangéliste a beaucoup tenu à ce que nous le sachions ! En la mettant par écrit, il a tenu à ce que cette prière ne reste pas dans le secret des relations de Jésus avec son Père, mais que nous sachions qu’une de ses dernières actions avant de triompher de la mort, a été de se soucier de nous et de prier pour nous.

Quand j’étais jeune, j’étais assez peu sensible à l’idée qu’on pouvait prier pour moi. Je trouvais par contre parfaitement normal que je prie pour les autres. J’y mettais alors toute l’ardeur et la persévérance de l’adolescence. C’est avec les années que j’ai découvert que l’on priait pour moi. Alors que je n’avais rien demandé… des gens priaient pour moi. Ils me l’ont dit avec affection, et je n’ai pas osé leur demander pourquoi. De quoi avais-je besoin, à leurs yeux ? Je l’ai su parfois, j’ai dû le deviner plus souvent encore.
Aujourd’hui, on prie encore pour moi. Je ne suis plus tout jeune, alors je me laisse faire. C’est même – si j’osais le dire comme ça – c’est même une sensation de confort.
Nous avons souvent le sentiment que prier, c’est faire partie des acteurs, de faire partie du groupe de ceux qui collaborent avec Dieu à l’action même de la prière, mais la réalité de la prière c’est forcément d’être aussi, et simultanément parfois, des bénéficiaires de la prière des autres, des bénéficiaires de l’action de Dieu. Si des gens prient, il y a forcément des gens pour qui on prie. C’est logique ! Pourtant, il ne nous vient que rarement l’idée qu’on pourrait être quelqu’un pour qui on prie.

Me retrouver avec Jésus dans la fraîcheur matinale du jardin des Oliviers m’aide, d’une part, à découvrir la prière dont je bénéficie et le plaisir, d’autre part, que me procure le fait que quelqu’un me dise : je prie pour toi. Cette double réalité de la prière : on prie pour moi et on me le dit, est pour moi, une invitation à prier autrement.
Combien de nos prières restent secrètes ! Je veux dire par là : combien de nos prières sont un moment d’intimité entre Dieu et nous-mêmes, alors que nous y avons des invités. Et des invités de choix, puisque ce sont tous ceux pour qui nous prions ! Il faut bien le dire : la plupart du temps, ils n’en savent rien.
Relativement nombreux sont ceux qui pensent que prier ne sert à rien. Leur dire « Je prie pour toi » leur permettrait au moins de savoir qu’ils sont environnés de tendresse. Lorsqu’il y a prière, il y a tendresse, il y a du temps offert, il y a du désir, des projets et des attentes. Il y a surtout de l’attention. Il y a au moins quelqu’un pour qui tu comptes. Il y a quelqu’un qui se préoccupe de toi, il y a quelqu’un qui prend soin de toi et pas n’importe comment, puisqu’il invite Dieu à cette prière.
Quand tu pries, tu prends soin de celui pour qui tu pries, tu lui offres de ton temps, de ton attention, de ton affection. Dans tous les cas, la prière n’est pas seulement un acte de foi, c’est un acte d’amour ! Dire à celui pour qui on prie : « je prie pour toi », c’est lui donner une place dans cette prière. Il n’en est pas seulement l’objet, il en est le partenaire. Il peut désormais y prendre part, il peut aussi exprimer davantage ses attentes et ses besoins. Il peut aussi ressentir l’action même de cette prière, dans sa personne et dans sa vie. Plus encore, il n’est plus seul dans sa prière silencieuse et souvent solitaire. Fort de cette solidarité qu’il connaît maintenant, qu’il sait, sa confiance se fait plus sereine.

Lorsque le Christ prie pour ses disciples, il ne s’éloigne pas trop, de telle sorte que ceux pour qui il prie le sachent. L’évangéliste, lui, mettra cette prière par écrit, de telle sorte que l’humanité ne l’oublie jamais !
Au cours de nos cultes, communautaires ou privés, au cours de nos méditations, nous prions. Nous prions pour des personnes, pour des peuples, nous prions pour des gens d’ici, des gens au loin, nous prions pour que ceux qui sont en guerre et en haine, connaissent la paix et l’amour, nous prions pour que ceux qui n’ont que misère et souffrance à endurer, connaissent le plaisir et la joie de vivre, nous prions pour que ceux qui ont la charge des décisions à prendre, conduisent vers la justice et le sens de l’histoire.
Nous prions pour tous ces gens, souvent ! Et ils n’en savent rien ! Il est extrêmement rare qu’ils sachent que nous prions pour eux, et que sans doute, plus d’une fois, nous prions avec eux ! Le monde serait changé si, non seulement nous priions pour lui, mais que nous le lui fassions savoir !
La prière serait alors réellement action. En effet : imaginons que nous fassions savoir à ceux qui vivent dans la misère que nous prions pour eux. Imaginons que nous fassions savoir à ceux qui ont le pouvoir des décisions pour lutter contre cette misère, que nous prions pour eux. Imaginons que nous fassions savoir à ceux qui ne connaissent que la haine et la guerre que nous prions pour eux. Imaginons que nous fassions savoir aux dictateurs et aux bellicistes que nous prions pour eux.
Certains se moqueraient, ou hausseraient les épaules sûrement ! Mais plus nombreux seraient ceux qui verraient alors des visages surgir et sortiraient du sentiment d’être abandonnés à leur sort. Ils découvriraient que quelqu’un se préoccupe d’eux. Notre prière ne serait plus une attitude secrète connue de quelques-uns et de Dieu seul, elle deviendrait relations et communions humaines effectives.
Si au lieu de laisser la place aux moqueurs qui font profession de critiquer et de rire des dirigeants et des grands de ce monde, nous leur envoyions un petit mot, pour leur dire : « Je prie pour toi… ». Cela ne ferait pas taire les premiers, mais cela porterait, ferait réfléchir ou encouragerait les seconds.

Jésus a prié pour ses disciples. Il s’est arrangé pour qu’ils le sachent. L’évangéliste l’a écrit pour que le monde ne l’oublie jamais ! Et que l’Église découvre et annonce que le Christ a prié pour toute l’humanité, parce que son Père la lui avait confiée.
Nous prions fidèlement, et c’est bien ! Mais c’est beaucoup trop souvent dans le secret. Il est vrai que Jésus nous invite à le rejoindre dans le secret de notre cœur. Mais il n’a jamais dit que nous devions garder cette prière secrète. Surtout lorsqu’elle a concerné une sœur et un frère que nous portons dans nos pensées.
Il arrive qu’on se décourage de la prière. On la voudrait tellement efficace qu’on n’ose pas dire à celui qui meurt de faim et d’abandon : « Je prie pour toi »… On a peur d’être indécent. En fait ce n’est pas tellement la prière qu’on juge inefficace. Mais notre propre action. Nous sommes tellement démunis que nous ne savons pas comment faire autrement que de prier pour celui qui, malgré notre prière, mourra de faim et d’abandon.
Nous avons honte de ne lui offrir qu’une prière qui ne change rien à sa détresse.
Lui dire : « je prie pour toi », ne l’empêchera pas de mourir de faim. C’est vrai, mais il ne mourra pas d’abandon. Triste consolation ? Scandaleuse procédure de déculpabilisation ? Voire ! Lorsque j’ai osé dire « Je prie pour toi », lorsque j’ai franchi ce pas, lorsque j’ai établi une relation en le disant, lorsque j’ai pris visage en me révélant, je commence à m’engager.
C’est tant que je ne disais rien de ma prière, que je pouvais continuer à vivre sans être là, à côté de celle ou de celui que je portais pourtant dans ma prière. Je laissais faire Dieu. Je l’abandonnais à une hypothétique action divine. C’est la même chose que de dire : « Je ne prie pas, parce que ça ne sert à rien ! » Souvent je ne prie pas, mais je ne fais rien non plus !

Jésus nous invite à ne pas nous comporter comme si nous avions honte de notre prière. Comme si nous avions honte de nos désirs de paix, de justice et d’amour. Comme si nous avions honte de nos générosités, de nos solidarités et de nos élans. Quelle que soit la situation que nous puissions vivre, entendre quelqu’un nous dire : «Je prie pour toi », change le monde, change en tout cas déjà un petit coin de ce monde, puisque quelqu’un s’intéresse à moi, je compte dans la pensée de quelqu’un.
Ta condition est toujours la même ? Peut-être, mais tu n’es plus seul. Tu réalises que tu es entouré d’une multitude de personnes qui te portent dans leur attention et leur amour. Ce matin, dans la fraîcheur du jardin des Oliviers, Jésus commence à nous donner sa vie. Avant d’affronter ses juges, avant d’affronter la mort et d’en triompher afin que naisse ton espérance, il te porte déjà dans sa prière, il tient beaucoup à ce que tu le saches et que tu ne l’oublies jamais.
Tu es dans la prière de quelqu’un qui t’aime. Tu portes ceux que tu aimes dans tes pensées et tes prières. N’oublie pas de le leur dire.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Isaline Gerhardt
Musique