Écouter le culte :
Nous voici arrivés à notre deuxième étape de notre série de cultes radiodiffusés depuis le temple du Locle, sur le thème de la foi. Dimanche passé, ma collègue, Christine Hahn, nous avait donné un message intitulé «La foi et la peur ne font pas bon ménage», commentant ainsi le passage de l’évangile de Marc de la tempête apaisée.
À nouveau nous retrouvons la foi confrontée à la peur, puisque le lectionnaire que nous suivons nous invite à prolonger cette réflexion dans la même veine. Cependant, j’ai préféré donner à ma prédication le titre suivant : « Peur et confiance ».
Il y a dans la foi la dimension fondamentale du croire. Mais il y a aussi cet aspect non moins fondamental de la confiance. Foi et confiance ont la même étymologie, une racine commune. Mais le croire et la confiance ne sont pas tout à fait équivalents dans la foi ; l’un et l’autre sont imbriqués pour donner à la foi ses dimensions essentielles. Imbriqués, comme le sont ces deux histoires que nous livre l’évangile de ce matin.
L’histoire d’un père désespéré et de sa fille sur le point de mourir ; l’histoire d’une femme souffrant d’hémorragies depuis douze ans. Deux histoires imbriquées l’une dans l’autre pour dire la foi, pour dire la confiance qui dépasse la peur. Car à nouveau, nous sommes confrontés à la peur.
Dimanche passé, c’était la peur devant les éléments naturels qui se déchaînent, la peur légitime face aux catastrophes dites « naturelles » : les tempêtes, les ouragans, les inondations, les tsunamis. Aujourd’hui c’est la peur tout aussi légitime face à la maladie, face à la mort, face à l’exclusion qui peut aller jusqu’à la mort sociale. Mon expérience de pasteur me montre qu’il n’y a pas de règle au moment de mourir ou face à une maladie incurable. J’ai accompagné des personnes qui avaient la foi et qui étaient envahies d’une terrible angoisse dans leurs derniers instants. D’autres personnes, sans foi ou animées d’une foi qui leur était propre, s’en sont allées en toute sérénité. Il n’y a pas de règle de comportement face à maladie ou face à la mort. C’est vrai, comme disait ma collègue, la foi et la peur ne font pas bon ménage. Cette tension est parfaitement illustrée par le récit de l’évangile de Marc.
Un chef de synagogue nommé Jaïrus, vient à la rencontre de Jésus et le voyant, il tombe à ses pieds. Ce geste dit tout le désespoir, toute l’angoisse de Jaïrus, car sa position sociale lui interdisait de s’adresser à un guérisseur – telle est la réputation de Jésus – et encore moins de se prosterner devant lui.
Son geste est-il le reflet de son désespoir, de son inquiétude prête à transgresser les conventions sociales parce qu’il voit en Jésus la dernière chance pour sa fille qu’il aime ? Est-ce le geste d’humilité de celui qui est prêt à abandonner son statut pour le salut de sa fille, et qui reconnaît déjà la puissance de libération de Jésus ? Pour l’instant ces questions restent en suspens. On voit seulement Jésus accepter sa requête et s’en aller avec lui.
Cette première scène est interrompue par la suivante, par le récit de cette femme malade d’hémorragies depuis 12 ans. Cette femme est impure selon la loi de la Torah. Selon le livre du Lévitique, toute femme ayant ses règles est considérée comme impure et placée en quarantaine, tout contact avec autrui lui étant interdit. Mais cela fait 12 années déjà que cette femme est en quarantaine.
Peut-on imaginer l’isolement de cette femme, nous qui avons vécu plus ou moins péniblement près d’une année de confinement à cause du virus Covid-19 ? Non, on ne peut pas se l’imaginer. Si elle ne guérit pas, autant dire qu’elle est en situation de mort sociale, et donc à terme de mort absolue. Car elle en a épuisé des médecins plus ou moins bons, plus ou moins charlatans, qui ont surtout épuisé sa fortune. Sans doute devait-elle être riche pour pouvoir consulter de nombreux médecins et peut-être son statut social était-il supérieur à celui de Jaïrus. Mais, nous précise le texte, « elle avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, sont état avait plutôt empiré ».
À la maladie se rajoute la misère. À la misère, la stérilité ; à la stérilité, l’impureté, et à l’impureté, la marginalisation la plus totale, celle qui conduit à la mort. Alors son geste se comprend. Il est aussi le geste de la transgression comme pour Jaïrus. Le geste du désespoir ou du dernier recours ? En tout cas, il lui faut beaucoup de courage et de volonté pour transgresser l’interdit qui lui est fait par la loi religieuse.
La foule est compacte et dense au point d’écraser Jésus. La rançon du succès ! Un succès qui frise le surnaturel. Alors il n’est pas étonnant que la femme se dise qu’il suffit qu’elle touche le vêtement de Jésus pour qu’elle soit sauvée. Aurait-elle une pensée magique ? Toujours est-il qu’il lui faut faire des pieds et des mains, transgresser encore et encore, pour atteindre le vêtement de Jésus. Et à l’instant où elle touche le vêtement « sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal ».
Mais le récit ne pouvait pas s’en tenir là, parce que Jésus n’est pas un guérisseur à distance. Si le récit s’était arrêté au toucher du vêtement, il en serait resté au registre du surnaturel et du magique. C’est précisément pour sortir de ce registre que Jésus cherche à savoir qui l’a touché, et qu’il veut entrer en dialogue avec cette personne. La femme s’avance, « craintive et tremblante » : a-t-elle peur de se faire réprimander pour ses nombreuses transgressions ? D’avoir à répondre des ses infractions à la loi religieuse ? Elle se jette aux pieds de Jésus pour dire toute la vérité. Cette nouvelle audace n’est-elle pas le première manifestation de son nouveau statut de femme guérie et libérée ? Prendre la parole en public pour dire la vérité, c’est précisément sortir du registre du magique et du surnaturel, pour reconnaître en Jésus beaucoup plus qu’un guérisseur.
Jésus est son sauveur, un sauveur qui non seulement la rétablit dans sa dignité de femme, et lui permet de retrouver l’intégrité de son corps physique, mais il est aussi celui qui lui permet retrouver son intégrité totale dans le corps social, et de retrouver sa place de femme, et potentiellement de mère et d’épouse, dans sa communauté. Alors le sens de son geste s’éclaire. Non ce n’était le geste du désespoir, qui compte sur une dernière chance, le recours de la dernière heure, l’appel au guérisseur le plus en vue du moment.
« Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix, et sois guérie de ton mal » : Jésus reconnaît la foi de la femme. Il reconnaît sa volonté de surmonter sa peur des qu’en dira-t-on, sa peur de transgresser les interdits sociaux, sa peur d’enfreindre des lois religieuses iniques, et il reconnaît aussi la confiance qu’elle avait dans sa capacité à fendre la foule pour le toucher, c’est-à-dire sa capacité à oser malgré les autres. Et elle-même, en allant au bout de sa démarche reconnaît la puissance de guérison de Jésus. Sa foi est alors démonstration de confiance. Si Jésus l’appelle ma fille, c’est parce qu’il voit que la foi de cette femme lui ouvre un nouvel avenir où tout est à nouveau possible.
Le lecteur, ou l’auditeur, comprendra en renouant avec le fil du premier récit, que cette première guérison donnera des clés pour comprendre la seconde.
Arrivent des gens qui viennent de chez le chef de la synagogue pour lui annoncer le décès de sa fille. Guérir d’une maladie passe encore mais que faire contre la mort ? C’est à ce moment-là qu’éclate la parole de Jésus, parole de vie : « Ne crains pas, crois seulement ». La crainte et la peur étaient déjà présentes légitimement dans le premier récit de guérison, qui a montré qu’elles pouvaient être surmontées dans la foi et la confiance. Malgré un contexte encore plus radical par l’annonce de la mort de la jeune fille, par la présence des pleureurs qui entament déjà le processus de deuil, la présence des moqueries dont Jésus fait l’objet, Jaïrus est appelé à faire preuve de confiance en Jésus, il est appelé à la foi. Comment faire confiance dans un tel contexte ? C’est précisément la foi à son stade ultime.
Sans doute, ce récit de guérison ou de résurrection renvoie-t-il à la mort et à la résurrection du Christ ? Le verbe grec employé par l’évangéliste pour inviter la jeune fille à se réveiller est le même verbe pour dire la résurrection. Mais la résurrection n’est-elle pas le oui ultime de Dieu pour la vie contre la négation absolue de la vie par la mort ? Si la perspective de la résurrection ultime éclaire ce récit, le récit lui-même donne sens à la résurrection.
Jésus prend la main de l’enfant, il la touche, comme la femme avait touché le vêtement de Jésus. Dans ce toucher, un flux de sang circule à nouveau, la vie reprend. Chez la femme, le sang, symbole de vie, circulait n’importe comment, de manière désordonnée. Chez la fille, ce sang ne circulait plus. L’intervention de Jésus remet les choses en ordre. Les douze années de l’enfant allaient se terminer, comme la vie de la femme après douze ans de maladie risquait de s’arrêter. Jésus rend la vie à la femme et à la jeune fille.
N’est-ce pas le sens de la foi ? Mettre sa confiance en un Dieu qui nous ouvre à chacune et à chacun un avenir toujours à nouveau possible ? N’est-ce pas finalement le sens du combat de Jacob avec son Dieu, la lutte pour une confiance toujours à renouveler ?
Amen.