Jésus circoncis, qu’est-ce que ça change?

Eglise Saint-François Lausanne (©Gzzz, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

On interprète souvent en église, la naissance, la vie et la mort de Jésus comme si tout avait été cousu de fil blanc. Les récits de la conception miraculeuse de Jésus que nous venons de lire à Noël, comme les récits enchantés de sa venue au monde à coup d’effets spéciaux avec les anges, l’étoile, les mages, semblent confirmer cette lecture : la naissance, la vie et la mort de Jésus auraient été scénarisés à l’avance. Jésus aurait eu un destin tout tracé.

Or la très brève mention de la circoncision de Jésus nous ramène soudain les pieds sur terre. Car avec ce rite, nous ne sommes plus dans le registre du merveilleux, mais dans celui de l’ordinaire, de la routine qui entourait toute naissance d’un fils d’Abraham.

Une naissance, rappelle Olivier Abel dans son livre « La naissance qu’est-ce que ça change », c’est d’abord une loterie. Je n’ai pas choisi de naître. Vous non plus. C’est vertigineux quand on y pense.

Et si Jésus le Christ revêt pleinement notre condition humaine, alors il faut dire que lui non plus n’a pas choisi de naître. En fait, lorsque l’on naît, on ne choisit rien. Jésus n’a pas choisi ses parents, ni plus tard ses frères et sœurs. Il n’a pas choisi de naître à Bethléem, ni de débarquer dans une histoire particulière, celle d’Israël, et dont il ne sera qu’un petit maillon anonyme. Jésus n’a pas choisi de naître dans une période troublée, fébrile ; tellement tourmentée que d’aucuns prétendaient que la fin du monde était proche. Jésus n’a rien choisi. Et encore moins d’être circoncis le huitième jour. Cela signifie que Jésus n’a pas choisi non plus sa religion, ni son Dieu.

Car la circoncision incorpore tout fils d’Israël, qu’il le veuille ou non, dans une pensée, dans une culture, dans une religion, que, par commodité, nous appellerons le judaïsme.

Circoncis, Jésus se retrouve en bonne compagnie. Le voilà entouré par des figures tutélaires, dont on lui parlera abondamment, parmi lesquelles : Abraham, Isaac et Jacob, David et Salomon, et les prophètes Osée, Esaïe et tous les autres.

Si l’acte de la circoncision est forcément expéditif, il inaugure, par contre, un long et lent cheminement. Un cheminement de transmission, d’éducation, d’étude, d’initiation sans lequel Jésus ne serait pas celui que l’on connaît ou que l’on croit connaître. La circoncision nous rappelle que Jésus ne s’est pas fait tout seul.

Dans un passage qui suit de peu celui de la circoncision, Luc raconte que Jésus s’est entretenu, un jour, alors qu’il avait douze ans, avec des maîtres au temple de Jérusalem. Il leur posait des questions. Il répondait aux leurs. Si bien que ces sages, nous dit le texte, étaient émerveillés de ce qu’ils entendaient.

Dans les Évangiles, Jésus cite la Torah, les prophètes et les Psaumes. Il entrait dans les synagogues pour y lire les écritures et les interpréter.

Jésus circoncis sera un juif pratiquant. Un exégète, un interprète, un prédicateur itinérant. À un maître de la Loi qui était venu l’interroger sur la vie éternelle, Jésus l’interpellera d’une manière très caractéristique du judaïsme : « Comment lis-tu ? »

Bien sûr, vous me citerez ces nombreux passages où Jésus se dispute avec des pharisiens. Et ce n’est souvent pas piqué des hannetons. Entre eux, le ton montait. Et ils se frittaient sans ménagement. Ces nombreuses disputes pourraient laisser croire que Jésus aurait pris, à un moment donné de son existence, ses distances avec sa propre religion, qu’il aurait même rompu avec elle, ou qu’il en aurait fondé une autre.

Les rédacteurs des Évangiles, pour diverses raisons, ont volontairement dramatisé, noirci et exagéré ces désaccords. Nous le savons, cette dramatisation a eu des conséquences funestes dans l’histoire, faisant des juifs des ennemis de Jésus, de l’Église, des chrétiens.

Mais lorsque l’on connait le judaïsme, cette dramatisation n’avait pas lieu d’être. Car les conflits d’interprétation constituent l’ADN du judaïsme qui cultive la pluralité des lectures. Dans le judaïsme, que l’on ne soit pas d’accord sur l’interprétation d’un texte ne posait pas problème.

Si nous, lecteurs chrétiens, nous tombons facilement dans le piège de cette dramatisation des disputes, c’est parce que nous avons longtemps pensé que seul ce qui est indiscutable est vrai.

Si nous, lecteurs chrétiens, nous tombons facilement dans le piège de cette dramatisation, c’est que nous avons longtemps pensé (et certains le pensent encore) qu’il n’y a qu’une seule interprétation possible des écritures.

Longtemps nous avons pensé et prêché en église (et d’aucuns continuent à le faire) que nos dogmes, nos confessions de foi, nos catéchismes sont faits pour être crus, mais non pas discutés, ni remis en cause.

Jésus n’a pas choisi sa religion. Mais soyons-en sûr, le judaïsme dans lequel il est né, était suffisamment large pour accueillir l’un des siens, même si résolument libre, si critique, si indocile et si peu discipliné.

Jésus questionnait les évidences. Jésus dénonçait les habitudes, les « on a toujours fait comme ça ». Jésus mettait le doigt sur les incohérences. Comme le jour où il interpelle ses frères pharisiens en ces termes : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ! »

Si Jésus a été critique avec sa propre religion, et c’est sûr qu’il l’a été, ce n’est pas contre le judaïsme en soi, mais contre le raidissement qui le gagnait.

On se raidit quand on se sent menacé et que l’on a peur. On se durcit quand on pense que le monde autour de soi nous est hostile. On se durcit quand on n’a pas confiance.

Toutes les religions, toutes les écoles de pensée, tous les groupes d’opinion sont guettés par ce danger – celui de se durcir, de se replier sur soi.

Quand on cède à cette tentation, on se met à cadastrer les appartenances et les identités. On borne les frontières entre ceux et celles qui sont purs ou impurs. Croyants ou mécréants. Orthodoxes ou hérétiques. On définit les identités et le cahier des charges d’un bon juif, comme plus tard on définira le cahier des charges d’un bon chrétien, d’un bon paroissien, d’un bon croyant.

Le drame est que l’on ne peut cadastrer les appartenances qu’en se séparant. En se séparant du monde, en le jugeant. On ne peut borner les identités qu’en diabolisant les autres, ceux qui ne pensent pas, et ne croient pas comme nous.

Or, une religion qui se sépare du monde et des humains, une religion qui se replie sur elle-même pour se protéger, se sécuriser, devient à coup sûr stérile.

En plus de ces frères et sœurs dans la foi, c’est aux diabolisés de son temps, à ceux-là que l’on appelait les brebis perdues d’Israël, les brebis égarées, que Jésus va prêter toute son attention : les incirconcis, les païens, les Samaritains hérétiques, les malades et les infirmes impurs, les réprouvés de Dieu.

N’y voyez pas là une lubie. Si Jésus accorde son attention à tous ceux-là, c’est par fidélité à Dieu.

Huit jours après sa naissance, Jésus a été circoncis : il n’a choisi ni sa religion, ni son Dieu. Mais il nous a révélé que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob n’était pas le Dieu de quelques-uns mais de tous les hommes.

Amen.

On le répète à l’envi, Jésus est né juif et il est mort juif. La brève allusion à sa circoncision atteste de son inscription identitaire dans la religion d’Abraham, Isaac et Jacob.

Cette inscription pose une question fondamentale aux chrétiens: si Jésus était juif, s’il n’a pas voulu fonder une nouvelle religion, comment se fait-il que nous soyons chrétiens? La circoncision de Jésus a-t-elle quelque chose à nous dire?

Détails

Avec la participation de
Catherine Hagin, pour les lectures
Orgue
Anna Spirina
Musique
Benjamin Righetti, à l'orgue