L’écoute, le respect mutuel et la solidarité, au-delà des différences qui séparent, sont les ingrédients qui permettent de façonner un pays où il fait bon vivre.

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Écouter le culte :

Chers amis, chers frères et sœurs,

Cherchez-vous un pays où il fait bon vivre ? Le pays le plus heureux au monde ? Avec l’Australie, la Norvège, le Canada et la Suède, la Suisse caracole en tête de ces classements qui, année après année, notent les pays en fonction des conditions et de la qualité de vie offertes à leurs populations.

Alors c’est vrai! Avec ses paysages splendides, ses montagnes, ses campagnes, ses lacs, - celui de Champex scintillant ce matin - ses vignes, ses hôtels, ses banques, son fromage et ses montres de luxe, la Suisse fait rêver. Le seul point noir – qui, peut-être, a coûté à la Suisse la première place - est le fait que ses habitants ne vont pas assez longtemps à l’école.

Mais là, il faut relativiser, puisqu’à la fin du mois, nos élèves de 8e vont entrer en 11e année et tous les écoliers gagner deux ans quasiment sans efforts, sauf à comprendre les arcanes d’un système scolaire unifié nommé HarmoS. Accordons encore à tous nos apprentis la maturité professionnelle au lieu d’un incompréhensible CFC et hop ! on sera à coup sûr premier de classe… Vive la Suisse ! Vive nous !

Le pays où il fait bon vivre que l’on a célébré, il y a quelques jours, avec feux d’artifices et discours de circonstances, me fait penser à ce bon et beau pays où coule le lait et le miel, à cette Terre promise dont tant d’immigrants ont rêvé depuis que l’homme est homme… Un pays là-bas, tout proche du paradis.

Un pays qui ressemble au Royaume d’Israël à l’époque de Salomon, si l’on en croit le classement que fait, dans un premier temps, le livre des Rois. Je cite : «Le roi Salomon surpassait tous les autres rois de la terre par ses richesses et par sa sagesse. (…) Grâce au roi, il y avait autant d’argent que de cailloux à Jérusalem.» (1 Rois 10:23 + 27). Presque comme à Genève, Bâle, Zurich ou Lugano aujourd’hui !

Toutefois, quelques pages plus loin, avec le récit de la douloureuse succession du Roi Salomon, le même auteur biblique apporte un tout autre éclairage sur ce pays paradisiaque. Tout se passe comme si cette société d’abondance avait longtemps caché une toute autre réalité. Et si, malgré le sérieux apporté à l’enquête, le classement donné par le livre des Rois, comme ceux donnés aujourd’hui par l’OCDE ou les Nations Unies, était un jugement relatif aux critères discutables ? Et si la surprenante actualité du récit biblique résonnait comme une mise en garde ? Attention aux paradis: ils peuvent être artificiels et passagers !

Il suffit d’une succession manquée, et «le pays où il fait bon vivre» peut se trouver au bord de la guerre civile. Il suffit d’un trop long règne pour que le pays sombre dans le chaos faute d’une alternance qui permette le changement. Car personne, jamais, si brillant soit-il, ne possède à lui seul la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Et la sagesse des uns, fut-elle celle de Salomon, a besoin de celle des autres, comme l’expérience des anciens a besoin de la capacité d’innovation des jeunes. Les jeunes, de leur côté, ont aussi intérêt à tirer profit de l’expérience des aînés, à les écouter pour pouvoir faire les meilleurs choix.

C’est ce que nous enseigne le récit du livre des Rois entendu ce matin. Ce récit met en lumière le dramatique manque d’écoute qui peut régner entre les générations. Il ne fait ni l’éloge de la vieillesse ni la critique de la jeunesse. Il ne dit pas : les aînés seuls sont capables, les jeunes ne valent rien ! Les vieux seuls sont sages, les jeunes sont insouciants et inconscients. Salomon lui-même viendrait d’ailleurs contredire une telle idée : n’a-t-il pas été sage dans son jeune âge ? A l’écoute de Dieu et des autres ? Et l’âge venant, ne s’est-il pas détourné de cette sagesse ? La Bible n’est pas tendre avec le vieux Salomon. Elle lui reproche son amour des biens et le grand nombre de ses femmes. La sagesse n’a pas accompagné Salomon jusque dans sa vieillesse. Elle s’est arrêtée en chemin, relayée par une volonté de puissance, fréquemment observée chez tant de gens qui accèdent au pouvoir. Une volonté de puissance qui réclame toujours plus de femmes, confondues parfois avec de la chair fraîche adolescente, toujours plus de serviteurs confondus avec des esclaves, toujours plus de luxe et de palais ou de monuments qui témoignent de leur recherche désespérée de l’immortalité. Mais cette puissance apparente n’empêche rien.

Et la mort vient… Pour les rois, pour les rois de droit divin comme pour les autres…

La fin de Salomon est piteuse et ce qu’il laisse après lui s’apparente au désastre. A un tel monarque, revêtu d’une telle puissance, aucun fils, aucun jeune ne pouvait succéder. C’était cousu d’avance, prévisible ! Car les paradis que se bâtissent les hommes sur terre se ressemblent tous, de la Babel de la Genèse à la grande Babylone de l’Apocalypse: tous sont bâtis sur le sang et la sueur d’une multitude d’esclaves anonymes. On le voit bien à la première demande que formule le peuple à la mort du grand Salomon : n’est-elle pas celle d’un allègement du poids des corvées ? Eux ne semblent pas vivre dans le même pays que les gens de Jérusalem. Comme dans tant de pays qui font la une de l’actualité, on peut observer que, dans un premier temps, les « indignés », non excusez-moi, le peuple, ne cherche pas la confrontation, il ne veut pas faire la révolution ; il souhaite juste un assouplissement des conditions de travail. Un peu moins de pression, un peu plus de reconnaissance, dans tous les sens du terme !

Une revendication bien moderne pour ceux qui, dans notre paradis suisse, sont écrasés par le stress au travail et l’exigence toujours plus forte de la compétitivité. C’est là que le récit biblique nous questionne : Que seraient les pays – dont le nôtre - classés au Top ten des «pays où il fait bon vivre » sans la multitude des humains qui, ici ou ailleurs dans le monde, peinent, triment et souffrent pour que le système fonctionne ?

Le texte biblique ne nous interpelle-t-il pas tous, jeunes et vieux, à inventer ensemble un pays où jusqu’ici il fait bon vivre pour éviter les catastrophes qui touchent tant de pays qui font la une de l’actualité ? Au temps de Salomon, personne n’osait poser ces questions, pas même ses vieux conseillers, trop faibles pour contrecarrer la politique du Roi et trop vieux pour tenter leur chance dans un coup d’Etat. Alors ils se contentent de conseiller le jeune roi Roboam, et quels conseils lui donnent-il? Celui de lâcher du lest, celui de se faire serviteur du peuple… (12 v.7)

Si j’en crois l’auteur biblique, la vraie souveraineté ne se traduirait pas par la domination, mais passerait par le service des autres. Il a fallu peut-être toute une vie de réflexion aux ministres et aux conseillers de Salomon pour découvrir ce qui est au cœur du message biblique, au cœur de l’Evangile de Jésus de Nazareth :

Dieu veut que nous soyons frères, des frères et sœurs qui se servent les uns les autres et qui recherchent ensemble le bien commun, le bien du pays, le bien de l’Eglise, le bien de nos paroisses. On connaît cependant la réponse de Roboam. Au mépris du conseil des Anciens, il écoute ses jeunes amis et dit au peuple « Marche ou crève!» : une réponse brutale qui met fin aux espoirs du peuple mais aussi à la cohésion sociale. Une réponse aux conséquences inimaginables : Roboam et sa bande de jeunes loups qui se voient déjà ministres vont faire payer à Israël le prix de la division, le prix de la faiblesse politique, le prix de la guerre. Un bien lourd tribut qu’Israël ne cessera de payer tout au long de son histoire. Désormais, Israël ne cessera de dégringoler dans le classement des pays où il fait bon vivre, jusqu’à la déportation à Babylone et sa disparition comme nation.

Le récit renvoie ainsi dos à dos les vieux et les jeunes, tous coupables de ne pas avoir su gérer le difficile passage de témoin entre les générations. Et il nous interpelle au sujet de la façon dont nous voulons relever les défis posés à notre pays. Sommes-nous à l’écoute les uns des autres ? Que faisons-nous pour maintenir vivant le lien entre les différentes composantes de notre population toujours plus diverse ?

Au travers du récit de la dramatique succession du Roi Salomon, l’auteur du livre des Rois plaide pour une écoute attentive et respectueuse les uns des autres au-delà des différences, afin que l’ensemble de la société puisse vivre dans la cohésion et l’harmonie.

L’Ecoute, le respect mutuel, la solidarité, jusque dans les différences qui nous séparent, qu’elles soient de langue, de confession, de religion, de milieu social, d’orientation politique ou de génération, voilà peut-être les ingrédients de la recette qui permet de créer «un pays où il fait bon vivre». Cultivées, élargies, ces valeurs ont permis à la Suisse de surmonter les difficultés, les crises, et d’offrir aujourd’hui à sa population un pays prospère.

La recette de la prospérité se trouve, depuis le début d’août 1291, dans cette volonté qui unit les gens d’Uri, Schwitz et Unterwald et plus tard des autres cantons suisse de ne pas se laisser dominer mais également de refuser l’égoïsme du « chacun pour soi ».

Voilà la recette que j’aimerais voir conservée, adaptée, améliorée, exportée, pour que le pays où il fait bon vivre ne soit pas la Suisse seulement, ni l’Australie, le Canada ou la Norvège, mais encore l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak, Madagascar et le Bangladesh, sans oublier la Palestine et Israël.

… pour que « le pays où il fait bon vivre » soit la terre des hommes qui est aussi le jardin de Dieu.

Au nom du Seigneur

Amen

En marge de la fête nationale et en confrontant le dramatique récit de la douloureuse succession du Roi Salomon avec la dernière version du rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur le développement humain, qui livre le classement IDH des pays du monde où il fait bon vivre, Marc Horisberger, aumônier en EMS, propose une réflexion sur la difficile passation des pouvoirs entre générations… Le récit de la succession du Roi Salomon met en lumière le dramatique manque d’écoute qui peut régner entre les générations. Mais ce récit ne fait pas l’éloge de la vieillesse ou la critique de la jeunesse. La Bible ne dit pas : les vieux sont les seuls capables, les jeunes ne valent rien ! Les vieux seuls sont sages, les jeunes sont insouciants et inconscients. Et Salomon lui-même viendrait contredire une telle idée : n’a-t-il pas été sage dans son jeune âge ? A l’écoute de Dieu et des autres ? Et l’âge venant, ne s’est-il pas détourné de cette sagesse?...La Bible n’est pas tendre avec le vieux Salomon, mais elle critique également son fils Roboam, responsable du déchirement du pays. Le texte biblique n'interpelle-t-il pas chacun et chacune, jeunes et vieux… à inventer ensemble un pays où jusqu’ici il fait bon vivre et pour éviter les catastrophes qui touchent tant de pays qui font la une de l’actualité?

Détails

Avec la participation de
Jacqueline Emery
Orgue
Gérald Chappuis
Musique
Joaquim Forlani à la clarinette