Écouter le culte :
Que pensez-vous valoir ?
Voici la question qui nous est lancée ce matin.
Qu’elles nous étonnent, nous parlent, nous dérangent ou nous stimulent, les paraboles que Jésus raconte toujours nous bousculent et nous remettent en question.
Dans la parabole d’aujourd’hui, il est question d’argent et de la manière d’en faire profit.
Mais, au-delà de l’aspect pécuniaire, nous est posée la question de notre propre valeur.
Apparemment, le maître accorde beaucoup de crédit à ses serviteurs – même à celui qui reçoit le moins : ce sont en effet des sommes considérables qu’il leur confie ! (1 talent, ça peut paraître peu, mais pour l’époque, d’après ce que j’ai lu, cela représentait environ 6000 francs - ; donc 12'000 pour le 2ème serviteur, et 30'000 pour le 1er !)
C’est une question de confiance : confiance, d’une part, que le maître accorde à ses serviteurs, et confiance, d’autre part, à laquelle sont appelés les serviteurs. Le 3ème d’entre eux manque de cette confiance, tout d’abord envers lui-même, comme s’il se disait : “Je risque de tout perdre. Il vaut mieux que je mette tout cela en lieu sûr”. Mais cela démontre aussi un manque de confiance envers son maître ; il en a peur. Il semble se dire : “Il m’a donné une tâche trop dure pour moi ! Et si j’échoue, il risque de me le faire payer.”
Le maître va se sentir trahi dans sa confiance par ce serviteur. Plus que sa paresse, il lui reproche son attitude timorée. Il est blessé peut-être aussi par l’image négative véhiculée par celui-ci. Le 3ème serviteur n’a pas su voir les potentialités que le maître a discernées en lui ; il n’a pas su voir le cadeau. La déception du maître et sa colère se manifesteront en proportion.
Si la sévérité de son jugement nous heurte, il y a cependant plusieurs aspects qui peuvent nous rejoindre.
Je me suis toujours sentie concernée par ce qui arrive au 3ème serviteur. On se met facilement à sa place, parce que l’on sait bien que nous aussi, parfois, nous agissons ainsi.
Je me souviens d’un épisode de ma jeunesse, quand je prenais des cours de flûte traversière.
Ma maîtresse de musique m’avait alors demandé de participer à un camp scolaire, mais en tant qu’aide, pour apprendre des morceaux aux plus jeunes.
Je ne m’en sentais pas capable ! Moi, enseigner, alors que j’étais moi-même encore en train d’apprendre ??? Impossible. Dans quelques années, peut-être… C’était une manière d’enfouir cette responsabilité au fond de moi, quitte à la ressortir plus tard, quand je me sentirai plus d’assurance !
C’est là que ma maîtresse de musique m’a regardée et qu’elle m’a dit : «Arrête de fuir et de douter de toi ! Fais-toi confiance ; fais-moi confiance ! Je connais tes capacités; si je t’ai demandé de faire partie de l’équipe, ça veut dire que je sais que tu en es capable ! ». Ce regard a tout changé pour moi.
Si j’avais refusé le défi, elle aurait probablement été déçue et aurait confié cette responsabilité à quelqu’un d’autre.
En tant que pasteure, il m’arrive aussi parfois d’être de l’autre côté de la barrière : par exemple, quand je confie un rôle important à un enfant pour la pièce de Noël, parce que je sais qu’il le mettra en valeur, mais qu’il se défile ; quand je nomme un jeune responsable d’une activité dans un week-end de paroisse et qu’il me dit, juste avant : “Écoute, finalement, je vais te laisser faire, tu feras ça mieux que moi !”…
J’ai déjà été déçue… et j’ai moi aussi parfois déçu les autres dans leurs attentes.
Ces exemples m’aident à comprendre une partie de la réaction du maître.
Sa punition paraît tout de même disproportionnée. S’il n’a rien gagné, le maître n’a rien perdu non plus ! Quel est l’enjeu qui justifie donc cette extrême sévérité ?
Le fait qu’il s’agit d’une parabole nous suggère que les talents sont symboliques. Le jeu de mot en français nous amène souvent à les assimiler à nos aptitudes, aux capacités que nous avons reçues. Cela reste une interprétation possible, mais le contexte dans lequel est racontée cette histoire nous invite à aller plus loin.
Dans tous les chapitres 24 et 25 de Matthieu, Jésus parle de la fin des temps ; il y est question du comportement attendu des disciples.
Juste après notre épisode, Jésus précisera le critère du jugement : “ce que vous avez fait aux plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” ; “ce que vous n’avez pas fait au plus petit d’entre mes frères, vous ne l’avez pas fait à moi non plus”. Ainsi, tout geste d’amour et de partage envers des plus défavorisés est un don offert au Seigneur. Tout ce qui est refusé aux plus petits (aux affamés, aux prisonniers, aux étrangers, à toute personne en situation de fragilité) est en même temps refusé au Seigneur lui-même !
L’enjeu est effectivement de taille ! Au-delà des biens matériels ou des dons que nous avons reçus, ce que Jésus nous confie, ce sont des personnes, des êtres de chair et de sang.
En quelque sorte, Jésus nous confie les uns aux autres.
La sévérité du jugement du maître est à la mesure de cela.
On ne peut pas prendre ce défi à la légère !
À cette question de départ : “combien pensez-vous valoir ?”, Jésus répond : “la valeur que je t’accorde est à la mesure de cela, à la mesure du trésor que représentent pour moi mes frères et sœurs humains”.
On peut se demander tout de même si le maître n’aurait pas pu laisser une deuxième chance à son serviteur.
Peut-être bien, pourtant, qu’elle est proposée, cette chance !
Rappelons-nous que Jésus parle en parabole. Il ne raconte pas une histoire qui a eu lieu, mais une histoire fictive. Il invite chacun à trouver la place qui est la sienne dans son récit.
Quand Matthieu écrit cette histoire, plusieurs années se sont écoulées depuis la mort et la résurrection de Jésus, depuis qu’il a rejoint son Père céleste. Les chrétiens attendent son retour, mais celui-ci ne revient pas, pour l’instant…
Pour l’instant, comme dans la parabole, le maître est absent ; l’important, c’est maintenant : aujourd’hui, comment gères-tu ce que Dieu t’a confié ?
Et si, dans le jugement de la fin de la parabole, nous entendions autre chose ?
Quand nous doutons de nous ou que nous n’avons pas été à la hauteur de la confiance qui nous a été faite, si Jésus ne nous faisait pas entendre une condamnation, mais un appel, une invitation ?
S’il nous soufflait simplement à l’oreille : “Tu vaux mieux que cela”. “Tu vaux mieux que ce que tu crois” !? Peu importe le passé, peu importe demain. Aujourd’hui, maintenant, fais-toi, et fais-moi confiance.
Amen.