Le nez dans les étoiles

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Écouter le culte :

Le psaume 8 nous invite à nous arrêter, à nous asseoir, à regarder autour de nous, au près comme au loin, vers en bas et vers en haut. Poser son regard, cela prend du temps. Le temps de vraiment réaliser ce qui se présente à nous. Cela prend du temps que de prêter attention, de se concentrer, de s’appliquer. Prendre ce temps pour que s’élargisse en nous un espace. Un espace de joie et de reconnaissance. Vers qui tourner sa joie ? A qui dire sa reconnaissance ?
Le psaume 8 nous pousse à nous arrêter de courir. A nous arrêter de nous agiter. À nous arrêter de chercher à nous justifier, par notre fièvre activiste. De quoi cherchons-nous à nous justifier à nos propres yeux et aux yeux de notre monde de marchands ? Ne cherchons-nous pas à nous justifier d’exister ? D’être là, à la place qui est la nôtre. De vivre bien. D’avoir à manger et un toit. D’avoir un nom et une considération. Alors pourquoi au fond de nous, sournoisement, une petite voix insatisfaite nous tourmente-t-elle ? Elle nous tourmente et nous susurre que nos efforts ne sont jamais suffisants, que nous n’arrivons que maigrement et que temporairement à justifier notre présence au monde ?
Ce monde que le psaume 8 nous invite à regarder. Sans être effrayés. Et combien le monde était effrayant quand les loups hurlaient la nuit et qu’il était difficile de constituer des réserves de vivres et qu’il était aléatoire de guérir et qu’il était souvent mortel de mettre les enfants au monde. Et c’est en ce temps-là qu’a été mis par écrit le psaume. Ce psaume qui nous pousse à regarder le monde et nous en réjouir. De quoi se réjouir ? D’entrer dans l’automne, par exemple, avec ses couleurs et ses jeux de lumière, en compagnie de cette parole qui nous pose, nous contente et nous met en éveil.

Le psaume nous pose sous le ciel étoilé. Avez-vous cherché, ces nuits dernières, à repérer Jupiter qui, dans sa course, est au plus près de la terre ? Le psaume nous ouvre au contentement. Et l’automne contente abondamment notre appétit. A Fribourg, ce WE, c’est la Bénichon. Fête de reconnaissance pour les récoltes. Et cela se fête par de bons plats.
A vous qui êtes au loin et qui ne voyez peut-être pas les étals du marché ou ne lisez pas les encarts dans nos journaux, je rappelle ce qui nous est servi en ces jours : de la cuchaule et de la moutarde, en entrée. Puis de la soupe aux choux. Du jambon et des pommes de terre. Du gigot d’agneau, de la purée, des poires à botzi. Pour finir, des meringues et de la double crème. Et au café, croquets, pains d’anis, cuquettes et beignets. Pour faire passer le tout, une prune ou une pomme.
Qu’il sent bon le pays de Fribourg ! Profusion et contentement. Le psaume 8 nous met en éveil. Eveil de nos sens d’abord. Et de notre générosité. Et encore de notre intelligence. Et aussi éveil de notre cœur, avide de redonner à qui de droit la gratitude pour tous ces bienfaits.

Et le psaume tisse un lien entre l’abondance, la grandeur, la puissance dont nous sommes témoins face à l’univers et devant les cadeaux de l’automne et le Dieu des pères et des mères, le Dieu des alliances et des libérations. Pour le psaume, il y a un auteur, un créateur, un ordonnateur vers qui se tourner pour dire sa joie et à qui adresser sa reconnaissance. Qu’en est-il pour nous ? Une fois que nous voyons, contemplons, apprécions la beauté et la profusion qui nous entourent, comment qualifions-nous la force qui en est créatrice et garante ? Peut-être bien qu’une part en revient à nous, à notre travail, à notre savoir-faire. Mais quand même. Cela ne suffit pas. Les plantes poussent d’elles-mêmes, les astres courent sans notre intervention, les enfants se développent sans que nous contrôlions leur croissance. Alors quoi ? Qui est pour nous le Magnifique, le Puissant et le Grand dont parle le psaume ? Quel est son nom pour nous ? Comment se fait-il connaître à nous ?

Le Puissant qui choisit le tout petit : le psaume nous propose sa réponse. Le Magnifique, le Puissant, le Grand se fait connaître à nous dans la bouche des nouveaux-nés. Grand écart entre la magnificence et le riquiqui. Ce sont les plus petits parmi nous qui sont les meilleurs témoins et les célébrants attitrés de ce Dieu qui crée, qui agence, qui assure le cours de l’univers.
Jésus cite ce verset pour remettre les hauts dignitaires à leur place. C’est en les rendant attentifs aux incultes et aux insignifiants qu’il les renvoie, ces grands érudits, à eux-mêmes et à leur foi ampoulée. Calvin insiste sur cette pointe polémique. Il l’écrit joliment : « Dieu se sert des bouches des petits enfants comme d’une puissante armée. » Armée divine que Jésus convoque pour contrer ses adversaires religieux.
Selon le psaume, la manière divine de montrer force et autorité ne consiste pas à faire des autodafés de livres, ni des guerres autoproclamées saintes. La manière divine d’établir une forteresse contre les adversaires, les ennemis et les rebelles, c’est de miser sur la bouche de ceux qui ne savent articuler aucun mot, qui ne prononcent ni phrase, ni discours. C’est par la bouche des nourrissons que s’ouvre un espace protégé. Jésus reprend cela à son compte dans la situation d’adversité qu’il traverse. Dans sa passion, nous le découvrons désarmé avec si peu de mots, seul, nu quand les gardes l’arrêtent. Il a été ce petit qui fait honneur à son Père du ciel.

Quelle expérience avons-nous de cela ? L’adversité, nous la connaissons. Elle a de multiples visages. L’ennemi, nous le connaissons, en nous et hors de nous. Pour le rebelle, l’hostile, le malveillant, il en est de même. Quelle expérience avons-nous de la puissance des mains nues, de la force dans la faiblesse, de la victoire sans arme ? Qui sont pour nous les nourrissons et les bambins qui portent protection et sécurité ?
Sans doute que cela ne nous frappe pas d’emblée. Cela nous pousse à visiter notre vie et l’histoire dont nous sommes témoins avec d’autres lunettes, une autre attention, une autre vigilance. Sonder les fondations de notre maison intérieure. Avoir la vision de ce qui fait la grandeur d’une nation, l’humanité d’une civilisation, la majesté d’un peuple. Laissez-vous surprendre. La victoire n’est pas toujours là où on le pense. L’honneur n’est pas lié au prestige, ni la dignité au succès. Et c’est encore ainsi que le Magnifique, le Puissant et le Grand rend son nom admirable.

Ma grandeur dans ma petitesse : et le psaume pousse encore plus loin le paradoxe. Dans un temps où soleil, lune et étoiles étaient considérées comme des divinités, il élève l’humain à être presque un dieu. Dans un temps où la nature était une menace constante, où la vie humaine ne tenait à rien, il fait de l’humain le dominateur de cette nature immaîtrisable. Bien sûr, aujourd’hui, le rapport de force s’est inversé. Et nous savons la violence dont nous sommes capables dans notre relation au monde créé, qu’il soit fossile, minéral, végétal, animal, marin. Et c’est pourtant nous qui sommes promus à cette place d’honneur d’être à l’image de Dieu ? Nous les terreux, nous les friables, les influençables, les arrogants, les brutaux, les mortels ? Le psaume est lucide sur nous. Ce sont de tels mots qu’il emploie pour nous qualifier.
Le Dieu dont parle le psaume est Celui qui nous choisit, en toute conscience quant à notre petitesse, incompétence, folie à mal faire, incapacité à faire bien. Et il n’en démord pas. Nous sommes au centre et au sommet du monde créé. C’est bien nous qui sommes élus, associés à la plus grande des souverainetés, couronnés, honorés, promus, élevés, au plus près de la divinité. Et nous nous échinons à justifier notre existence en ce bas monde ? La réponse est ici donnée : notre place nous est assurée. Et c’est encore ainsi que le Magnifique, le Puissant, le Grand rend son nom admirable par toute la terre et au-dessus des cieux !
La question rebondit. En quoi sommes-nous presque dieu ? Réponse de Calvin : parce que nous sommes habités de raison, discernant le bien et le mal. Parce qu’en nous, il y a une semence de religion. Parce que nous savons la communion mutuelle. Parce que nous avons des égards envers l’honnêteté et honte du mal. Parce que nous nous laissons gouverner par des lois. Etonnante et foisonnante réponse. Qui est là pour nous faire réagir. Que diriez-vous de la part du divin en nous ? Restons encore assis un moment, le voulez-vous ? Prenons encore un peu de temps, le temps d’une pause musicale, pour regarder en nous-mêmes, pour penser à notre place au monde, pour cultiver notre reconnaissance et creuser notre questionnement. A l’image du psaume 8. Amen !

PREFACE (Sainte Cène)
(adapté du livret liturgique de la COTE – automne 2010)

Nous appartenons au Créateur qui nous a créés à son image.
C’est en Lui que nous respirons.
En Lui que nos vivons.
C’est en Lui que nous partageons la vie de toute la Création.

Nous appartenons à Jésus que nous reconnaissons comme Christ,
véritable image de Dieu et de l’humanité.
C’est en Lui que Dieu respire.
En Lui que Dieu vit.
C’est par Lui que nous sommes réconciliés.

Nous appartenons au saint Esprit,
qui nous fait don d’une vie nouvelle et qui consolide notre foi.
C’est en l’Esprit que l’amour respire.
Et en Lui que la vérité vit.
Le souffle de Dieu nous inspire pour toujours.

Nous appartenons au Dieu trois fois saint.
C’est en Lui que tout est un.
C’est en Lui que nous sommes créés.
En Christ, que nous sommes relevés.
Dans l’Esprit que nous sommes unis. Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Daniel Bouldjoua
Musique
Delphine Disler, flûtiste