Écouter le culte :
Chers frères et sœurs en Christ,
Quand je dis « sacrifice », à quoi pensez-vous ? À la dernière fois où vous vous êtes « sacrifié » pour laisser la dernière part de gâteau à votre fils ? Ou quand vous avez « sacrifié » votre soirée de congé pour bosser sur un dossier prioritaire ? Des petits sacrifices.
En ces temps de pandémie, ce mot « sacrifice » résonne assurément bien différemment à nos oreilles. Nous avons tous dû sacrifier quelque chose dans cette crise sanitaire. Les apéros entre amis, les après-culte, les repas de famille tous ensemble ? Sacrifiés. Les sorties au cinéma, le chant choral, les visites à l’hôpital ? Sacrifiés. Plus grave encore, c’est tout un pan de la société qui semble avoir été sacrifié : petits commerçants, artistes, restaurateurs et même les aînés que l’on avait voulu un temps enfermer dans leurs EMS au détriment de la vie. Sacrifiés.
Les jeunes aussi crient leur souffrance. Avez-vous lu dans le journal Le Temps le poignant appel à nos autorités que lance Julia, étudiante de 18 ans souffrant de troubles anxieux, clouée à la maison à cause de la pandémie et qui crie son malheur devant ce qu’elle doit subir : « un vide de vie » pour elle ou pour d’autres. Je la cite : « Et on pense aux personnes âgées obligées de rester chez elles qui vont finir par mourir seules sans avoir vu leur famille une dernière fois. Comment comptez-vous prendre en charge tous ces enfants qui ont cette peur bleue de tuer leurs grands-parents ? Et ces étudiants dépités de n’avoir aucune aide, qui n’en peuvent plus d’être chez eux, qui veulent arrêter toutes leurs études car ce n’est plus possible ? Vous en faites quoi de cette nouvelle génération qui n’a plus de rêves, de projets, d’espoir ? » Une génération sacrifiée, disait une collègue. Les jeunes ? Sacrifiés.
Et ce sacrifice est révoltant. C’est un scandale. Et je pèse mes mots. Une intolérable réalité que pourtant nous sommes contraints de constater.
Dans la Bible aussi, le sacrifice est révoltant. Et en particulier dans ce texte célèbre (mais souvent mal connu) du sacrifice d’Isaac, ou plutôt de sa « ligature », vu que le sacrifice n’a finalement pas lieu. Ce sacrifice d’un enfant est vraiment intolérable. Et révoltant.
Tout de suite, nos questions fusent : Pourquoi Dieu impose-t-il une épreuve pareille ? Pourquoi Dieu demande-t-il de tuer, alors que le meurtre est un interdit fondamental ? Ce texte réveille aussi notre profonde angoisse de devoir sacrifier ce que l’on a de plus cher... Comment Dieu peut-il demander cela ? Quel scandale !
En lien avec cela, je ne peux m’empêcher de penser à la croix. Comment les premiers disciples de Jésus ont-ils reçu le fait que Jésus, leur maître, le fils de Dieu, avait été cloué sur une croix, se sacrifiant pour nous ? Quel intolérable outrage. Oui, pour eux, cela a dû être réellement révoltant. Un scandale, comme Paul l’a dit dans sa lettre aux Galates avec cette expression « le scandale de la croix » (Ga 5, 11).
Oui chers frères et sœurs, ce matin j’ai envie d’accueillir et de partager cette révolte profonde en moi devant les sacrifices de la vie que Dieu laisse faire – voire pire – qu’il demande. Quel est ce Dieu qui met à l’épreuve ? Quel est ce Dieu qui demande des sacrifices ? Est-il le même que le Dieu d’amour auquel je crois profondément ?
Prenons le temps pour accueillir la révolte, les cris, l’incompréhension.
Nous ne pouvons qu’accepter que ces questions restent sans réponses. Car la Bible ne résout pas les contradictions humaines par des recettes évidentes et générales.
Mais penchons-nous sur le texte de Genèse 22.
Le premier verset donne le titre à l’ensemble de l’histoire : « Il arriva que Dieu mit Abraham à l’épreuve. » Ce terme « épreuve » renvoie à la fois au fait d’éprouver quelque chose pour voir si cela tient, comme éprouver la tenue de route d'une voiture ou la solidité d'une charpente, et à la fois comme dans l'expression courante « être dans l'épreuve », les difficultés. Même racine hébraïque que le mot « tenter » ou « soumettre à la tentation », cette expression rappelle évidemment l’épreuve que les Israélites ont traversé au désert, lorsqu’était éprouvée la force de leur foi en ce Dieu de Vie libérateur. Pour nous aussi, ce terme fait penser à l’épreuve qu’est pour beaucoup d’entre-nous la pandémie et ses conséquences sur nos vies.
Pourquoi cette mise à l’épreuve ? Le texte ne donne pas de réponse, comme un écho à nos « pourquoi ? » devant les épreuves de nos vies qui restent sans réponse eux aussi…
Et que demande Dieu exactement ? « Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l’offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t’indiquerai. » Que faut-il comprendre de ce qui est demandé ? Un sacrifice d’enfant, d’un « jeune homme » (verset 5) qui a tout l’avenir devant soi ? Ou plus en profondeur, un sacrifice de son avenir, avec ce sacrifice, du fils porteur de la promesse et de la descendance ? Ou même encore, un sacrifice de ce que l’on a de plus précieux ?
Devant cette demande de sacrifice suprême, Abraham aurait pu réagir fortement. Il aurait pu lancer à Dieu avec humour : « Dois-je sacrifier ma famille pour ma carrière ? » Mais en fait, sa réaction est à peine humaine. « Me voici », dit-il, trois fois, répondant à l’appel de Dieu, tel un bon serviteur. Il obéit. Il se met en route, il prépare. Il agit, sans que jamais nous ne puissions avoir accès à son discours intérieur.
Et nous ne pouvons nous empêcher de penser : comprend-il vraiment le caractère scandaleux de la demande ? Le texte nous laisse ce vide à interpréter. Au fond, comme si Abraham apparaissait comme une coquille vide. Qui, en effet, en se mettant à sa place, pourrait prétendre réagir de cette manière ? Personne. Abraham ici apparaît en surhomme de foi, avec une foi qui semble inatteignable, presque inhumaine.
En arrivant au verset 10, la tension du texte est à son comble : « Abraham tend la main pour prendre le couteau et pour immoler son fils. » Et si nous nous arrêtions là ? Comment comprendre cet événement qui aurait été dramatique ?
Pour répondre à cela, je me suis laissé déplacer par le passage que nous avons entendu dans l’épître aux Romains, au chapitre 8, passage que je comprends comme une clé de lecture pour le texte de Genèse 22, avec notamment son verset 31 : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » dit l’apôtre Paul. Oui je le crois, c’est un postulat de base dans la théologie chrétienne : Dieu est avec nous, il est proche, et pour nous le montrer, il s’est incarné en un homme, Jésus, appelé aussi parfois « Emmanuel, Dieu avec nous ». Oui, Dieu est avec nous, quelle que soit l’épreuve. Dieu est avec nous et ce verset nous invite, comme le dit le pasteur Antoine Nouis, à une démarche spirituelle : « Alors que je suis un humain en proie au doute et à la peur, dit-il, je suis appelé à m’enraciner dans la certitude que Dieu sera toujours à mes côtés. » Toujours à mes côtés, quoi qu’il arrive. Partout et toujours, disaient les supporters du LS.
Dieu est avec nous, et comme Abraham il « n’a pas épargné son propre fils » avec le sacrifice de Jésus sur la croix. Toutefois, nous pouvons relever deux différences. Premièrement, avec Jésus, ce n’est plus l’humain qui offre son fils pour Dieu, c’est Dieu qui offre son Fils pour l’humain. Et deuxièmement, le sacrifice de Jésus n’a pas été interrompu au dernier moment à la croix, lui. En fait, la mort du Fils évoque le « jusqu’au bout » du don de Dieu. Le don de ce que Dieu a de plus cher est le signe que tout le reste nous est aussi donné, par grâce. Et Jésus, par la croix, est devenu Roi. Si vous me permettez ce jeu de mots, nous sommes passés du sacrifice au sacre du Fils.
Dans la croix, je vois donc à la fois le symbole du mal, de la souffrance, mais aussi du don de Dieu par amour qui ouvre sur la résurrection et la vie, et sur le royaume. J’y vois surtout un symbole de l’amour de Dieu dont rien ne pourra jamais nous séparer. Comme un rappel pour le texte de Genèse 22 : Dieu nous aime d’un amour infini et rien ne pourra jamais nous séparer de son amour.
Car en Genèse 22, 11, l’intervention du messager de Dieu qui arrête Abraham juste à temps montre qu’en fait, Dieu est un Dieu de Vie qui accompagne, qui voit, qui bénit, qui sauve, en définitive. Parfois compris comme une condamnation des sacrifices humains en Israël, ce texte pointe en effet non pas sur Abraham et sa foi presque inhumaine, mais… sur Dieu : Dieu n’abandonne pas, il accompagne Abraham, lui parlant sans cesse (le texte répète par exemple trois fois « lieu que je vais t’indiquer »).
Ainsi, j’aime à penser que cette histoire déroutante est en fait comme un conte qui nous appelle sur le chemin de nos vies à avoir foi en ce Dieu de Vie, malgré les épreuves, malgré les sacrifices, même si nous ne comprenons pas toujours le sens ce qui nous arrive.
Comme avec la situation sanitaire actuelle que nous prenons en pleine figure sans réellement comprendre ce qui nous arrive. Oui je vois dans ce texte de Genèse 22 une invitation à nous ouvrir au fait qu’à travers les épreuves ou les sacrifices, Dieu se fait proche, nous rappelant que rien ne pourra jamais nous séparer de son amour.
Car Dieu met à l’épreuve, certes, et c’est révoltant, mais Dieu aime. Dieu sauve. Il est le Dieu de Vie. Et rien, pas même l’épreuve ou le sacrifice que nous devons traverser, ne peut nous séparer de son amour manifesté en Jésus Christ. Quelle bonne nouvelle.
Alors chers frères et sœurs, allons avec confiance, Dieu n’est pas absent, il est avec nous ! Dans ce chemin de vie si compliqué, dans ces temps d’épreuve et de sacrifice que nous vivons, notamment en lien avec cette crise sanitaire, il nous invite à l’instar d’Abraham, malgré les difficultés, à placer notre confiance en Lui. Car il est le Dieu de Vie, qui sauve Isaac d’un mortel sacrifice. Il est le Dieu de Vie qui n’a pas épargné son fils Jésus Christ, mais qui, le troisième jour, l’a relevé des morts. Avec le sacrifice, nous pouvons, un peu paradoxalement, nous ouvrir à ce Dieu de Vie !
En route, chers frères et sœurs, et que Dieu nous vienne en aide pour passer, avec foi et courage, des épreuves du sacrifice, à l’amour manifesté en son fils sacré.
Amen.