Écouter le culte :
Pourquoi devenir chrétien si je vis de toute façon déjà ? Ou autrement dit, en quoi la foi chrétienne apporte plus de vie que ma vie déjà reçue ?
Cette semaine dans un des cours de catéchisme que je donne au Cycle d’orientation, un jeune de 14 ans me demande : Dites-moi pourquoi je devrais croire en Dieu ? Sous-entendu, quelle est la plus-value de la confiance que je peux accorder à Dieu, et pourquoi je devrais le faire à travers Jésus-Christ. Je lui ai dit qu’il peut écouter le culte de ce matin car il en sera question.
Pourquoi notamment les apôtres Paul et Silas sont-ils si zélés pour raconter l’histoire de Jésus, selon les Actes des Apôtres, ce livre de la Bible qui suit les Evangiles et qui raconte ce qui s’est passé après la résurrection de Jésus-Christ ?
« Moi, Jésus, je suis venu pour que les gens aient la vie et l'aient en abondance. »
(Jean 10 : 10)
Le livre des Actes des Apôtres raconte comment Paul et Silas prêchent cette possibilité d’accéder à un plus de vie. Quand ils prennent la parole dans une synagogue, ils partent de ce que les gens à qui ils s’adressent, connaissent : la Torah, leur texte de référence, et le désir qui s’y déploie, d’accueillir un Messie, un personnage qui transformera les relations, qui bouleversera l’ordre établi et inaugurera un autre monde. Donc ils attendent quelqu’un qui transforme leur réalité et permet une valeur ajoutée à leur existence.
Nous avons lu dans le prophète Esaïe quelque chose de cette attente. Vous vous souvenez ? Voici deux trois extraits avec un petit commentaire : « Ce sera une bonne nouvelle aux pauvres » - c’est pas mal ! C’est vrai que la pauvreté globale sur la terre a diminué, mais elle existe toujours, et peut-être plus que nous le croyons aussi dans les pays occidentaux. Qu’il y ait encore des pauvres, cela reste un scandale si par pauvreté nous désignons les personnes qui n’ont pas un accès à l’eau propre, aux soins de base du corps et à une nourriture saine et équilibrée. Par contre si par pauvreté nous désignons une attitude de renoncer à la croissance infinie, c’est alors un acte social volontaire qui transforme la société vers plus de justice et d’équité et à ces pauvres-là, Jésus dit : « Heureux les pauvres car ils hériteront le royaume de Dieu. »
Pour Esaïe, autour de la pauvreté, il y a une bénédiction, une promesse de sortir du manque et une invitation à trouver en elle aussi un accomplissement. Quand le Messie arrivera, « ce sera une bonne nouvelle aux pauvres. » Puis le prophète Esaïe propose : « panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur libération… » Le Messie qui est attendu rendra la vie de telle manière que l’amour sera tellement présent qu’il sera impossible de se faire du mal, de vivre dans le mensonge, et qu’on respectera totalement autrui sans pression émotionnelle, économique, sexuelle, ou autre. Ceux qui sont dépendants à quelque chose, les séries de télé, le travail, le succès, l’apparence, la cigarette, l’alcool, le corps de l’autre, ces dépendances ne seront plus.
Tout ce qui est une entrave à la pleine liberté de l’humain dans l’amour, devra céder quand le Messie gouvernera. C’est cela l’espérance exprimée chez Esaïe, mais aussi dans l’attente d’une transformation fondamentale de la vie par l’arrivée du Messie. Cette arrivée est probablement une utopie, d’accord, mais néanmoins une force qui résiste au découragement face aux inerties présentes et de la grisaille du moment. Donc il y a une promesse de pouvoir accéder d’une manière ou d’une autre, à une vie améliorée profondément. C’est cela que Paul et Silas prêchent dans les synagogues et cela est une véritable bombe de transformation, une nouvelle qui bouleverse, une sortie de l’ombre vers le soleil ou comme ces temps-ci chez nous : le brouillard cède au soleil.
Une des conséquences quand nous accueillons dans notre existence cette vision d’un autre monde possible, c’est ce que le prophète décrit ainsi : « Je trouverai la gaieté dans le Seigneur, je serai plein d'allégresse en mon Dieu. » Et qui parmi nous ne désire pas cette disposition à l’humour, à la joie de vivre, à la légèreté d’être, à l’enthousiasme devant les défis, à faire échouer la morosité et la sévérité, la tristesse et l’abattement ? Oui, s’ouvrir à la confiance en ce Dieu qui se raconte dans la Bible, c’est gagner en profondeur et légèreté de vie, c’est de vivre encore plus réellement. Paul et Silas disent que Jésus est ce Messie, qu’en lui les Juifs peuvent trouver le début d’une nouvelle ère. Et cela procure une joie énorme et un plus-que-vie dont témoignent ces deux apôtres.
Mais cela dérange. L’abondance intérieure et gratuite n’est pas bien perçue. La possibilité d’une vie autre n’est pas comprise. Leurs explications et les gens qui y adhèrent, suscitent des controverses et des troubles. A Thessalonique, cela crée même une petite émeute. L’Evangile n’est pas discrète, n’est pas invisible. Il transforme, bouleverse, invite à un engagement, et cela peut déranger.
Pour nous aujourd’hui, comment cette attention et attachement à une vie augmentée, à une expérience existentielle transformée, peut-elle trouver racine et élan, envie et engagement ?
Le Conseil œcuménique des Eglises qui rassemble 345 Églises, d'une bonne centaine de pays et territoires du monde entier, représentant un demi-milliard de chrétiens, a présenté à sa dernière assemblée générale en 2013 un document de mission qui porte ce beau titre : « Ensemble vers la vie ». Vous pouvez facilement le télécharger sur votre ordinateur ou le demander à votre pasteur. Il cherche à encourager tout un chacun à ce que « ensemble, nous puissions nous mettre au service de la vie en plénitude pour tous, guidés par le Dieu de vie. »
« Ensemble vers la Vie » : drôle de titre. « Ensemble vers la Vie », puisque nous sommes déjà vivant, pourquoi encore aller « vers » la vie ? Il ne faut pas être un grand spirituel ou un prophète biblique pour se rendre compte que même si nous sommes vivants, notre cœur bat, nos nerfs réagissent quand on nous pince, notre esprit est à l’écoute. La phrase « Ensemble vers la Vie » suggère qu’il y a encore à découvrir, à goûter, de la vie, même si nous nous sentons déjà vivants.
Chers paroissiennes et paroissiens, chers auditrices et auditeurs, est-ce que tout ce que nous faisons au nom de notre foi, enracinée dans cette confiance spirituelle, dans l’engagement au quotidien ou dans une Eglise, ne devrait pas servir rien d’autre que la vie, une vie augmentée, en abondance, en plénitude, peu importe le terme, une vie vivante, pour nous mais aussi et surtout pour notre prochain et pour tout ce qui vit, créatures et nature ? Car le Dieu de la Bible, le Dieu en Jésus Christ, le Dieu que ce matin nous célébrons, nous aimons, est un Dieu qui créé la vie, la soutient et œuvre en permanence dans le monde pour affirmer et préserver la vie, notamment à travers toutes les personnes qui se réclament de lui, de manière explicite ou implicite.
Le document du Conseil œcuménique des Eglises rappelle que Jésus-Christ est la vie du monde, l’incarnation de l’amour de Dieu pour le monde et que sa volonté et sa mission sont d’affirmer la vie dans toute sa plénitude. C’est pour cela aussi que la mort n’a pas su le retenir et qu’il est ressuscité des morts. Le Souffle de Vie qui a pleinement habité en Jésus et qui a été répandu largement dans le monde, nourrit la vie et lui donne force et renouvelle toute la création. Nier à la vie d’être vivante, c’est nier Dieu. Alors Dieu nous invite à faire partie de sa mission vivificatrice, et à témoigner de la vision de vie en abondance pour tous et pour tout, les humains, mais aussi toute la création. Permettez-moi de redire cela : Dieu nous invite à faire partie de sa mission vivificatrice, et à témoigner de la vision de vie en abondance pour tous et pour tout l’humain, mais aussi toute la création.
Dans ce document d’une trentaine de pages, le mot « vie » est utilisé 150 fois. C’est énorme. Au cœur de l’annonce de l’Evangile et de la vie chrétienne, il y a la vie, une vie transformée, augmentée, recentrée, donnée, accueillie, célébrée.
C’est très intéressant de comprendre la mission, ce mot souvent mal interprété et compris, dans le sens d’un engagement en faveur de la vie d’abord. De discerner des lieux où la vie surgit, où la vie semble se densifier, où des structures oppressives sont contestées et une nouvelle manière de vivre éclot. Car Jésus-Christ est l’accroche qui inaugure de nouvelles relations, d’une transition de structures mortifères vers des structures vivifiantes en économique, en vie sociale, en partage de la même terre. Par et en Jésus-Christ, Dieu nous dit que sa mission est au service de la vie en abondance, de briser les cercles d’enfermement, de rendre possible par exemple à la prostituée comme à l’homme riche du nom de Zachée d’accéder à la pleine réintégration dans la société, donc de revivre, en créant dans leur cœur un nouveau désir. A la condamnation, l’Evangile oppose l’accueil inconditionnel, la valorisation en pure grâce, de toute vie et de toute la vie.
Dans « Ensemble vers la vie » nous lisons, je cite : « Nous discernons l’Esprit de Dieu partout où la vie est affirmée dans sa plénitude et dans toutes ses dimensions, et notamment la libération des opprimés, la guérison et la réconciliation de communautés brisées et la restauration de la création. »
La mission à laquelle participe l’Eglise et tout chrétien, c’est de découvrir une spiritualité de la mission qui est toujours transformatrice. Jamais conservatrice. Jamais au service du pouvoir, de la stabilité, du même, mais toujours dans un dynamisme, dans la recherche de plus de vie, de plus de profondeur, d’un sens véritable. Cette mission ou cette spiritualité de la mission conteste et cherche à transformer tous les systèmes et valeurs qui détruisent la vie, où qu’ils soient à l’œuvre – dans nos économies, nos politiques, nos Eglises, nos manières de vivre – d’être en relation.
Et je dirais demain au cours de religion protestante à mon catéchumène : croire en Dieu c’est vivre. C’est une expérience. Un choix, et ce choix est source de vie pour toi, pour ceux et celles autour de toi, et pour toute la création. Croire en ce Dieu c’est aussi m’engager à discerner sa présence partout où la vie est vécue dans la dignité et m’investir là où la vie est rabaissée. Je le dirai plus simplement car il n’aura pas eu la prédication en entier.
Allons ensemble vers la vie ! C’est ce qu’a dû ressentir le prophète Esaïe en créant un dynamisme d’espérance pour inviter à s’engager pour un monde transformé. C’est ce qui habitait Paul et Silas en parcourant contre vents et marées, les contrées de l’Asie Mineure pour témoigner de cet appel et cela a créé des troubles et des incompréhensions. Et à nous de continuer : allons ensemble vers la vie !
Amen.