Inustice ou.... ?

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Cette fois, ça y est, c'est fait. Me voilà mort. Plus moyen de revenir en arrière ni de changer quoi que ce soit à ma vie. Et me voilà, là, à attendre qu'on veuille bien m'appeler par mon nom. Au milieu de tous ces autres que je ne connais pas ou fort peu.
Et depuis le temps que je patiente, j'en viens à me demander si je vais finir par l'entendre. Imaginez, même une prostituée est passée avant moi. M'auraient-ils oublié ? Comment comprendre comment les choses se déroulent ?
Mais remarquez, au point où j'en suis, plus rien ne devrait me surprendre. Pourtant, j'ai toujours mené une vie droite, priant Dieu tous les jours. Ni meilleur mais en tout cas pas plus mauvais que les autres. Alors ? Mais j'aurais jamais cru qu'une fois au ciel, les choses se répètent ; qu'il faille encore me battre pour me faire remarquer. Sans grand succès d'ailleurs, vu que personne ne semble s'intéresser à moi.
Mais c'est vrai que si je réfléchis, vu ce que j'ai vécu il y a quelque temps sur terre, plus rien ne devrait m'étonner.

C'était un matin, au lever du soleil, j'étais au chômage et j'étais arrivé dans les premiers au petit matin à l'agence d'embauche, prêt à accepter n'importe quel travail pour faire vivre ma famille. Pour recevoir une pièce d'argent le soir venu, tel que les pratiques l'exigeaient.
J'avais été engagé sans problème et j'avais travaillé toute la journée. Le soir venu, j'étais revenu avec les autres à l'agence pour toucher ce qui m'était dû. Le soleil avait tapé fort, le vent avait soufflé, mais j'étais heureux, ce soir ma famille aurait de quoi manger.
C'est alors que le patron a commencé à payer ses ouvriers : rétribuant en premier lieu ceux qui avaient été engagés en dernier. Je n'ai guère compris pourquoi, mais j'étais bien forcé d'attendre. Tout comme maintenant d'ailleurs.
Mon tour venu, je découvris que les derniers engagés reçurent autant d'argent que nous. Eux qui pourtant ne s'étaient guère fatigués. Et j'eus beau grommeler, me plaindre, rien n'y fit. Vous trouvez ça juste, vous ?
Et c'est vrai qu'il est difficile d'adhérer à une telle vision non seulement du royaume, mais aussi de ce qui se passe sur terre dans notre rapport à Dieu. Comment accepter que ces autres, tous ces autres, qui se comportent moins bien que nous, ne vont pas au culte ou, en apparence, se moquent des dix commandements - pour ne prendre que ces exemples - puissent eux aussi avoir droit au royaume sur terre et dans le ciel, et de plus avant nous ?
Alors de là à admettre que ces personnes soient rémunérées autant que nous, il y a un pas bien difficile à franchir, pour les bons chrétiens que nous sommes.
Le texte de Matthieu ce matin cherche à bouleverser nos compréhensions toutes faites de Dieu, sa manière de fonctionner et la vision que nous nous faisons de Lui, que nous ne pouvons appréhender qu'à partir de notre regard bien humain. Et ce passage de Matthieu nous démontre que notre erreur se trouve bien là.

Mais reprenons : les ouvriers de la première heure ont-ils vraiment été trompés par celui qui les a engagés ? Quels arguments le maître développe-t-il face à la colère et au mécontentement des ouvriers de la première heure qui, eux, se sentent lésés à juste titre ?
Ils sont au nombre de quatre ; je vous propose de reprendre l'un après l'autre.
Le premier fait que souligne le propriétaire quant au salaire remis par son contremaître aux ouvriers de la première heure, c'est qu'il ne les a pas trompés, que l'accord passé avec eux au petit jour a été respecté: " Mon ami, je ne te fais pas de tort ", dit le maître de la vigne. Comprenez, la pièce promise, à la fin du jour, lors de la conclusion du contrat, vous a été remise. La décision qu'il a prise face aux ouvriers de la dernière heure n'a pas eu d'incidence sur leur propre salaire. Ce qui est vrai.
Mais ce sentiment d'injustice né de la vision de la somme payée à ceux qui n'ont travaillé qu'une heure, contrairement à eux qui ont sué toute la journée, les pousse à exiger que les autres soient rabaissés, que leur salaire soit diminué, qu'une différence nette soit marquée entre eux et les autres, entre ceux qui se sont engagés tôt et ceux qui l'ont fait tardivement.
Parce qu'après tout, je ne suis pas ces autres, qui ont vécu à leur guise toute leur vie, qui n'ont pas servi Dieu comme moi, qui n'ont pas passé toute leur existence dans l'espoir de ce moment où Dieu reconnaîtrait enfin mes bienfaits et ma droite conduite. Ces paroles :
" Prends ce qui est à toi et va-t-en !" soulignent bien qu'aucune injustice n'a été commise, que le contrat a bel et bien été honoré.

Le deuxième point mis en évidence par le propriétaire de la vigne, touche à la liberté qui lui est laissée : " Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi. " Montrant ainsi que la somme donnée est de son ressort, que ce n'est pas la qualité, ni la durée du travail qui est jugée, ici, qu'il est le juge suprême de la somme à payer et que sa décision ne peut être contestée.

Il enchaîne d'ailleurs dans cette ligne avec le troisième argument en disant : " Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? " rappelant ainsi sa souveraine autorité.

Le dernier point qu'il touche constitue d'ailleurs la clef de l'histoire : après avoir souligné que le contrat a bel et bien été respecté, qu'il est le seul à avoir le droit de décider de la manière de rétribuer ses ouvriers, voilà qu'il poursuit avec la question de la justice, telle que lui la voit : " …ou vois-tu de mauvais œil que je sois bon ? "
Sa bonté face aux ouvriers de la dernière heure dérange-t-elle à ce point ceux de la première heure qu'ils ne puissent se réjouir pour les autres d'avoir reçu davantage qu'ils auraient pu en attendre ? Et c'est bien là le cœur du problème. Nous qui sommes les premiers à souligner ce que nous considérons comme des injustices de Dieu, qui ne répond pas à nos prières, qui ne semble pas aussi puissant qu'Il veut bien le dire, puisque la guerre, les attentats, les maltraitances et les injustices de toutes sortes, mort d'enfant, massacre d'innocent, jeux de pouvoir, maladies, etc. sévissent toujours, malgré la venue du Christ il y a plus de deux mille ans.
Nous qui, bien que croyants, sommes les premiers à nous révolter, ce n'est pas pour autant que nous acceptons facilement ce que nous comprenons comme une " injustice de Dieu ", quand Dieu offre davantage à d'autres que ce à quoi on aurait pu s'attendre, que cela ne correspond pas à notre logique tout humaine, Voilà que nous devenons aigris, jaloux du bonheur d'autrui.
Car le bonheur des autres s'il ne diminue pas le mien, me renvoie à ma propre vie, à mes propres espoirs déçus, à ce que moi j'attendais de Dieu. Le maître de la vigne rappelle sa souveraine autorité au moment du jugement : s'il veut être bon, personne ne pourra l'en empêcher. Et honnêtement comment s'en plaindre ? Le jour où nous aussi le verrons face à face, ne serons-nous pas heureux que sa bonté dépasse ce que notre vision de la justice permet d'appréhender ? que sa manière de nous voir, ne corresponde pas forcément à ce que nous en aurions pensé sur terre ?
Je crois qu'il peut-être bon de nous en souvenir, sur cette terre déjà et de nous réjouir du bonheur des autres. Car face à Dieu chacun de nous est unique et aimé par Lui. C'est ma propre histoire, que Dieu seul connaît, ma relation à Dieu, que je n'ai pas à comparer à celle des autres, mais que j'ai à construire jour après jour.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Edith Lang
Musique
Choeur de la Poya, direction Jean-François Vaney