Écouter le culte :
Dans l’évangile de Matthieu, Jésus nous rappelle que finalement, nous sommes tous bénis par Dieu, bons comme méchants. Le soleil et la pluie nous sont accordés de la même manière. Cette générosité est aussi un motif pour s’aimer les uns et les autres de la même manière que Dieu accorde ses bienfaits à tous et toutes.
Est-ce que Jacob et Ésaü s’aimaient comme frères ? Est-ce qu’ils ont prié l’un pour l’autre ? Le texte ne nous le dit pas… Mais nous arrivons avec notre lecture d’aujourd’hui à l’aboutissement de l’évolution de leur relation. Peut-être que cela vaut la peine de prendre un peu de temps pour résumer ce qui s’est passé entre l’épisode de la semaine passée et celui d’aujourd’hui.
Dimanche dernier, nous découvrions par quelle supercherie Jacob s’est approprié, a capté la bénédiction de leur père Isaac qui était destinée à Ésaü son frère. Isaac et Ésaü étaient déconcertés par cette découverte. Ésaü avait de quoi être furieux ! Et Jacob s’enfuit vers d’autres cieux.
Dès la première nuit, Jacob se sent béni de Dieu car il rêve d’une échelle entre ciel et terre que des anges montent et descendent. Il poursuit sa route jusqu’à la terre d’origine de sa mère Rebecca. Là, il tombe amoureux de la belle Rachel. Mais il se retrouvera d’abord marié à Léa, la sœur aînée, avant de pouvoir épouser enfin la cadette pour sept nouvelles années de travail.
Puis, il décidera de rentrer vers la terre de ses pères, avec femmes, enfants et troupeaux qu’il a en abondance. Mais il apprend que son frère Ésaü vient à sa rencontre avec 400 hommes ! Alors, il va tout faire pour se faire pardonner. C’est ainsi qu’il envoie devant lui une part de ses troupeaux en cadeau pour son frère : 200 chèvres, 20 boucs, 200 brebis et 20 béliers, 30 chamelles et leurs petits, 40 vaches et 10 taureaux, 20 ânesses et 10 ânes. Il fait passer toute sa famille de l’autre côté du gué du Yabboq et lui reste seul en arrière.
Toute la nuit, il va lutter contre ce qui se révèlera être un ange du Seigneur. A l’approche de l’aube, l’inconnu frappe Jacob à la hanche qui se déboîte, mais Jacob le retient encore et le supplie de le bénir. Alors, l’inconnu le bénit et lui donne un nouveau nom : Israël, celui qui a combattu contre Dieu. Et c’est suite à cette rencontre que Jacob va aller trouver son frère.
Mais restons encore un moment sur cette dernière bénédiction. Jusque-là, Jacob était avide de bénédictions, il cherche à être aimé, reconnu. Mais son nom de Jacob, le « talonneur », car il tenait son frère par le talon lors de sa naissance, le remet toujours dans sa place de second, le place toujours en relation à son frère.
Et là, au Yabboq, il reçoit enfin la bénédiction qui lui donne une nouvelle identité, une identité en rapport avec Dieu : Israël, celui qui a combattu avec Dieu et des hommes et a été le plus fort, nous dit le texte.
Enfin, une place de premier ! Enfin, une relation directe à Dieu !
Cela me questionne sur mon identité. Si je me définis par rapport aux autres dans une relation de compétition, ce doit être épuisant et souvent décevant. Mais, si je reçois mon identité directement de Dieu, c’est déjà autre chose. Je fais partie de la famille de Dieu, de ses enfants, de ses bien-aimés.
Pour revenir à Jacob, il y a ici en plus, une forte valorisation : il a combattu Dieu, il a été le vainqueur ! Je pense que cela a transformé Jacob, et qu’intérieurement, d’éternel second, il a dû trouver enfin sa vraie place.
Et de là, il ne se surestime pas, il ne se dévalorise pas non plus. Il peut regarder sereinement sa situation et reconnaître ses erreurs : reconnaître qu’il a capté la bénédiction qui revenait à son frère et donc, agir maintenant en conséquence.
Jacob doit néanmoins être effrayé de voir venir son frère à sa rencontre avec 400 hommes… Est-ce qu’Ésaü essaie de son côté aussi de montrer sa puissance, sa force ? De montrer que lui aussi a été comblé de beaucoup de biens ?
En tous cas, Jacob agit prudemment en envoyant ses servantes devant, puis Léa et ses enfants et en gardant en dernier sa bien-aimée Rachel et leur fils Joseph, le chouchou à son papa comme le dévoilera le cycle de Joseph plus tard.
Jacob essaie de limiter la casse en espérant que s’il y a une attaque, elle se concentre sur les premiers envoyés, et que sa chérie soit épargnée.
Jacob s’avance courageusement en premier et salue son frère en s’inclinant sept fois, ce qui est signe de soumission, d’allégeance. Il reconnaît enfin la suprématie de son frère. Il reste sur le plan formel et suit les codes à la lettre.
Ésaü, quant à lui, se jette à son cou. Et le texte multiplie les marques d’affection : il l’étreint, tombe à son cou, l’embrasse selon la traduction de Chouraqui. Et finalement, ils pleurent tous les deux. En voilà des retrouvailles ! Les marques d’affection n’étaient pas courantes à l’époque et là, elles viennent en quantité. Cela va jusqu’à l’effusion de larmes.
Est-ce qu’Ésaü redoutait que la bénédiction volée par son frère ne soit devenue malédiction ? Il semble avoir tremblé pour lui… et est comme soulagé de le retrouver. Et quel soulagement cela doit être pour Jacob ! Il a fait profil bas mais il est maintenant bien ancré dans sa position de futur patriarche.
Tout n’est pas fini pour autant. Ésaü interroge : « Qui sont tous ces gens pour toi ? » Jacob répond : « Ce sont les enfants que Dieu m’a accordés. » Oui, enfin, Jacob est en lien avec Dieu : c’est bien devenu son Dieu et pas celui de son Père, ou le Dieu prétexte. C’est le Dieu avec qui il a une relation, le Dieu qui lui a accordé des femmes et des enfants. Toutefois, très dignement, femmes et enfants s’inclinent devant Ésaü, comme devant un maître.
Après la famille, Ésaü s’enquiert des troupeaux qu’il a vu passer. Jacob joue franc jeu : « Je désirais gagner ta bienveillance ! » Il ne cache pas que ce sont des cadeaux en guise de vœux de paix, en signe d’allégeance probablement aussi. Mais Ésaü réplique qu’il a suffisamment, beaucoup, ou encore, en abondance. Il doit lui aussi montrer qu’il a été béni.
A l’époque biblique, la bénédiction se manifeste par l’abondance matérielle et familiale.
Est-on béni parce qu’on est riche ou est-ce parce qu’on est béni, qu’on devient riche ? On est certainement riche quand on est béni mais pas forcément de biens matériels. N’est-on pas béni quand nous sommes en lien avec Dieu, quand quoi qu’il arrive, nous gardons la relation avec le Seigneur, car nous sommes dans la confiance ?
Jacob déclare de son côté qu’il a « tout ce qu’il lui faut » car Dieu lui a été favorable. Une nouvelle fois, Jacob place Dieu comme source de ses biens, il est dans la reconnaissance.
Certains commentateurs attirent notre attention sur le fait qu’Ésaü déclare avoir beaucoup, ce qui laisse entendre qu’il pourrait avoir plus encore… Et que Jacob déclare, quant à lui, avoir tout !
Ésaü est riche mais pourrait désirer avoir encore plus. Jacob a tout. Il est comblé, il ne recherche plus les biens matériels. Il est rassasié intérieurement et ne cherchera pas sans fin à s’agrandir.
Jacob est maintenant pleinement reconnaissant. Il déclare à son frère : « Si tu ne m'en veux plus, accepte le cadeau que je t'offre. Ma rencontre avec toi a été comme une rencontre avec Dieu, tellement tu as été bienveillant pour moi. »
Jacob a vraiment changé et cette rencontre le change de façon définitive. Il a rencontré Dieu ! Au Yabboq, il a combattu ce Dieu de qui il voulait capter toutes les bénédictions. Et maintenant, il rencontre Dieu en son frère qui l’accueille malgré tout. Alors, oui, il peut bien lui envoyer une offrande – une bénédiction même !
En conclusion, chacun des deux frères reconnaît et respecte à présent la place de l’autre. Ils ne vont pas pour autant cohabiter car Jacob décline l’invitation d’Ésaü à ce sujet, disant que ses troupeaux et ses enfants marchent plus lentement. Mais ils pourront devenir de bons voisins.
Ainsi, chacun a reçu une bénédiction et a su en tirer les fruits. La bénédiction ne s’est pas divisée, mais comme l’amour, elle s’est multipliée en se partageant.
Allons, nous aussi, bénis dans notre relation à Dieu qui se veut Père pour nous et qui choisit de répandre sur toutes ses créatures ses bienfaits. A nous d’entrer dans la reconnaissance.
Amen !