Écouter le culte :
Sébastien Castellion est reconnu aujourd’hui comme le père de la liberté de foi et de pensée. Le jeune Castellion a été enthousiasmé par l’action réformatrice de Calvin et il est devenu un de ses proches. Calvin le charge en 1542 de prêcher au temple de Vandœuvres où nous sommes, et il le fait nommer à la tête du collège de Genève. L’intuition géniale des Réformateurs était de faire que tous puissent lire la Bible par eux-mêmes, il fallait pour cela leur apprendre à lire et à penser. Cela a apporté un bel enthousiasme pour lire et interpréter la Bible dans la Genève de l’époque, au point que des concours d’interprétation de passages bibliques étaient organisés toutes les semaines pour les élèves, pour les fidèles et pour les théologiens.
Cette liberté d’interprétation est elle-même un fruit de la Bible. En effet, en Christ, l’Esprit est donné à chaque personne sans condition et elle est ainsi prophète ou prophétesse (Actes 2:17 ). Excellent, sauf que les Réformateurs se sont vite sentis débordés par cette émancipation qu’ils avaient suscitée. Luther va soutenir la répression des paysans, Zwingli la répression de ceux qui condamnaient le baptême des enfants, et Calvin va soutenir la condamnation de Michel Servet parce qu’il remettait en cause la doctrine de la trinité. Or, toutes ces personnes, les « pour » comme les « contre », s’appuyaient sur leur propre interprétation de la Bible.
Cela nous questionne : face à la multiplicité des interprétations, tout est il également vrai ? Et comment s’entendre entre nous ?
Sébastien Castellion s’indignera de la mise à mort de Michel Servet, et cela l’amènera à travailler sur la recherche « de l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir » (tel est le titre de son livre-testament). C’est une recherche ardente de la vérité par la foi et par la raison, recherche aussi de concorde entre les humains pensant différemment.
Si je vous propose aujourd’hui de nous intéresser à cette recherche de Castellion ce n’est pas tellement par intérêt pour l’histoire ancienne, mais pour des questions d’actualité. Nous voyons se multiplier les manipulations, les fausses nouvelles, les haines fratricides pour des questions de foi ou d’opinions, ou l’action violente au nom de belles idées.
Comment pacifier notre humanité ? Il me semble urgent de travailler à nouveau notre «art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir». De nous y exercer et de le pratiquer personnellement, pour que la vie l’emporte.
Quel critère permet de dire la vérité d’une doctrine ?
Castellion explique que Dieu est source de la vie, et donc qu’une juste doctrine se reconnaît au fait qu’elle est source de vie, qu’elle aide la personne à devenir meilleure que ce qu’elle était hier.
Que Dieu soit source de vie, c’est aussi ce que l’Évangile selon Jean place en tête de son témoignage sur le Christ. Castellion explique que Dieu est comme l’agriculteur et le médecin de nos âmes. Agriculteur en ce qu’il aide chaque personne à s’épanouir et à porter des fruits. Médecin de nos âmes en ce qu’il nous aide à corriger ces maladies que sont la haine et la destruction, l’erreur et l’oubli de Dieu.
Pourquoi est-ce que la Bible serait spéciale ? Castellion note que d’autres religions et d’autres sources existent mais que, pour lui, le Christ est le meilleur des agriculteurs et le meilleur médecin des âmes. Et donc la Bible. À condition d’en faire bon usage.
C’est ce que nous voyons dans le récit des tentations de Jésus lui-même. Des passages de la Bible sont comme soufflés par le diable à Jésus, l’invitant à avoir des rapports de domination violente sur le monde, sur les autres humains, et même sur Dieu. Des passages de la Bible viennent alors en tête à Jésus et lui permettent de faire face victorieusement à cette tentation.
Cela montre qu’il y a hélas de mauvaises interprétations de la Bible qui vont alors dans le sens de la domination et de la mort. Qu’il y a aussi, heureusement, de bonnes interprétations qui nous soignent, nous libèrent et nous font porter des fruits.
D’où l’importance de ne pas sacraliser la lettre même de la Bible, tout dépend de la façon dont on l’interprète.
D’où l’importance aussi de s’exercer à l’art de l’interpréter d’une belle façon.
Parmi les mauvais usages de la Bible, nous dit Castellion, il y a le fait de prendre des versets et de les jeter au visage de son adversaire comme preuve de ce que l’on avance contre lui. Cela ne conduit qu’à de vaines luttes fratricides car l’autre prendra lui aussi un passage de la Bible qu’il interprétera comme allant dans son sens.
La preuve que cet usage de la Bible est mauvais c’est qu’il nourrit notre tentation de dominer sur l’autre et de le nier. Nous avons trop connu cela pour mille raisons, hélas. Le pire étant quand c’est au nom de Dieu ou au nom de la vérité. Car la vérité et Dieu sont, eux, sources de vie et de paix.
Castellion remarque que si une question théologique est à ce point discutée, c’est qu’elle n’est pas si claire que cela dans la Bible. Si Dieu a permis que cela soit discutable c’est afin de nous laisser libre d’avoir chacun notre avis sur ce point, la charité vient alors unir ces personnes ayant des opinions alternatives.
Comme exemple de choses discutables et donc devant rester libres pour chacun, Castellion ose prendre précisément les points où nos Réformateurs se sont distingués par leur intolérance. Concernant le baptême, si Jésus avait dit : vous ne baptiserez pas les enfants (ou, au contraire, baptisez-les), tout le monde aurait été d’accord sur ce point. Mais comme il ne l’a pas dit clairement, vouloir imposer sa propre interprétation aux autres n’est qu’arrogance contre Dieu et contraire à la charité : cela vaut pour Zwingli comme pour les anabaptistes, tous appelés à la modestie devant Dieu, et à la charité envers son prochain.
Un autre exemple, et non des moindres, est la question de la trinité qui a levé Calvin contre Servet : la trinité n’est pas indiquée clairement telle quelle dans l’Évangile et il y a fallu des siècles de débats jusqu’à Athanase pour la voir se développer. C’est que Dieu nous a laissé libre de chercher à le connaître : vouloir imposer ce dogme, exclure ou tuer quelqu’un pour cela est littéralement « diabolique ».
C’est en réalité la même tentation que celle de Jésus : vouloir imposer son propre pouvoir sur le monde, sur les autres et sur Dieu. C’est source de mort. Alors que la Bible nous est donnée, afin qu’en la lisant et en l’interprétant, nous avancions effectivement, avec l’aide de Dieu.
Alors pourquoi la Bible n’est-elle pas plus claire ?
Elle est claire sur les points essentiels : sur Dieu comme source de vie, sur l’importance d’aimer Dieu, de chercher ce qui est juste, sur l’importance de la paix, de l’amour et du service de l’autre.
Par ailleurs, c’est vrai qu’il y a bien des passages et des questions qui sont obscures et discutables dans la Bible. Pourquoi ? Puisque c’est le cas, c’est qu’il est source de vie que chacun cherche, creuse, réfléchisse, examine et interprète par lui-même. Nous voyons en effet que Jésus cherche délibérément à nous faire réfléchir avec ses paraboles et avec ses commandements impossibles comme « ne résistez pas au méchant ! » (Matthieu 5:39)
Chacun est ainsi appelé à interpréter ce qui est écrit. Encore faut-il pour cela apprendre à se perfectionner dans l’art de s’interroger avec la Bible, « l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir ».
Comment oserions-nous interpréter la Bible ?
C’est que la Bible n’est pas purement et simplement « la Parole de Dieu ». Castellion remarque avec l’apôtre Paul que tous les textes bibliques n’ont pas le même statut (1 Corinthiens 14 : 6).
- Certains sont des révélations de Dieu, et sont essentiels. Reste à voir comment ils s’appliquent pour nous-même dans les circonstances présentes.
- D’autres textes sont un témoignage de l’auteur du texte. Pour les interpréter il convient de rechercher le contexte de l’époque, et le nôtre.
- Enfin, d’autres textes de la Bible sont des doctrines développées par une personne humaine afin de comprendre et d’expliciter la révélation.
Cela nous appelle en tout cas à travailler le texte biblique pour l’interpréter personnellement.
Les outils qui nous sont donnés pour interpréter
Dieu nous a donné à tous, du plus simple au plus savant, les outils pour faire ce travail, et son aide.
Comme nous le voyons dans le titre même du livre de Castellion, il faut distinguer deux domaines, il y a celui du croire et il y a celui du savoir.
- Le domaine du savoir c’est ce que nous avons déjà expérimenté par nous-même. Nous pouvons juger de la vérité en ce domaine par nos sens et par notre raison.
- Le domaine du « croire » permet de chercher au delà de ce que nous avons déjà expérimenté. Ce « croire » c’est la confiance en Dieu, la foi.
Par exemple, quand Abraham et Sarah se mettent en route suite à la promesse de Dieu (Genèse 12), c’est par la foi qu’ils le font car ils ne savent pas où ça va les mener, mais ils font suffisamment confiance en Dieu pour avancer en tâtonnant sur ce chemin. C’est seulement plus tard qu’ils constateront que ces promesses se réalisent dans leur vie : leur foi en la promesse de Dieu devient alors un savoir sur le fait que Dieu rend notre vie féconde.
Dans notre interprétation de la Bible, nous utilisons ces deux outils : notre raison (en ce qui concerne le savoir, notre expérience collective de Dieu et du monde) et nous utilisons notre foi (pour nous saisir des promesses de Dieu). Raison et foi se complètent merveilleusement. Pour interpréter la Bible, et aussi pour vivre selon Dieu.
Castellion dit que « la raison est fille de Dieu » (et non « la prostituée du diable » comme le disait Luther). Castellion dit que ceux qui disqualifient la raison le font pour maintenir la population dans l’aveuglement afin d’asseoir leur propre pouvoir sur elle. C’est souvent vrai. Au contraire, nous avons la mission de penser et de prier librement, et de faire la paix avec les autres qui le font à leur façon.
Nous avons tous, croyants comme athées, reçu la raison : c’est d’abord le bon sens et les sens de notre corps. La raison, c’est aussi notre conscience où Dieu a déjà porté un amour du vrai, du beau et du bon. Et la raison, c’est enfin l’intelligence que Dieu aussi nous a donnée pour que nous l’utilisions.
La raison est essentielle pour discerner la promesse de Dieu pour moi dans le passage de la Bible que je cherche à interpréter. C’est ensuite la foi qui permet de nous en saisir. Cela demande de faire le choix de la confiance en Dieu. Choix qui est assez raisonnable par ailleurs car nous savons que, jusqu’à présent, Dieu s’est toujours montré fidèle et source de vie (1 Samuel 7 : 12).