"Qu'est-ce qu'on rallume"

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Nazareth, c’est un petit village, perdu dans la campagne, aux maisons adossées aux rochers de la colline ; un ange va y visiter une toute jeune fille, Marie; on ne sait rien d’elle ou presque. Silhouette à peine esquissée que l’ange vient cueillir chez elle, au plein milieu de la banalité de son quotidien. Marie est dans le temps des promesses. Elle est fiancée à Joseph ; fiançailles qui, à cette époque ont déjà valeur de mariage.
L’ange, c’est Gabriel. Il lui parle : « Réjouis-toi ! Le Seigneur t’a accordé une grande faveur, il est avec toi ! » Marie est troublée, bouleversée. Elle n’a rien demandé, elle n’attend rien de particulier de Dieu. Elle est choisie avant d'avoir choisi quoi que ce soit.
Gabriel la rassure vite: « N’aie pas peur, tu as la faveur de Dieu ! » Il se répète, parce qu’entre Marie et Dieu, il n’y a pas de place pour la crainte. C’est de la crainte que naît le doute, et entre eux il n’y a là de place que pour la confiance. Et il lui livre l’énorme, l’incroyable nouvelle : Elle va mettre au monde un fils, le Fils du Très Haut, le Roi d'Israël, celui que les prophètes ont annoncé.
« Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » demande-t-elle. Cela n'adviendra pas plus tard, mais déjà maintenant. Sa question tire vers le présent une promesse que tous les verbes de l’ange annoncent au futur. « Ce qui est en train de germer en toi sera appelé Fils de Dieu et la venue de Dieu faite d’ombre et de souffle est déjà à l’œuvre. »

Marie se laisse toucher par l’amour de Dieu. Aimer demande une grande confiance, le don de soi. Marie aime, elle acquiesce, même plus, elle espère le rôle que Dieu lui confie pour sa vie. Elle accepte de s’exposer à l’incompréhension de ceux qui l’entourent, à la déception de son fiancé : qui pourrait en effet, comprendre son indicible secret ?
Elle attend le Fils de Dieu. Et quand elle répond à l'ange : « Je suis la servante du Seigneur », elle ajoute:« J’ignore ce que tout cela signifie, mais j’ai confiance en Dieu, j’ai confiance en toi et je crois que ce qui se produira sera bon. »
Marie n'a pas dès le début une vision claire de l'avenir de son fils. Elle sera une mère comme toutes les mères, dont Jésus devra se distancer, une mère qu'il faudra consoler comme toutes les mères.
Mais un monde nouveau advient, parce qu'elle se laisse bousculer, elle, une femme toute humaine ! Il est bien difficile dans le récit de l’annonciation, de savoir ce qui relève véritablement de l’expérience de Marie. Faut-il alors n'y voir qu'une mise en scène des débuts de la vie de Jésus ? Sûrement pas.
Si je suis touchée par ce qui arrive à Marie, c’est parce que j'y découvre, avant la mère qu'elle va devenir, une sœur pour m'apprendre la confiance. Une sœur toute simple, réaliste, qui ne se vante de rien mais qui sait dépasser ses peurs et s'ouvrir à l'inconnu.

Nous vivons aujourd’hui des temps marqués par la peur : la peur de l'avenir, la peur de la crise, la peur des autres, celle de la violence, la peur de ce que nous ressentons à l’intérieur de nous-mêmes. Marie, par sa position, vient rallumer nos vies à la confiance. Elle est celle qui ose se lancer, qui ose allier le fragile et le courage. Mais qu’est-ce que la confiance ?
Comme pour Marie, ma confiance se construit non à partir de moi-même, mais à partir de quelque chose qui m'a été donné. Et dont il ne tient qu'à moi de le laisser grandir. Elle se construit sur les premiers attachements du tout petit ; dans ses sourires échangés entre sa mère et lui, dans le douceur des caresses, dans les bras qui l’entourent, dans tout ce qui lui fait comprendre qu’il est aimé tel qu’il est et qu’il peut apprivoiser la vie et le monde. Elle tient ensuite au cœur du regard bienveillant porté par les autres et sur les autres.

Elle s'accommode du tissu de nos vies, un tissu aux inévitables trous, aux petites comme aux grandes déchirures, aux morceaux rapiécés comme aux parties finement travaillées et brodées ! L’enfance idéale n’existe pas et nous portons tous en nous, souvent sans le savoir, un bout d’enfance incomprise ou malmenée. Il ne peut en être autrement.
Mais, il faut le souligner, la confiance n'a rien de magique, elle n’est pas donnée à certains comme en supplément; non, la confiance en soi comme la confiance dans les autres et dans la vie, c'est une disposition qui existe en chacun, et qui s’expérimente. On croit souvent qu'elle viendra quand on sera devenu quelqu’un, avec une belle maison, une belle voiture, de beaux enfants, de l’argent ou quand on aura pu améliorer ce qui dérange en nous. Eh bien là, on fait erreur.
Parce que la confiance se construit sur ce que nous sommes, à partir de la réalité toute banale de ce que nous sommes, sur l'acceptation de nos qualités comme de nos défauts. Il n'y a pas à chercher à être quelqu'un d'autre, il y a à grandir en humilité.
L'humilité, cela n'est pas imaginer qu’on est un moins que rien, cela n'est pas s'humilier. C'est reconnaître, en devenant de plus en plus authentique, ce que nous sommes, avec nos talents, avec nos forces, mais sans vantardise, sans chercher à impressionner qui que ce soit, avec justesse. C’est se savoir petits, limités mais aussi appelés à se dépasser. Comme Marie. C’est un trésor précieux, à garder en mémoire, pour toutes les traversées difficiles de notre existence.

La confiance se bâtit donc dans l’échange, dans les moments de rencontres, ceux qui nous permettent d’exister, là aussi simplement tels que nous sommes. Ce sont des moments rares, mais précieux où être soi-même, se révéler dans notre intimité, dans ce qui fait le cœur de nous-mêmes est possible et peut se dire dans un véritable dialogue. Vous savez, un dialogue vrai, on le reconnaît parce qu'on n'en sort pas comme on y est entré.
La confiance est active, elle reçoit. Elle est ouverture vers l’autre, capacité de se tourner vers lui, communion d’amour. Si la confiance est là, c’est que nous choisissons d’en faire activement partie. Elle demande de l'énergie, elle demande – comme pour Marie quand l'ange vient la trouver – que nous donnions du poids à ce qui vient de l'autre, que nous nous laissions rencontrer. Les présupposés n'y ont pas leur place !
Oui, la confiance nous est donnée, déjà avant notre naissance, donnée par notre histoire humaine, mais aussi donnée par notre histoire avec Dieu. Dieu nous aime et comme pour Marie, il souhaite pour nous la vie, la croissance de la vie. À nous aussi, il demande un oui radical à ce qui vient de Lui.
À nous de nous souvenir des paroles qu'il nous dit, des appels qu'il nous lance. À nous de nous confier à lui, d’ouvrir notre âme à sa confiance. De redire avec le psalmiste : « A l'ombre de tes ailes, je m'abrite, jusqu'à ce que le malheur soit passé. » (Ps 57, 2); « Notre Dieu est tendresse, le Seigneur défend les petits: j'étais faible et il m'a sauvé. » (Ps. 116, 5b-6); « Je ne rêve pas de grandeurs qui me dépassent, mon âme se tient tranquille et sereine comme l'enfant qui s'endort tout contre sa mère. » (Ps. 131, 1-2).
Chacun de son côté, Dieu, comme nous, a son rôle à jouer, pour que la confiance reste vivante et grandisse. Avec son Fils, Dieu se livre au risque de la rencontre ; il vient vers nous par un enfant vulnérable, désarmé et fragile – et c'est bien là que nous sommes invités à un retournement de notre manière de le penser, lui Dieu. Le Dieu Très Haut se fait le Très Bas. Ce retournement nous le rend proche et il nous interpelle !

Dans une de ses pièces de théâtre (Le Visiteur – Actes Sud, 1995), Eric Emmanuel Schmitt fait dire à Dieu :"Pourquoi vous aurais-je faits si ce n'était par amour ? Mais vous n'en voulez pas de la tendresse de Dieu, vous ne voulez pas d'un Dieu qui pleure, qui souffre… Oh oui, tu voudrais un Dieu devant qui on se prosterne, mais pas un Dieu qui s'agenouille. »
Ce Dieu qui s’agenouille, ce Dieu tout simple s’offre à nous tous. Quelque part, nous sommes tous enceintes ou enceints, de sa présence en nous. Tous invités, comme Marie, à faire notre part, parce que sans nous, Dieu ne peut rien.
Nous pouvons ainsi vivre avec courage, confiants parce que nous sommes habités par Lui qui nous permet de vivre dans le monde sans jamais nous abandonner au désespoir. Alors que l’avenir est incertain, cela nous permet de dire que Dieu est un Dieu d’amour, même quand nous voyons la haine autour de nous, un Dieu de vie, même lorsque nous voyons l’angoisse et le malheur.
À nous aussi tout ordinaires que nous soyons, Dieu veut parler. Tels que nous sommes, il nous invite à danser notre vie avec lui. À nous aussi, il envoie des messagers qui sont signes de sa présence. Ne sommes-nous pas nous aussi entourés d'anges qui nous disent la tendresse qui peut lever les peurs et libérer l’amour ? Nous pouvons faire nôtres ces mots de Francine Carrillo (Braises de douceur, Ed. Ouverture, 2002) :
« Ce qui nous arrive, c’est que Dieu n’a pas d’autre chemin que nous pour venir jusqu’à nous.
C’est en nous que la douceur attend de faire son lit
C’est à nous qu’il revient de bercer Dieu. »

Oui, Dieu est en attente de notre tendresse, Dieu est en attente de notre confiance. Toi, ma sœur d'ici, toi ma sœur d'ailleurs, toi mon frère, tu es béni, Dieu fais germer la vie en toi !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne-Lise Vuilleumier Luy
Musique
Choeur Alphega, direction Annamaria Barabas