Demande un signe pour toi au Seigneur… dit le prophète Esaïe à son roi, Achaz. Cette invitation peut étonner, car le signe n’a pas forcément bonne presse dans la Bible. Jésus renvoie sèchement ceux qui lui demandent de leur montrer un signe qui prouverait qu’il est vraiment l’envoyé de Dieu. Et bien plus tôt, lors de la traversée du désert, Moïse avait reproché à son peuple son manque de confiance, sa versatilité lorsque tous avaient demandé un signe, un miracle qui mette immédiatement fin à leurs difficultés. Pourquoi mettez-vous le Seigneur à l’épreuve ? avait alors soupiré Moïse (Ex 17, 2).
Le roi Achaz, invité par Esaïe à demander un signe à Dieu, semble donc donner une réponse tout à fait adaptée et pieuse : "Je n’en demanderai pas et je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve." Seulement, cette réponse ne trompe pas Esaïe et encore moins Dieu, qui sait que ce langage religieusement correct, comme nous dirions aujourd’hui, ne fait que masquer le manque de foi, l’indécision et la peur du roi. Que se passe-t-il ?
Achaz se trouve dans une situation inextricable : son royaume est menacé d’un côté par le grand et puissant empire assyrien qui, après une période de faiblesse, entend bien reprendre le pouvoir sur tout le Moyen Orient. De l’autre côté, il y a les deux rois voisins, décidés à enrôler de force Achaz dans leur ligue contre l’Assyrie. Le roi penche vers une soumission inconditionnelle à l’Assyrie, lorsqu’on lui annonce que les troupes des rois voisins menacent déjà les frontières de son pays. Le texte dit : on annonça, on rapporta à Achaz… Le verbe fait penser à une rumeur qui se répand bien plus qu’à un rapport militaire précis. On raconte, on rapporte…
Alors son cœur et le cœur de son peuple tremblèrent, comme tremblent les arbres de la forêt sous l’effet du vent. Le roi Achaz, tremblant, paniquant, ne sait que faire ni que croire. Et son peuple non plus. Ils écoutent la rumeur qui les paralyse, qui empêche toute analyse, toute réflexion tranquille.
C’est dans cette situation que le prophète Esaïe est envoyé à la rencontre du roi pour lui dire : "Prends garde et reste calme, ne crains pas !" Suit alors un avertissement adressé au roi comme au peuple : "Mais si vous ne tenez pas ferme, vous ne serez certainement pas affermis !" Tenir ferme, avoir confiance, ce sont des synonymes de croire. Le texte hébreu emploie un verbe dérivé du mot amen, qui signifie : tenir pour sûr, rester ferme, avoir confiance. Chaque fois qu’à la fin d’une prière nous disons amen, nous confirmons : oui, c’est vrai, nous y croyons fermement.
Si vous ne tenez pas ferme, vous ne serez pas affermis. On pourrait aussi traduire: si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas (TOB). Cette phrase, dit Martin Buber, est le cœur du message de tous les prophètes d’Israël : si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas (TOB). Si vous ne tenez pas ferme, vous ne serez pas affermis.
Or, le roi Achaz, tremblant comme les branches d’un arbre agitées par le vent, ne tient pas ferme, il ne croit pas et il sera pas non plus capable de comprendre la portée du message que le prophète adresse au roi comme au peuple.
Esaïe est chargé par Dieu d’annoncer les conséquences désastreuses de leur attitude : Le pays sera envahi, dévasté, laissé en ruines. Mais en arrière-fond de ce message de malheur se dessine déjà le salut, un avenir de paix et de prospérité où Dieu sera à nouveau avec son peuple. Et cet avenir est symbolisé par deux enfants. Il y a d’abord le fils d’Esaïe, qui, selon la demande de Dieu, accompagne son père à la rencontre avec le roi. Shéar-Yashouv, son nom signifie : un reste persiste, un reste retournera.
Ce petit garçon incarne la promesse, il sera de ceux qui resteront, qui tiendront ferme. De combien de personnes sera composé ce reste, ce nouveau peuple ? Personne ne le sait, il n’y aura peut être que quelques-uns, mais ce pourrait aussi être la majorité du peuple. Le choix appartient à chacun. Qui tiendra ferme, restera.
Et ce peuple, dont le petit Shéar-Yashouv est le symbole, sera guidé par un roi dont le nom même est promesse : Emmanuel – Dieu avec nous. Il n’est pas encore né, ce futur roi si différent d’Achaz, annonce le prophète, mais ce sera pour bientôt, car la « jeune femme est enceinte ». Voici le signe que Dieu donne malgré le refus d’Achaz : la naissance d’un enfant. A première vue un signe peu étonnant, car chaque jour naissent des enfants. Et si, pour les parents, la naissance de leur enfant est bien un miracle, elle n’enthousiasme pas forcément les foules.
Les signes que Dieu donne ne sont pas des miracles spectaculaires qui éblouissent, il faut ouvrir les oreilles, les yeux et le cœur pour les apercevoir. Dans cet enfant à naître, Emmanuel, les Chrétiens ont toujours vu une annonce de la naissance du Christ, et pour nous ce texte est relié à Noël, nous le lisons habituellement dans le temps de l’Avent.
Jean Calvin, dans son commentaire, donne de ce passage d’Esaïe une interprétation originale. Partant du verset : "Crème et miel il mangera jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien", Calvin explique que par ce passage est confirmée la véritable humanité du Christ. Car que Dieu puisse naître d’une femme est chose inconcevable et inadmissible pour le bon sens. Afin d’éviter qu’on puisse voir en Jésus une sorte de chimère, un produit de l’imagination, le prophète démontre, dit Calvin, que le Christ est vraiment né « en chair et en os », en racontant qu’il a reçu la même nourriture et la même éducation que tous les enfants humains.
Je cite Calvin : "Les juifs avaient, en effet, une autre méthode pédagogique que nous : ils utilisaient du miel, dont l’usage ne nous est pas habituel. Ils ont conservé cette habitude jusqu’à aujourd’hui, qui consiste à donner à l’enfant nouveau-né, avant même de l’allaiter, le goût du beurre et du miel ».
Je me suis laissée dire que cette coutume existe encore de nos jours. La douceur du miel appliqué sur les lèvres du nouveau-né lui donnerait, symboliquement, le goût de la terre promise, nous dirions, du Royaume de Dieu. Mais ce goût doit aussi lui apprendre la douceur de l’étude de l’Ecriture qu’il faut scruter et essayer de comprendre. C’est en apprenant la Parole de Dieu que l’être humain deviendra capable de choisir le bien et de rejeter le mal.
Et cet apprentissage du discernement par le goût me fait inévitablement penser au fruit défendu de la Genèse. Le serpent, au jardin d’Eden, dit à Eve : en mangeant du fruit vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. Comme des dieux, n’est-ce pas l’expression de l’éternel fantasme de l’humain de se croire tout-puissant, de disposer du tout savoir.
Je ne pense trahir ni la pensée d’Esaïe ni celle de Calvin en disant que nous pourrions voir en ce passage du prophète un contre-modèle de l’histoire de la chute au jardin d’Eden. Calvin parle de l’apprentissage du discernement entre le bien et le mal dont l’humain doit recevoir le goût avant même de connaître celui du lait maternel. Cet apprentissage qui passe, il ne faut pas l’oublier, toujours par la lecture et la méditation de la Parole de Dieu, dure toute une vie. Elle est la condition sine qua non pour la construction d’une société où règnent la justice, le droit, le partage.
Une société que Calvin aurait tant voulu établir à Genève en son temps, Mais il me semble que 500 ans plus tard, nous sommes toujours en apprentissage. Ce n’est pas grave, tant que nous le savons, tant que nous ne cessons pas d’apprendre, de lire, de scruter, de vouloir comprendre la Parole de Dieu afin qu’elle nous guide dans nos décisions tant personnelles que sociales et politiques. Il faut tenir ferme : "Si vous tenez ferme, vous serez affermis, si vous croyez, vous subsisterez."
Amen !