Croire avec les autres ou contre les autres?

Temple de Vandoeuvres (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Sébastien Castellion s’indigne de voir les humains s’entredéchirer. Il s’interroge à la façon d’un médecin qui examine les symptômes nous faisant souffrir, faisant ensuite le diagnostic puis proposant un remède. C’est comme cela que Castellion explique sa démarche, elle me semble intéressante pour notre époque.

Le diagnostic est proche de celui qui préoccupe Castellion : un manque de considération pour l’autre. Un manque de miséricorde. Un manque de cette qualité d’être que l’on appelle dans le grec de l’Évangile « l’agapè », le souci de son prochain. Ce problème me semble être le père de tous les problèmes car il n’existe aucune difficulté qu’une humanité unie ne pourrait résoudre : ni les guerres, ni la crise écologique, ni les épidémies, ni les injustices, ni les famines, ni la violence, ni la désinformation, ni le désespoir.

Castellion trouve le remède dans cette parole universelle de Jésus :

« Tout ce que vous voulez que les humains fassent pour vous, faites-le de même pour eux, c’est la loi et les prophètes. » (Matthieu 7 : 12)

Se souvenir que notre prochain est aussi une personne qui a une conscience, c’est une perspective qui doit l’emporter sur toute autre considération.

De cela, Castellion tire des idées tout à fait pratiques: Tu es persuadé de dire la vérité ? Mais l’autre aussi est persuadé de dire la vérité. Chacun sa propre conscience.

Castellion interpelle alors ceux qui penseraient forcer la conscience d’autrui: Voudriez-vous qu’on forçat la vôtre ? Apprenez de votre propre conscience à ne pas forcer celle d’autrui.

Castellion avance que la pire des erreurs n’est pas de se tromper d’opinion, le pire consiste en deux choses :

  1. À ne pas être fidèle à sa propre conscience. La vérité, c’est d’abord être vrai : c’est une sincérité, une authenticité, une bonne volonté.
     
  2. La seconde grande erreur serait de ne pas respecter autrui, sa vie et sa conscience: c’est pourquoi le Christ nous demande d’aimer notre prochain.

Castellion a raison, bibliquement, de considérer que la véritable hérésie n’est pas d’avoir des idées fausses, mais c’est d’être à faux : de ne pas être fidèle à sa conscience, de ne pas espérer Dieu, mais d’être attaché par-dessus tout à nos idoles, quelles qu’elles soient. Alors qu’avec une personne sincère dans sa recherche, il est plus facile pour Dieu et pour nous-même de discuter, et donc de s’entendre.

Le « forcement des consciences » est un crime car il écarte la personne de sa propre conscience. C’est ce que Castellion reproche à son époque. Hélas, c’est loin d’être terminé. De bien des façons aujourd’hui, les pressions montent en puissance : dans la société civile avec de nouvelles polices des consciences comme le « wokisme ».

Dans les religions aussi, pour ne parler que du christianisme, de nouvelles raideurs apparaissent, avec des églises refusant de collaborer avec d’autres, imposant à leurs fidèles de croire tel ou tel dogme, interdisant d’être ceci ou cela et même parfois d’aimer et épouser telle catégorie de personnes... tout cela au nom du Christ, bien sûr.

Jésus n’était absolument pas comme ça.

Dieu, viens à notre aide !

Castellion reconnaît que toutes les idées ne sont pas également bonnes, ni justes. Alors comment faire ?

Castellion propose deux pistes à combiner :

  1. Plutôt que de tuer l’autre (au sens propre ou au figuré), il vaut mieux débattre avec des arguments afin d’éclairer la conscience de l’autre, et d’éclairer notre propre conscience aussi car il arrive que l’autre nous ouvre les yeux. Nous sommes tous sujets à cette maladie qu’est l’obstination, nous rendant incapables d’évoluer dans notre point de vue même si c’était Dieu qui venait nous contredire. Débattre, donc, avec l’autre.
     
  2. Et si nous ne nous accordons pas, alors, que la charité, l’agapè, l’emporte. Si nous ne tombons pas d’accord sur une question, c’est qu’elle est complexe, cela nous invite à accepter qu’il y ait plusieurs opinions. De toute façon, nous dit Castellion, il est plus juste et plus chrétien, d’accorder à l’autre le bénéfice du doute : à défaut de trouver son opinion géniale, l’agapè me commande de reconnaître que mon prochain est digne d’avoir sa propre conscience.

Cette façon d’être que propose Castellion me rappelle ce que le philosophe Lévinas dit de notre prochain : son visage nous parle, dans sa vulnérabilité, il nous dit « respecte-moi » et il nous dit « écoute-moi ». Le fait que l’autre m’échappe est même une expérience tout à fait essentielle pour nous.

Cette notion revient très souvent dans les paroles de Jésus. Je vous en propose ici quatre très courts exemples, puis je vous proposerai de voir avec Zachée comment avancer grâce aux autres et malgré les autres sur notre chemin de foi.

Nous voyons Zachée avancer dans la foi en partie grâce aux autres, en partie malgré les autres. « Zachée cherchait à voir qui était Jésus », nous dit le texte : pour cela, il faut qu’il y ait eu des personnes pour lui dire que du bien pouvait venir de ce Jésus.

Nous sommes dans le même cas. Si nous entendons parler de Jésus, c’est grâce à une foule de personnes qui, à travers une centaine de générations, se sont passé la nouvelle jusqu’à ce parent, cette grand-mère ou ce collègue qui nous a parlé du Christ. Pourquoi cette personne a fait cela ? C’est sans doute que sa foi était importante pour elle et qu’elle s’est dit qu’il pourrait en être de même pour nous.

Derrière ce geste il y a bien la règle d’or : ce que vous voulez que l’on fasse pour vous faites-le pour les autres. Ce geste devrait être à la fois naturel et modeste : naturel quand je reconnais l’autre comme étant de la même espèce que moi, et modeste car il a sa propre conscience, sa sensibilité. Il a bien sûr le droit de ne pas être intéressé de la même façon que moi.

Dire à l’autre notre foi ou notre philosophie devrait être simplement comme quand on a trouvé une recette de cuisine délicieuse et facile à faire : nous sommes heureux d’en parler à un ami, ce qui ne l’oblige pas à l’essayer.

Sans les autres nous ne serions peut-être pas sans Dieu (car il interagit directement au cœur de chacun) mais nous ne serions pas chrétiens, et à vrai dire nous n’aurions même pas le langage. Donc oui, si nous avons la foi, c’est en grande partie grâce aux autres.

C’est bien, mais ensuite, Zachée se rend compte que la foule fait obstacle à une véritable connaissance du Christ. Pour cela, Zachée doit maintenant passer par-dessus cette foule qui lui a permis de se mettre en route vers Jésus.

C’est notre cas. Nous avons à passer par-dessus la théologie des autres et par-dessus notre église pour nous faire notre propre expérience de foi et nos propres croyances.

Pour cela, Zachée se déplace et grimpe dans cette sorte de pauvre figuier que l’on appelle en Judée un sycomore. Monter dans un figuier était alors une figure de l’interprétation de la Bible. C’est ce travail personnel de recherche qui nous permet, en tant qu’individu, de passer par-dessus l’obstacle de la foule et d’avoir notre propre point de vue sur le Christ, sur Dieu et sur notre existence.

C’est ce que la Réformation a cherché à rendre possible. Sébastien Castellion s’y est attaché, comme enseignant et comme traducteur et vulgarisateur de la Bible.

C’est un travail d’élaboration de notre propre conscience, un travail que personne ne peut faire à notre place. Seulement, là encore, c’est grâce à d’autres que nous pouvons progresser dans « l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir ». C’est la mission de l’Église, qui doit être ambitieuse pour les fidèles mais modeste en s’interdisant de penser à leur place !

Viennent alors le croisement de regards et de paroles entre Jésus et Zachée. Jésus lève les yeux vers lui et lui parle. Chaque personne est regardée ainsi par Dieu. Ces croisements de regard, de paroles, et de gestes pour se rejoindre, ils signifient pour nous un rapport personnel avec Dieu en Christ. C’est une ligne de plus en plus directe entre Dieu et nous. D’abord grâce aux autres par leur témoignage, puis par nous-même sans les autres dans notre propre étude, et enfin directement en face à face avec Dieu, dans la prière, dans notre conscience.

Vient alors un nouveau chapitre dans notre vie spirituelle, c’est le retour sur terre dans la vie quotidienne avec les autres. Zachée y est maintenant accompagné de Jésus, il est vivant par la foi.

Des personnes se mettent à calomnier Zachée, et du coup, injurient Jésus venant chez lui. Quelle qu’en soit la raison : jalousie contre sa richesse matérielle et spirituelle, préjugés contre sa catégorie socio-professionnelle de péager alors qu’il était en réalité un homme juste et généreux même avant de rencontrer Jésus ? En tout cas, cette foule qui avait aidé Zachée à avoir la foi se met à mépriser Zachée et la foi. Comme le dit Jésus, avoir ce regard sur un autre est une sorte de meurtre (Matthieu 5 : 21-22).

Nous sommes comme ça : un être capable du bien et capable du mal. C’est là que la parole de Jésus sur la paille et la poutre (Matthieu 7: 3) ou sur le lancer de la première pierre (Jean 8: 7) est excellente : même quand mon prochain est fautif, il m’apprend quelque chose. En apercevant la paille dans son œil il peut me venir à l’idée de sentir ma propre poutre. Scandalisé par l’adultère de telle personne, je peux travailler à discerner mes propres lâchetés.

Pour être capable de ce geste salutaire il nous faut ce regard que Jésus nous suggère d’avoir : l’autre aussi pense à la première personne, comme moi-même. L’autre aussi a ses faiblesses, ses blessures, ses désirs, sa conscience. Comme moi-même.

Quand il nous vient à penser que l’autre est nul, nous dit Jésus, notre problème en l’occurrence, ce n’est pas la nullité de l’autre, le problème c’est nous-mêmes et notre façon de juger. Mieux vaudrait alors pour nous bénéficier d’un passage dans le feu de Dieu (Matthieu 5: 22), nous y apprendrions que le jugement de Dieu est comme un feu qui purifie le minerai, révélant l’or qui était caché dans une vulgaire pierre. Ce jugement de Dieu, son feu, c’est l’amour, c’est l’espérance que l’or qui est au fond de nous pourra briller d’une chaude lumière sur ce monde.

« Cet homme est AUSSI un enfant d’Abraham ». Ce « aussi » dit tout. C’est notre prochain ET nous-mêmes que Dieu bénit et dont il espère que nous serons une bénédiction pour la multitude.

Amen.

 

La prédication - la dernière d'un série de trois - est inspirée du livre «De l'art de douter et de croire, d'ignorer et de savoir» de Sébastien Castellion. Il était attaché au temple de Vandœuvres pour la prédication en 1542. Il est reconnu comme un des tout premiers précurseurs de la liberté de conscience. Ami et disciple de Calvin, il va néanmoins s’indigner de l’attitude de Calvin et de Bèze face à Servet.

La liturgie sera tirée de la Mémoire de la Réformation, avec des prières de l’époque.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Aubert
Musique
Lisette Aubert à la viole de gambe