Écouter le culte :
Une consigne résonne sans cesse à nos oreilles depuis maintenant deux mois : « Gardez vos distances ». Comme la plupart des habitants de ce pays, j’ai pris soin de respecter le mieux possible cette mesure sanitaire. Les premiers temps du semi-confinement me sont apparus comme une étrange période de vacances, vécue comme à l’écart du monde avec ma femme et mes trois enfants. Une période bien occupée par le travail à distance et l’école à la maison. Puis, au fur et à mesure des semaines, j’ai ressenti de plus en plus nettement une sorte de vide, un manque dont la cause m’est soudain apparue lorsque nous avons fêté l’anniversaire de mon fils. Nous avons organisé une vidéoconférence avec ses amis et la famille. Ils étaient bien là pour cette occasion, mais leur présence se limitait à de petites vignettes animées sur l’écran de l’ordinateur. J’ai alors particulièrement ressenti à quel point la proximité physique et les gestes d’affection avec ma famille et mes amis me manquaient. Depuis, le désir de leur présence ne fait que croître.
Je crois que nous sommes nombreux, pendant ce confinement, à ressentir, à différents degrés, l’absence et le manque de relations. C’est pourquoi, aujourd’hui, je pense souvent à ceux qui sont submergés par cette expérience de l’absence, à cause de la solitude, du deuil, ou parce qu’ils sont en prison ou à l’hôpital.
Le sentiment d’absence est aussi le point de départ de notre texte. En effet, les disciples de Jésus ressentent l’angoisse de la séparation définitive, car désormais ils comprennent que la mort de Jésus est imminente et inévitable.
Que va faire Jésus face à l’angoisse de ses disciples ? Et nous, que pouvons-nous espérer lorsqu’à notre tour nous traversons cette épreuve ?
Jésus ne semble pas répondre concrètement à l’angoisse de ses disciples. En effet, il ne fait pas de miracle pour transformer la situation. Pourtant, il ne reste pas inactif. Il entre en dialogue avec eux. Un dialogue où Jésus invite ses disciples à une réorientation, une conversion pour découvrir que le manque ne doit pas être fui. Il ne vient pas combler cet espace vide creusé par l’absence. Au contraire, Jésus les invite à être attentifs et à découvrir que dans ce vide se trouve déjà, ici et maintenant, la présence de Dieu.
Face à l’angoisse de ses disciples, Jésus commence par les rejoindre, par faire vivre la relation. En disant « Ne soyez pas inquiets », il montre qu’il prend à cœur leur situation, qu’il comprend leur sentiment d’abandon et l’inquiétude de ne pas savoir ce qui va advenir par la suite.
Parce qu’il partage leur chagrin, Jésus les rassure tout de suite. Cependant, cette parole ne se limite pas à un souhait. Face à l’absence, Jésus les invite à créer une nouvelle relation avec Dieu. Or, pour entrer en relation, il faut avoir confiance en l’autre, découvrir son désir d’être avec nous tel que nous sommes, sans arrière-pensée, sans projet caché. « Croyez en Dieu et croyez en moi. » Comme s’il leur disait : « Prenez confiance en Celui qui est à la source de toute vie. » Dieu s’intéresse et prend à cœur la situation à laquelle ses enfants peuvent se trouver. Ayez confiance, en Jésus, Dieu est venu à votre rencontre, comment vous abandonnerait-il dans la détresse ?
Nous imaginons souvent un Dieu distant, auquel il faut plaire pour être accepté. Un juge lointain, soit indifférent, soit manipulateur. Jésus retourne tout et ce qu’il révèle est incroyable : en Jésus, Dieu est venu vivre notre vie. Pourquoi ? Parce qu’il désire notre présence auprès de Lui : « afin que là où moi je suis, vous soyez aussi ».
L’expérience du confinement m’a amené à réaliser que le désir d’être avec l’autre, le désir de partager le quotidien avec lui est une des plus belles expressions de l’amour. C’est un amour qui ne se limite pas à nos bons côtés, mais qui accepte aussi nos zones d’ombre. C’est ainsi que l’amour de Dieu s’exprime : tel que nous sommes, il veut vivre en notre présence, ici, maintenant et pour toujours. Il veut partager chaque événement de notre vie : le temps de joie et de peine ; le temps de réussite et d’échec, le temps de présence et d’absence ou de solitude.
Jésus invite à la confiance, et réciproquement, il a aussi pleinement confiance en ses disciples : « ce chemin vous le connaissez ». Ils savent déjà comment traverser ce temps particulièrement difficile en expérimentant la présence de Dieu à leur côté.
La confiance de Jésus en ses disciples les plonge dans la perplexité, comme le montrent les demandes qu’ils adressent à Jésus. Or, les réponses de Jésus ne font qu’accroître cette perplexité, car à ces demandes, Jésus commence ses réponses par « Je suis ». Dernière ces mots se trouvent le second retournement, il nous ouvre nouveau regard sur le sens de notre vie.
Thomas a besoin de se rassurer. Il demande à connaître le but afin de connaître le chemin, c’est-à-dire quelque chose à suivre qui pourrait être des actions, des rites, une éthique qui garantit la réussite de la vie de disciples. Un mode d’emploi qui assure l’accès au lieu où se trouve Jésus. Ainsi, Thomas demande : « Nous ne savons pas où tu vas, comment est-ce que nous pourrions connaître le chemin ? » Jésus répond : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ».
Thomas cherchait le lieu de la maison du Père et une façon sûre de l’atteindre. Dans l’évangile de Jean, la « maison du Père » désigne le temple de Jérusalem et par extension le lieu de la présence de Dieu. Or, Dieu n’a pas de maison au bout d’un chemin tout tracé, et pour cause, le Père est là, devant Thomas. C’est Jésus avec lequel il parle. La demeure de Dieu, Thomas y est déjà et le chemin n’est pas celui qui va vers Dieu, mais le chemin que nous traçons avec Dieu. Alors, les actes insignifiants de notre vie quotidienne prennent une nouvelle dimension, car en eux habitent la vie véritable.
Philippe a besoin de combler le manque, l’absence par une vision qui le comblerait et lui donnerait des certitudes. Philippe demande : « Montre-nous le Père et cela nous suffit ». Jésus répond : « Je suis avec vous depuis si longtemps… celui qui m’a vu a vu le Père ».
Philippe aimerait la révélation qui lui donnerait la preuve de Dieu, la vision irréfutable du Père qui apporterait une certitude définitive. Cette demande revient à saisir Dieu, à le faire entrer dans nos concepts, en faire un objet de savoir. Or, Dieu n’est pas une image, un objet, mais une personne. Jésus révèle un Dieu d’amour, un Dieu vivant, qui est ici et maintenant en dialogue, en relation avec Philippe.
Tel que je le comprends, l’amour de Dieu est relation. Dans une relation, l’amour ne peut être prouvé, aucune étude comportementale, psychologique ou médicale ne peut apporter la preuve de l’amour. L’amour est une vérité parce qu’il est vécu, parce qu’il prend le risque de la confiance et qu’il change et s’approfondit tout au long du chemin parcouru ensemble.
Jésus nous révèle le vrai visage de Dieu : il est notre Père. Il a mis toute sa joie en nous, ses enfants bien-aimés. Il nous rejoint là où nous sommes et nous invite humblement à lui faire confiance. Accorder notre confiance à Jésus nous rend attentifs à la présence de Dieu, à sa relation avec nous. Car comme l’affirme Jésus : « Dès maintenant, vous connaissez le Père et vous l’avez vu ».
J’aimerais vous partager comment cette Parole de Dieu peut nous interpeller durant cette période de distanciation sociale. La diminution de nos loisirs, la réorganisation de nos activités et surtout le manque de relation peuvent faire de ce temps un révélateur de ce qui fait l’essentiel de notre vie, ouvrir un espace où peut résonner la Parole de Dieu.
Si Jésus prend à cœur nos peurs et nos manques, ce n’est pas pour apporter des solutions miracles, ou des béquilles pour masquer nos faiblesses. Je crois que le simple désir de vivre cette confiance en Dieu nous permet de devenir sensibles à sa présence. Alors, Dieu vient à notre rencontre à travers sa Parole et il nous donne la force d’affronter le vide de nos manques et la frustration de nos désirs, sans chercher à les noyer dans la distraction et la consommation.
L’absence est une réalité vécue douloureusement, ne masquons pas notre faiblesse, mais osons exprimer notre manque à Dieu. En effet, de même que le Père est à la source de notre vie, son désir d’être en relation avec nous est la source profonde de tous nos désirs. Je crois que nous avons besoin d’attention et de temps pour entendre notre vrai désir d’une vie en plénitude. Une vie vécue, non dans la dispersion, mais dans la relation d’amour avec le Père qui me permette à mon tour de dire « Je suis ».
Par sa présence, Jésus promet la paix. La paix, ce n’est pas une absence de trouble ou de conflit, la paix c’est être complet. Dieu vient combler notre manque, par sa présence. Une présence ici et maintenant dont rien ne peut nous séparer, et qui continue au-delà de la mort dans la demeure du Père.
La relation au Père n’est pas un but, mais un chemin qui renouvelle ma relation aux autres et au monde par l’attention à sa présence auprès de ceux que nous rencontrons et dans sa création.
Lorsque nous ressentons la peur de l’absence, faisons confiance à sa Parole afin de laisser cet espace ouvert dans notre vie, soyons attentifs à sa présence et laissons lui chasser nos peurs et remplir notre cœur de sa paix. Jésus le ressuscité vient à notre rencontre et reste avec chacun de nous aujourd’hui et toujours.
Amen.