Alors cette fête de Noël 2008 ? Un bon cru ? Sur l’échelle du bonheur, quel échelon ? 2 ? 5 ? 8 ? Pour certains : Noël, mention : « peut mieux faire ». Beaucoup d’espérance et beaucoup d’illusions. Une grande attente et puis finalement, un grand vide. Et pour cette famille de chez nous que nous avons entourée ce vendredi pour un dernier au revoir à un proche. Quel goût a la fête ? Pour d’autres, la fête avait la saveur des moments inoubliables. Celle de la famille rassemblée, des retrouvailles célébrées et de la joie partagée. Le ciel est alors sur terre pour qui sait accueillir le cadeau. Nous le savons bien, Noël est un temps redoutable. Capable du meilleur comme du pire. Et plus on s’investit et plus l’attente est grande. On voudrait que tout aille si bien ! En tout cas, au moment des fêtes. Dans ce constat souvent en demi-teinte, où sont alors la joie, l’harmonie, le bien-être qu’on attendait ? Qu’on attendait comme le Messie ?
Dans le récit de l’évangile de ce dimanche, il en est un qui l’attendait, de pied ferme, le Messie. C’est Siméon. Un homme âgé. Il avait plus de chemin derrière lui que devant. Mais il avait un secret. Il savait que ses yeux ne se refermeraient pas avant d’avoir vu le Messie. C’est pourquoi il avait gardé une âme d’enfant. Il était «assidu dans l’espérance». Capable d’émerveillement.
De lui, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est ses qualités intérieures. Juste, pieux et fervent. Et Siméon l’émerveillé a l’œil vif. L’œil vif de ceux qui espèrent, de ceux qui attendent encore quelque chose de la vie, qui attendent encore quelque chose des autres, qui attendent encore quelque chose de Dieu. Semblable à ces personnes dont parlait Victor Hugo : «Dans l’œil des jeunes on voit l’étincelle, mais dans celle des vieillards on voit la lumière ». N’est-ce pas une réalité formidable, être capable d’émerveillement quand la vie vous en a fait voir de toutes les couleurs ?
Émerveillé. Tel est aussi l’homme qui est arrivé la semaine dernière ici à Moudon. Faisant partie d’un groupe d’Érythréens dispatché dans différents centres d’accueil Et quand on dit centre d’accueil, on s’interroge sur le sens du mot accueil ! Mais pour cet homme, le jour se lève, la lumière point. Même s’il n’a pour unique richesse que les quelques vêtements qu’il porte sur lui, Il revient de loin. Traversée du désert du Soudan, puis celui de Lybie. Traversée de la mer Méditerranée sur un bateau de fortune en plastique. Il en a traversé des épreuves. Et d’avoir vu, autour de lui, mourir dans les pires conditions, tant de ses semblables. Mais cet homme s’émerveille et rend grâce. Il remercie d’être arrivé là. Et en plus il dit que c’est grâce à Dieu. N’y a-t-il pas là quelque indécence ? Folie ? Ferveur ?
2 hommes, 2 contextes radicalement différents, mais une même approche humaine. Celle de dire le consentement. En toute situation. Et être capable d’émerveillement. « L’émerveillement, la seule qualité humaine qui n'a pas son contraire.» disait le philosophe Kierkegaard.
Et le récit évangélique de ce jour nous invite à entrer dans un événement qu’on pourrait appeler : regard sur un enfant. Ses parents, Joseph et Marie en emmenant Jésus, sont venus au temple selon les prescriptions de la loi. Pour faire comme il faut. Mais dans ce haut lieu de la légalité va surgir l’inattendu, l’inespéré. La surprise ! Le temple de Jérusalem est traditionnellement compris comme le lieu de la manifestation de la gloire de Dieu. C’est bien pour ça d’ailleurs que le croyant fidèle Siméon s’attend à y voir le Messie. Mais la présence de ce Messie va révéler un avenir bien différent. Sacré Dieu qui aime nous faire des farces ! Désormais le temple va arriver au terme de sa mission. Le Christ prendra le relais et sera lui, dans sa chair et dans son oeuvre, le garant de l’unité et de la communion avec Dieu. Et plus encore, chacun, chaque être humain sera dorénavant temple de l’Esprit par Jésus, fils de Dieu et frères des hommes. Cadeau de Noël !
C’est donc bien au travers d’une rencontre, comme souvent, que Dieu se manifeste. Un geste, un regard, une parole. Et la vie change. Du tout au tout. «Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples : lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple.» (Luc 2, 30). Il y a là un échange. Si Dieu a choisi de venir parmi les hommes, ce n’est pas pour les regarder de haut, mais pour être face à face. «Je le contemple et il me regarde.» écrivait Dietrich Bonhoeffer.
L’enfant se laisse accueillir. Il fait confiance. Il passe des bras de ses parents à ceux de Siméon. Lui ne prend pas, il reçoit. La vigueur de son existence, qui petit à petit s’amoindrit, s’est transformée en douceur. Il y a en lui la force de la tendresse. Le geste est quasi maternel. Il y a là un appel à se laisse toucher, comme l’homme âgé par l’enfant. À se laisser toucher par la grâce de Dieu qui se manifeste. À se laisser toucher par l’amour de Dieu qui se renouvelle et qui dit sa fidélité. Comme cela nous est rappelé ce matin dans le texte du prophète Esaïe (49, 15-16): «Le Seigneur répond : «Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle nourrit ? Cesse-t-elle d’aimer l’enfant qu’elle a porté ? À supposer qu’elle l’oublie, moi je ne t'oublie pas. J'ai ton nom gravé sur les paumes de mes mains.» Cadeau de Noël !
Entre Jésus et Siméon, il y a rencontre. Au-delà des mots. On peut s’étonner de ce rapprochement. Qu’ont-ils en commun ? Ce vieux et ce jeune ? Mais là, pas de conflit de générations. Dans le face à face qui les rassemble, il n’y a pas opposition, voire même confrontation. Pas de ces face à face hostiles comme on l’a vu récemment en Grèce, en France ou en Suède, dans les rues, entre jeunes ou lycéens et des forces de l’ordre représentants des autorités. Où chacun cherche à imposer sa loi. Et on les comprend ces jeunes en quête d’identité et d’avenir dans une société qui n’a plus d’idéal à leur proposer.
Dans la rencontre qui a lieu ce jour-là, il n’y a pas de rapport de force. Dieu, car c’est lui le metteur en scène, établit simplement un pont. Un lien. Une relation. Chacun garde son identité. D’un côté, Siméon et son expérience de la vie. Il en a parcouru du chemin. Ça en fait des plaies, des bosses, mais aussi de la confiance, du lâcher-prise. Il est porteur et mémoire du passé. Racines de l’arbre. De l’autre côté, la jeunesse, la nouveauté, le futur, l’avenir. Fragilité et souffle. Jeune rameau naissant. Bien souvent dans la vie, ces deux conceptions du monde s’affrontent et ne trouvent pas de terrain d’entente. Quel gâchis !
Il y a ceux qui proclament : «Ah de mon temps !». Les donneurs de leçons chantent l’air de : «Autrefois, c’était mieux ! » Et Siméon aurait pu être de ce genre à glorifier l’âge d’or des valeurs. L’Église, elle-même, ne résiste parfois pas à ces chants de sirènes. Mais cet homme a en lui des ressources insoupçonnées. Il espère. Et cela change tout.
Et face à lui, l’enfant-roi. Celui qui fait ce qu’il veut ? Le capricieux ? L’orgueilleux ? Magnifié par les tenants du jeunisme dans leur sorte d’extrémisme mercantile ? Ou le porteur d’une humanité qui accorde à chacun valeur et respect ?
Il y a de part et d’autre dans cette rencontre, un accueil véritable. Mieux, une reconnaissance. L’autorité n’est pas là où on la cherche. Dans le regard échangé, il y a toute la source d’un être ensemble fécond qui ouvre des perspectives communes. Le peintre Vincent Van Gogh, grand spécialiste du regard écrivait ceci à son frère Théo : « J'ai peint quelques études, où l'on voit la cathédrale. Néanmoins, je préfère peindre les yeux des hommes; il y a quelque chose qu'il n'y a pas dans les cathédrales, même si elles sont majestueuses et qu'elles en imposent… Je voudrais peindre des hommes et des femmes avec je ne sais quoi d'éternel… Un enfant dans un berceau également, si on le regarde à son aise, a l'infini dans les yeux. ». Cadeau de Noël.
Et s’il y a alors rapprochement possible, c’est bien dans le terrain choisi. La rencontre, voire la réconciliation des deux mondes, se fait dans le : «maintenant». «Maintenant mes yeux ont vu la lumière. Maintenant je peux m’en aller en paix.» Ce maintenant précise le caractère unique de l’événement. En tirant chacun la couverture à soi, les deux protagonistes principaux auraient raté la rencontre. Mais en entrant de plain-pied dans le « maintenant », ils ouvrent un chemin de vie. Cadeau de Noël. Cette réalité rejoint cette phrase délicieuse écrite par Victor Hugo (décidément bien inspiré) : «Hier, c’est le passé, demain, c’est l’avenir, mais aujourd’hui est un cadeau. C’est pour ça qu’on l’appelle le présent. » Je le crois profondément, pour celui qui sait accueillir le « maintenant » de la vie, le « maintenant » de Dieu, chaque jour de l’existence peut être un cadeau. Indépendamment de ce que l’avenir nous réserve. Car c’est bien dans ce « maintenant » que Dieu se manifeste et assure sa bénédiction.
Dans la liturgie de l’église, le cantique de Siméon est chanté lors de la prière quotidienne du soir. Il y a là un parallèle entre le soir de la journée et le soir de la vie. Et pour nous, placé dans ce temps de fin d’année où parfois on regarde en arrière pour évaluer le chemin parcouru, que retenir de cette année 2008 ? Quels en ont été les fruits ? Doux ou amers ? Que retenir, que vivifier, que transmettre pour 2009 ?
Comme pour Marie, le glaive de l’existence nous portera certainement quelques coups redoutables, mais le Dieu vivant a choisi de se lier à nous de façon irrémédiable, et ce dès « maintenant ». Alors, même dans la fragilité, dans les fêlures, dans la finitude de nos vies, la lumière et la paix de la présence de Dieu se manifestent. Émerveillement. Cadeau.
Amen !