Je souffle donc je vis

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Écouter le culte :

Ils sont 13. Dans le noir le plus complet. Ils ont froid. Faim. Soif. Ils ne savent pas si c’est le jour ou la nuit. Ils lèchent les parois de la caverne pour quelques gouttes d’eau si précieuses. 12 enfants de 11 à 16 ans et un jeune adulte de 25 ans. Agglutinés sur un monticule rocheux. Et toujours la menace de la montée des eaux. Menace d’une noyade certaine. Et ils attendent. Longtemps. Pour un secours.

Il est seul. Elie. Il a peur. Il a reçu des menaces. Il a connu son heure de gloire lorsque le feu du ciel a embrasé son sacrifice démontrant la supériorité de son Dieu sur ceux de ses concurrents. Néanmoins, l’adversité est là. Il se retire. Il veut mourir peut-être, comme tous ces prêtres qu’il a fait passer au fil de l’épée. Il a marché 40 jours dans le désert. Il a gravi la montagne Horeb, celle de Moïse. Il s’est caché dans la caverne. Et il attend. Pour un secours.

Un vent violent qui fracasse les rochers. Un tremblement de terre. Un feu. Les signes de la manifestation de Dieu sont évidents. Irréfutables. Terribles. Mais tellement prévisibles. Mais il n’en est rien : le secours du prophète Elie lui vient dans le son du silence. Le texte comporte une jolie formule, un oxymore qui exprime la dimension sonore en même temps que la dimension silencieuse. Le souffle ténu de ce silence sonore suffira à faire basculer le prophète. Il se voile le visage de son manteau. Signe évident qu’il reconnaît là une présence divine. Il se confesse alors. Et il reçoit une parole qui l’invite à reprendre sa route.

Ils vont passer plus de 15 jours, 17 jours pour les derniers, dans les entrailles de la terre. Les jeunes thaïlandais, bloqués au fond d’une très longue caverne espèrent et doutent. Ils essaient de creuser, mais en vain. Ils prient et ils attendent. Ils ont besoin de cet oxygène vital. Ils vont en avoir besoin pour sortir de l’étroit boyau qui les maintient captifs sous terre. Ils ne sentent peut-être plus aucun souffle de vent. Comme si l’air qu’ils respirent s’est épaissi au point de ne plus circuler. Durant 9 jours, ils espèrent et ils doutent sans savoir si on les retrouvera vivants. Puis un premier plongeur sort de l’eau. Enfin. Ils reçoivent alors des équipements, des vivres, des couvertures, des bouteilles d’oxygène. Mais il faudra encore attendre longtemps, pour sortir de là.

Deux histoires fort éloignées, bien différentes, qui se rapprochent par la symbolique de la grotte, lieu de retrait du monde, sorte d’utérus qui représente la transformation, la gestation. L’histoire ne sera plus la même. Et le souffle léger va représenter l’élément clé de ces récits.

Oui, bien sûr, c’est une évidence que de respirer. Entre 17'000 et 28'000 fois par jour, nous inspirons cet air qui descend le long de la trachée, soulève notre poitrine et s’engouffre au plus profond de nos poumons, jusque dans les alvéoles. Et là, ce sont 300 millions de pneumocytes membraneux pour chaque poumon, une surface de 75 mètres carrés, qui permet aux particules d’oxygène de passer dans notre sang. Tout aussi important, le processus inverse qui vide notre organisme du CO2, le dioxyde de carbone, que nous rejetons à l’expiration.

C’est une évidence que de respirer, n’est-ce pas. A tel point que notre cerveau n’a pas besoin d’y penser. Et pourtant, il se passe des choses étranges lorsque cette banale respiration devient un objet de méditation. Depuis plus d’une quinzaine d’années, un Français, Antoine Lutz, consacre ses recherches à l’impact de la méditation sur le cerveau humain. Aux États-Unis, il utilise avec d’autres chercheurs des techniques d’imagerie médicale pour observer le fonctionnement du cerveau de moines bouddhistes expérimentés. Ceux qui ont plus de 10'000 heures de méditation à leur actif. Son équipe de recherche montre alors pour la première fois, en 2003, que le cerveau se modifie. Les zones consacrées à l’attention, aux émotions, à la présence aux autres et au monde s’activent plus intensément. Elles changent même de structure et s’épaississent avec le temps. Les recherches montrent qu’il y a quatre phases dans la méditation: une première durant laquelle les pensées vagabondent, puis une prise de conscience de la distraction et une réorientation de l’attention. Finalement, un retour à la concentration. L’impact sur les mécanismes psychiques, voire même sur d’autres fonctions du corps, est important. Désormais des centaines de recherches vont tenter de comprendre comment la méditation permet de réduire l’anxiété, la sensation de stress, améliorer le sommeil, diminuer la dépression, stimuler le système immunitaire, etc. Désormais des médecins et des structures hospitalières en font un outil au service de la santé pour lutter contre des dépendances, contre des angoisses, des effets du stress.

Dans le récit d’Elie que nous avons lu dans le livre des Rois, le prophète traverse un état de dépression qui suit un épisode d’euphorie. Il ne s’agit pas de médicaliser cette histoire aux accents symboliques, mais simplement entrer dans la progression de cette narration.

Elie craint pour sa vie, il redoute une vengeance de Jézabel et d’Achab suite à la fin tragique des prophètes de Baal que le couple royal protégeait. Et contrairement à ce qui précède, il n’y a plus d’intervention magistrale de Yahwé. Fini les miracles aux accents démonstratifs! Un simple messager délivre, tout en douceur et à plusieurs reprises, une parole et de la nourriture, c’est-à-dire du courage pour qu’Elie puisse poursuivre sa route avec persévérance. Elie met ses pas dans ceux de Moïse et le texte offre un certain nombre de parallèles avec l’histoire du patriarche. Comme si Elie était appelé à une sorte de retour aux sources. Et puis cette parole délicate du Seigneur qui lui dit « Pourquoi es-tu ici, Elie? ». Étonnante question qui invite le prophète à revisiter son histoire, à faire un retour sur lui-même. Vient alors une déclaration qui l’invite à sortir de la grotte et à se tenir debout devant l’Éternel. Il n’assistera pas comme un spectateur à la manifestation de Dieu, mais il reprend déjà la position du prophète qui assume sa posture face au monde et face à Dieu.

Et puis, cet épisode étonnant de Dieu qui s’exprime dans le son d’un silence. Une manière de dire que le silence n’est pas vide, signe d’une absence, mais qu’il est une marque d’intensité. Et cette intensité ne culmine pas dans la démonstration de force d’un Zeus tout puissant maître des tremblements de terre ou des tempêtes. Elle se joue dans la sobriété de ces quelques mots, d’un souffle ténu silencieux, mais habité d’un son. Et ce son construit du sens. Il oriente le prophète. Il l’invite à reprendre goût à la vie et lui donne un élan nouveau. Parole et silence s’associent dans cet épisode. La parole seule ne suffit pas. Le retrait dans le silence de la grotte ne suffit pas non plus. Et l’expérience de la théophanie, de la manifestation de Dieu, se produira hors de la grotte. Dans ce texte se joue quelque chose du rythme entre parole et silence, entre engagement et retrait, entre renoncement et envoi. La fuite du prophète se transforme alors en mission pour le Seigneur.

Je vois dans ce texte une interpellation prophétique pour l’Église. Cette Église qui, particulièrement en Europe, voit s’effondrer le nombre de ses membres actifs, disparaître progressivement son impact social. Cette Église qui doit vendre ses bâtiments. Cette Église qui traverse des crises existentielles en cascade. On l’a dit sur tous les tons, on l’a analysé avec précision en utilisant les outils de la sociologie, des philosophes et des théologiens cherchent à décrypter en profondeur les racines, les enjeux et les représentations sociales. Je vois, disais-je, dans ce texte, une interpellation prophétique pour cette Église qui serait tentée de fuir. De se replier dans la caverne de ses acquis. De protéger, comme une louve, son patrimoine, ses habitudes, ses formes de célébration, ses structures ecclésiologiques. Cette Église fragile qui court le risque de la paralysie, de l’apnée.

Je vois dans ce texte une interpellation à entrer en respiration. A sentir le souffle léger d’un silence habité d’une présence. Quels sont les temps de respiration que se donne cette Église? A quel moment trouve-t-elle la force de résister à l’activisme, aux demandes pressantes, aux urgences pastorales et aux impératifs sociaux? A quel moment, cette Église offre-t-elle des cours de méditations, de respiration à ses enfants et à ses catéchumènes. A quel moment cette Église ménage-t-elle dans ses cultes et ses célébrations des temps de silence? A quel moment cette Église installe-t-elle en ses murs des tabourets de méditation, des zafous, et des tapis pour permettre aux visiteurs de passage de trouver dans la paix de ses murs une paix intérieure? Ces initiatives existent et il y a de quoi s’en réjouir. Mais bien souvent la parole balaie le silence. La tête pensante oublie qu’elle vit dans un corps. Méditer, respirer, c’est revenir au corps. Non pas comme un mal nécessaire, non pas comme un lieu de souffrance, mais au corps comme le lieu de l’incarnation. De la présence au monde. Et comme Jésus, qui invite ses disciples à se retirer de la foule pour se mettre à l’écart, ce texte nous invite à prendre de recul du souffle pour entrer dans une autre forme de présence au monde.

Mardi 10 juillet 13h57, une alerte sonore arrive sur mon téléphone. Le dernier enfant a été évacué de la grotte en Thaïlande. Et j’imagine les hurlements des sirènes, les ambulances, des flashs, le bruit, le vent, les masses de journalistes qui cherchent à passer le cordon de sécurité.

Plus tard encore, dans l’apaisement d’une chambre d’hôpital, les retrouvailles, les larmes de joie. Et ces témoignages nombreux qui les inviteront à reprendre leur route. Le retour à la vie. Le miracle s’est produit.

Oh, j’aimerais bien quelque part au fond de moi, que l’Église puisse vivre un miracle de la sorte, une renaissance spectaculaire. Mais je suis plutôt enclin à penser que ce ne serait pas dans la démonstration de force que le Seigneur trouverait sa place, mais plutôt dans le discret silence d’un corps qui respire.

Amen.

Le sauvetage de douze enfants et de leur entraîneur sportif a ému la planète entière au début du mois de juillet. Bloqués durant quinze jours dans une grotte en Thaïlande, ils ont dû affronter l’obscurité, l’eau, la faim, le froid et le manque d’oxygène pour retrouver l’air libre.

La portée métaphorique de ce fait divers est l'occasion de méditer sur le souffle Celui de Jésus qui promet l’Esprit à ses disciples. Celui de Dieu qui donne la vie aux premiers humains. Celui qui, mystérieusement, accompagne le prophète Elie dans un moment charnière de son périple.

Détails

Avec la participation de
Tamara Gasteiner, Aldo Ravedoni
Orgue
Margarita Lazareva
Musique
Yuliya Bauwens, soprano