Descends si t'es un homme!

Eglise du Prieuré, Pully (©Nachosaurus, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

Ainsi parle la petite frappe de bas-quartier qui bombe le torse et veut faire le coup de poing. Ainsi parle le caïd qui défie un rival et qui joue les durs. Il y a de la testostérone dans ces mots ! Cette expression, apparemment anodine, véhicule une image de l’homme et en creux une image de la femme.

Descends, si t’es un homme ! Sous-entendu : « Si tu n’es pas une chochotte, une femmelette, une mauviette, viens qu’on s’explique ! »

Descends, si t’es un homme ! Sous-entendu, un vrai, ce qui signifie dans notre esprit un homme fort, viril, puissant, car c’est ainsi que l’on s’imagine un vrai homme. Viens que l’on se mesure l’un à l’autre ! Il y a aussi une part de misogynie et une part d’homophobie dans ces mots qui annoncent un combat de coqs.

Si j’ai choisi cette expression qui tient plus de l’argot de rue que du petit Littré, si j’ai choisi cette expression comme « exergue » à cette prédication, c’est parce que dans la foi chrétienne, nous confessons qu’un jour, Dieu s’est fait homme. Autrement dit, qu’un jour, Dieu est descendu. Je dis « descendu », parce que dans notre imaginaire, Dieu ne peut-être qu’au-dessus de nous.

Dire de Dieu qu’il s’est fait homme, c’est dire qu’il est descendu des cieux.
Descendu de son trône.
Descendu du rebord du monde, où il était assis.
Descendu de toutes ses hauteurs dans lesquelles nous aimons à le confiner.

La foi chrétienne repose sur cet improbable retournement. Improbable retournement parce que l’on peine à comprendre pourquoi Dieu a quitté son Royaume pour venir dans ce monde qui est le nôtre, avec tout ce qu’il a de beau et tout ce qu’il a de moche.

Improbable retournement parce que l’on peine à comprendre pourquoi Dieu, l’Éternel, lui qui est sans début ni fin, a-t-il choisi de naître et donc de se soumettre à l’implacable temps qui passe qui use et mène irréversiblement à la mort.

Improbable retournement parce que l’on peine à comprendre pourquoi Dieu, qui est souverainement libre, a-t-il accepté de s’astreindre à l’attraction terrestre et à notre pesanteur, qui plus est pour se faire serviteur.

Cela dépasse notre entendement.

Alors je m’interroge. Qu’est-ce qui a bien pu pousser Dieu à quitter les attributs de sa divinité ? Voulait-il relever un défi que lui aurait lancé l’homme ? En forme d’ultimatum ?

On pourrait le penser, car on ne peut pas le nier, il y a entre Dieu et l’homme, entre l’homme et Dieu, une telle accumulation de brouilles ancestrales, de rivalités, de malentendus, de déceptions réciproques que l’humain a souvent cherché Dieu pour l’assigner à comparaître.

« Où est-il ton Dieu ? » Telle est la question de sceptiques moqueurs dont les psalmistes se font l’écho dans les psaumes.

Où est-il ton Dieu ? Qu’il se montre s’il ose !

Descends si t’es un homme ! Viens t’expliquer ! Viens te justifier !

Selon l’auteur de l’épitre aux Philippiens, ce n’est pas pour cela que Dieu s’est fait homme. Dieu ne s’est pas fait homme pour répondre au défi que lui aurait adressé des insolents. Dieu ne s’est pas fait homme pour venir témoigner à son procès. Rien de tout cela. Mais Dieu s’est fait homme pour se mettre au service des humains et du monde.

Pour dire cet improbable retournement, l’auteur choisit un vocabulaire bien étrange pour un Dieu. Il parle d’un dépouillement et d’un abaissement. Ce vocabulaire est déconcertant. Un Dieu qui s’abaisse est-il encore un Dieu ? Un Dieu qui se dépouille est-il encore un Dieu ?

Dans nos esprits un Dieu qui tiendrait son rang, c’est un Dieu qui viendrait clouer le bec aux orgueilleux.

Dans nos esprits, un Dieu qui tiendrait son rang, c’est un Dieu qui viendrait s’expliquer avec les sceptiques une bonne fois pour toutes.

Dans nos esprits, un Dieu qui tiendrait son rang, c’est un Dieu qui viendrait régler leurs comptes aux méchants si ordinaires qui peuplent notre monde et qui se complaisent sans vergogne dans l’injustice, la violence et les bassesses.

On veut bien croire en Dieu. Mais pas en un Dieu rétréci, atrophié, qui courbe l’échine. On veut bien croire en Dieu, mais pas en un Dieu abaissé, dépouillé.

Certes, on veut bien croire en un Dieu qui vient à nous, mais ce doit être alors un Dieu bien bâti, un Dieu qui ne craindrait pas de retrousser les manches pour venir remettre de l’ordre dans ce monde chaotique.

Alors oui, qu’il est étrange, ce Dieu qui se dépouille, s’abaisse et se fait serviteur. Qu’il est étrange ce Dieu qui a le mauvais goût de ne pas être comme on aimerait qu’il soit !

Un Dieu qui se dépouille et s’abaisse ne serait-il pas au fond qu’une caricature de Dieu ? Une parodie de Dieu ?

Une citation de la rabbine Delphine Horvilleur m’a aidé à comprendre – un peu – ce Dieu atténué qui vient à nous. Ce Dieu assez fou pour s’exposer à nous dans le dénuement.

Elle écrit : « Il faut être sacrément grand pour être en mesure de se dire tout petit. »

N’est-ce pas ce que Jésus a fait en s’identifiant aux plus petits parmi nous ? Jésus en qui nous reconnaissons Dieu qui se fait homme ?

Jésus – le Christ – ne s’est-il pas identifié à ceux qui sont nus ?
A ceux qui ont soif et faim.
A ceux qui sont malades ou en prison.
A ceux que l’on méprise.
A ceux qui n’ont rien et qui ne sont rien.

N’y-a-t-il pas quelque chose de grandiose dans ce renversement. Quelque chose de majestueux et de puissant dans ce Dieu qui fait résolument passer les autres avant lui ?

N’y-a-t-il pas quelque chose d’infiniment noble dans ce Dieu qui affirme être venu, non pas pour être servi, mais pour servir ?

N’y-a-t-il pas quelque chose d’inédit, d’inouï, dans ce Dieu qui choisit d’être librement Dieu à contre-emploi ?

N’y-a-t-il pas quelque chose digne dans la façon de vivre et de mourir qu’a eue Jésus ? Une façon de vivre à la fois si résolue, si ferme, mais aussi si peu encombrante et si peu accablante.

Une chose est sûre, Dieu ne s’est pas fait homme pour soigner son image, son profil. Se montrer à nous sous meilleur angle ! Ce n’eut été alors que la manifestation d’un Dieu préoccupé par lui, centré sur lui.

Dieu ne s’est pas fait homme pour redorer son image de marque, mais simplement pour nous révéler qu’il y a une autre manière d’être homme en ce monde que d’y jouer des coudes pour en découdre.

Ce Dieu qui se fait homme et qui vient à nous est puissamment délicat.
Puissamment altruiste.
Puissamment pacifique.

Voilà l’homme : non pas une parodie, non pas un trompe-l’œil. Mais l’homme véritable, l’homme accompli, l’homme fort de la seule puissance qui vaille : celle de de se savoir aimé et de se donner sans compter.

Dieu s’est fait homme pour insuffler en nous le désir de le devenir à notre tour.  Simplement.

Il nous faudra bien plus que quatre dimanches de l’Avent et les fêtes de Noël pour nous laisser polliniser par lui.

Amen.

Il y a de la testostérone dans cette expression familière! J'imagine volontiers l’entendre au détour d’une scène de film en noir et blanc, dans la bouche d’un petit caïd de quartier qui veut régler ses comptes avec un rival. L’expression apparemment anodine véhicule une image de l’homme viril, body-buildé, et en creux, une piètre image de la femme.

Descendre jusqu’à nous, c’est ce que Dieu fait en s’incarnant. En se faisant l’un des nôtres, Dieu interroge non seulement nos représentations de Dieu, mais aussi nos représentations de l’homme masculin et de l’humain en général. Un jour Dieu s’est fait homme et il a habité parmi nous, mais l'homme qu'il a été, entre Galilée et Judée, détonne avec le modèle courant qui continue à trotter dans les recoins de notre inconscient et à alimenter nos injonctions sociales.

Détails

Avec la participation de
Jacques Haldy pour les lectures
Orgue
Anne-Claude Burnand-Mauri
Musique
Elise Milliet, soprano, et Maël Graa, ténor