Écouter le culte :
Surprise ! Il en va de la vie comme des rencontres, elles contiennent leur lot de surprises. D'ailleurs, les mieux préparées ne sont pas toujours les meilleures. Est-ce pour cette raison que les anniversaires ne sont pas toujours réussis ? Il y a ceux qui débutent par le fameux« surprise » où 30 invités cachés plus ou moins discrètement surgissent de nulle part dans votre salon. Et ceux que l’on vit en solitaire, en pleine introspection.
Souvent ce sont des dates propices aux remises en question qui nous obligent à jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de notre vie ou même si notre véhicule n’est pas une Chevrolet et n’affiche pas 100 ans au compteur, nous sommes renvoyés à des années de notre existence plus ou moins agréables et à des photographies de nos albums que nous aurions préféré oublier.
Pourtant il y a aussi, ces moments magiques, de retrouvailles, qui bien qu’inscrites dans une histoire passée, s’ouvrent sur un futur qu’il nous reste à construire ou quel que soit le nombre de bougies d’anniversaire placées sur notre gâteau et ce qui est inscrit dans le grand livre, nous pouvons encore nous émerveiller tant des cadeaux que la vie nous a faits que des êtres qui ont fait de nous celui ou celles que nous sommes aujourd’hui.
Car en creux comme en plein, en couleurs ou en noir et blanc nous n’existons pas sans les autres, ceux qui nous ont donné la vie, qui ont fait quelques pas avec nous, que nous avons rencontrés à un moment particulier de notre existence, qui ont su nous guider et prononcer une parole dont parfois nous découvrirons le sens bien des années plus tard.
Des rencontres, nous en faisons tous, des anniversaires nous en fêtons tous; aujourd'hui c’est à l’occasion du 250e anniversaire de ce temple que nous allons vivre une série de trois cultes retransmis de ce lieu.
Grâce à l’engagement de notre communauté paroissiale et de laïcs merveilleusement motivés, avec le soutien de la radio suisse romande et de chacun de vous relié par le fil invisible de la foi et des ondes, nous allons ensemble faire de ces moments un temps de fête (même si c’est dimanche prochain qu’auront lieu les festivités officielles). Alors, c’est le cœur en joie que nous exprimons à Dieu toute notre reconnaissance, Lui qui nous rassemble et nous unit.
Alors, oui, il en va des rencontres comme de la vie, personne ne sait vraiment quelles surprises elles nous réservent et celle de Jésus avec Nicodème n’échappe pas à la règle. Lui qui a dû réfléchir à deux fois avant de se glisser de nuit, comme un voleur pour aller trouver Jésus. Nicodème vous le connaissez ? Chef juif, membre émérite du prestigieux Sanhédrin, pharisien, intellectuel brillant ayant reçu la meilleure éducation et fin connaisseur de la Torah et de ses finesses.
Pourtant que lui prend-il d’aller voir ce Jésus, simple prophète et faiseur de miracles, arrivé il y a peu à Jérusalem, qui par le contenu de ses prédications polémiques, bouleverse tout ce qu’il connaît de la Torah et de l’usage qu’il attendrait d‘un juif pratiquant. Et la Torah Nicodème la connaît sur le bout des doigts, des ongles pourrait-on dire, car c’est en bon docteur de la Loi qu’il la déchiffre, commandement par commandement, dans chacune de ses subtilités, car ce qui lui tient à cœur par-dessus, tout c’est bien d’obéir en son âme et conscience à ce qu’il considère être la volonté de Dieu pour ses enfants.
Alors oui, il y a de quoi être surpris lorsqu’on apprend que Nicodème – avec l’identité qui est la sienne et que nous venons de rappeler – sort de chez lui en pleine nuit, pour se rendre chez ce Jésus qui fait l’objet de nombreuses conversations. Il est légitime de nous demander ce qui le pousse à agir ainsi, quel est son monde intérieur, voire ses tourments..
Mais alors que le soleil vient de se coucher, ce qui semble certain c’est bien la minutie avec laquelle il a préparé sa rencontre, preuve en est le caractère direct de son entrée en matière. Et si son assurance n’est qu’apparence, elle n’échappera pas à Jésus qui tout au long de son échange avec lui n’aura de cesse de la remettre en question. Ce qui aura pour effet de déstabiliser Nicodème certes, mais aussi les auditeurs que nous sommes.
Ainsi, la nuit qui enveloppe Nicodème pourrait bien nous gagner. Mais écoutons les premiers mots avec lesquels Nicodème aborde Jésus. « Nous savons que tu es un Maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui. » Étonnamment, c’est en nous et non en je qu’il s’exprime. Alors, formule de politesse ou crainte de s’affirmer personnellement dans une démarche risquée au vu du rôle qui est le sien ? Ce qui trouble Nicodème c’est bien la relation privilégiée que Jésus entretient avec Dieu, qui apparaît dans les signes qu’il opère.
Jésus sans attendre insiste sur l’importance de l’Esprit, qui permet à Dieu de se manifester par son Fils. L’Esprit, qui dans les tout débuts de l’Évangile de Jean peu avant notre passage, est déjà apparu, lors du baptême de Jésus, sous la forme d’une colombe. Par conséquent, c’est donc bien sur l’importance que joue l’Esprit dans les signes qu’il effectue que porte la réponse de Jésus. « En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme n’est pas engendré d’en haut il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.» «En vérité je te le dis, si un homme ne naît pas « anothen... » « Anothen» : un adverbe grec qui signifie tant à nouveau que d’en haut.
C’est bien sur ce double sens et sur le malentendu qu’il provoque que Jésus invite Nicodème à réfléchir. Ce qui complique le dialogue et la compréhension des propos qu’il tient. Mais il n’ignore pas que Nicodème en intellectuel qu’il est, connaît le double sens de cet adverbe. Et Nicodème, en homme rationnel, se fait bousculer par Jésus. En effet, entre naître d’en haut ou naître à nouveau pour entrer dans le Royaume de Dieu, que va-t-il choisir ? Et nous à sa suite ?
Pour Nicodème une seule option est de mise : Comment un homme vieux pourrait-il retourner dans le ventre de sa mère ? Tout le monde sait que ce n’est pas possible : pourtant qui d’entre nous n’a pas rêvé ne serait-ce qu’une seule fois dans son existence, de revenir en arrière, de tout recommencer ou plus simplement d’effacer ne serait-ce qu’une seconde de notre vie que nous préférerions ne pas avoir vécu ? Alors, imaginez, naître à nouveau et tout recommencer que de perspectives nouvelles. !
Mais cette manière de voir est inconcevable pour Nicodème et il le dit à Jésus. Et Jésus de continuer le dialogue l’invitant par ses questions à poursuivre son introspection dans un dialogue calqué sur les disputes rabbiniques. Et notre pharisien tout comme chacun de nous n’est pas au bout de ses surprises, ni de ses réflexions. Car après avoir insisté sur la nécessité d’être engendré d’en haut, à savoir d’eau et d’Esprit, pour entrer dans le Royaume de Dieu, Jésus d’inviter son interlocuteur à faire un pas de plus et de se centrer sur l’importance du vent : « Ne t’étonne pas dit-il si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut, le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va… » et Jésus d’ajouter : «…ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit.»
Paroles denses où derrière le mot vent se cache un nouveau mystère. Précisons : en grec si le vent se dit «pneuma», il n’en possède pas moins plusieurs sens : car le vent, c’est le souffle, mais c’est aussi l’Esprit, l’Esprit de Dieu. Et nous retrouvons Nicodème en pleine tempête, lui qui voit toutes ses certitudes s’envoler d’un coup. Lui qui savait d’où il venait et où il allait grâce aux 613 commandements de la Torah, le voilà qui n’est plus sûr de rien. Et Jésus face à son étonnement se moquera même gentiment de lui : « Comment, tu es Maître en Israël et tu ne sais pas ces choses ?» Dans les paroles qui vont suivre, Jésus va toucher un point central de leur échange, lui qui ni plus ni moins va montrer à Nicodème quelle est l’action de Dieu pour le salut du monde, autrement dit la manière dont Il agit pour nous sauver.
Pour ce faire, il utilise ce que Nicodème connaît fort bien : à savoir les commentaires de la Torah. Et c’est avec ces mots qu’il parvient au cœur de ses propos : Il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croie en lui et ait la vie éternelle». Et à ce moment précis de notre passage, Nicodème ne doit pas être le seul à être dans le brouillard. « De quoi parle Jésus ? de plus, comment comprendre cette référence à Moïse et au serpent dans le désert ? Et la place qu’elle occupe dans leur échange.
En se centrant sur l’agir de Dieu dans le salut du monde, un salut universel offert à tous , Jésus met le doigt sur des questions existentielles auxquelles il est bien difficile de trouver une réponse, des interrogations sur lesquelles bute même Nicodème, brillant pharisien. Et Jésus de poursuivre en disant encore : « Dieu qui par amour pour le monde a donné son fils pour que tout homme ne périsse pas, mais ait la vie éternelle, et que le monde soit sauvé par lui.»
Alors au petit jour nul doute qu’après un tel échange, c’est bouleversé que Nicodème a quitté Jésus, lui qui venait le voir rempli de certitudes, mais aussi de questions dut s’en aller de nouvelles interrogations au bord des lèvres. Et le cheminement qu’il a commencé cette nuit-là est loin d’être terminé.
En effet, nous retrouverons Nicodème, dans l’Évangile de Jean à deux reprises et ces deux moments témoignent de la quête d’un homme intègre, en recherche de la vérité, sa vérité, quel que puisse être pour lui le prix à payer. Quoi qu’il en soit, ce sera le chemin d’un homme courageux. Au chapitre sept, Jean nous montre Nicodème en opposition avec son monde de toujours. En effet, les grands-prêtres et les pharisiens ont décidé d’arrêter Jésus et ils l’agressent. Nicodème choisira à ce moment de l’Histoire et de son histoire de prendre parti pour Jésus, contre les siens.
Enfin, c’est à la mort de Jésus que Nicodème refera son apparition. Lui qui a probablement assisté à la crucifixion se joint à Joseph d’Arimathée pour réclamer le corps de Jésus. Désormais, c’est aux côtés des disciples de Jésus que nous le trouverons. Cependant, le cheminement effectué par Nicodème ne s’est pas fait en un jour. Pour réfléchir, comprendre et intégrer l’enseignement de Jésus ainsi que vivre les inévitables remises en question que sa quête existentielle impliquait, il lui a fallu du temps.
Lui, l’intellectuel rationnel, qui peinait à comprendre de l’intérieur ce que « naître d’en haut » signifiait, nous le retrouvons à la toute fin de l’Évangile prendre soin de ce corps mort. Que de route parcourue ! Certes, elle ne s’est pas faite en un jour, elle a pris pourrait-on dire le temps d’une gestation, d’une grossesse. Mais au bout du chemin, savez-vous ce qui m’émerveille comme signe de l’agir de Dieu et de son amour pour le monde ?
Au moment même de sa mort, à l’instant où l’Esprit de Jésus quittait son enveloppe terrestre, Nicodème lui vivait une nouvelle naissance. Lui qui a choisi de devenir disciple de Jésus et de mettre ses pas à la sa suite, montrant par l’exemple que Dieu aime chacun de nous et que son salut est offert à quiconque, que tous nous pouvons être engendrés à nouveau d’en haut.
Vous êtes surpris ? Alors, pensez à ces paroles de Jésus à Nicodème : « Ne t’étonne pas si je t’ai dit, il te faut naître d’en haut, le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit.»
Amen !