Écouter le culte :
« Quand il commence à faire jour, alors que les disciples rentrent bredouilles de la pêche, Jésus se tient là, sur le rivage. »
Dit comme cela, ça semble simple ! Et pourtant, pour les disciples, à ce moment-là, rien n’est si évident ! Depuis quelques semaines, leur vie a été si mouvementée.
Rappelons-nous les événements : d’abord l’arrivée à Jérusalem sur un ânon et l’acclamation de la foule. Puis l’opposition, la confrontation avec les religieux. Enfin, l’épisode où Jésus a lavé les pieds de ses disciples et le repas pris dans la chambre haute. La suite, nous la connaissons : trahison, abandon, arrestation, accusations, humiliation, condamnation, exécution sur la croix. C’est une tempête qui s’est abattue dans l’esprit des disciples. Ils n’étaient évidemment pas prêts à une telle issue. Leur foi, leur espérance sont ébranlées.
Et puis, il y a eu cette folle nouvelle transmise par Marie-Madeleine : «Il est vivant, ressuscité!». Une nouvelle qui laisse les disciples sceptiques. Alors qu’ils sont réunis dans une maison, Jésus leur apparaît pourtant en disant : «Que la paix soit avec vous!». Ils doivent se rendre à l’évidence : c’est bien lui ! Il apparaît enfin à Thomas, l’incrédule, qui s’exclamera : «Mon Seigneur et mon Dieu!».
Après les événements pascals, pour les disciples comme pour nous, la vie quotidienne reprend. Ils doivent bien se rendre à l’évidence, avec cette question : « Comment continuer à vivre sans la présence terrestre de Jésus ? »
Après les apparitions à Jérusalem, ils retournent en Galilée, pour reprendre le fil de leur vie. C’est là que se situe cet étrange récit appelé parfois la pêche miraculeuse ou le petit-déjeuner sur la plage.
Dans cette histoire qui se passe au bord du lac de Tibériade, nous avons l’impression que Pierre, Jean, Nathanaël, Thomas, les fils de Zébédée et les deux autres disciples, n’ont pas encore mesuré toute la portée des événements du matin de Pâques. Ils sont de retour en Galilée, sur leur terre d’origine, là où quelques années avant, Jésus les avait appelés à le suivre.
C’est finalement le retour à une vie ordinaire qui semble s’imposer aux disciples, comme si la présence de Jésus n’avait été qu’une parenthèse dans leur vie.
Alors, Pierre, subitement, lance cette phrase : « Je vais à la pêche ! » Et sous l’impulsion de Pierre, les autres reprennent leur barque et leurs filets, là où ils les avaient rangés, trois ans plus tôt. Hélas, ce retour à la pêche ne leur réussit pas : « Ils partirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien ! »
Échec total ! Leur pêche est stérile. On imagine bien la fatigue et la déception des disciples qui ont travaillé toute la nuit pour rien. Pourtant le récit ne s’arrête pas avec les filets vides. Les pêcheurs déçus n’ont pas le temps de s’apitoyer sur leur sort. Leur barque n’a pas encore touché terre, mais en levant les yeux, ils voient Jésus qui se tient là, dans la lumière du matin, debout sur la plage. Mais, précise le texte, « ils ne savaient pas que c’était Jésus. »
Comment est-ce possible qu’ils ne le reconnaissent pas, eux qui ont cheminé avec lui durant trois années ? Mettons-nous à leur place. S’ils gardaient en eux l’espérance de le revoir, s’ils s’attendaient à revoir le Christ dans sa gloire, jamais ils n’auraient imaginé le revoir là, sur le rivage, sous l’apparence d’un homme ordinaire, au petit matin et après une nuit d’échec.
Cela nous arrive-t-il, à nous aussi, d’éprouver un sentiment d’échec, de faire l’expérience du manque, de la lassitude, de la difficulté de vivre ? Oui, comme pour les disciples, il y a dans l’ordinaire de nos vies et dans notre monde des événements qui nous échappent, des moments où nous pouvons nous sentir bredouilles et dans la nuit.
Pourtant, au lever du jour, Jésus se tient là, sur le rivage.
Pour les disciples, la rencontre avec le Ressuscité se passe dans un cadre familier. Or, c’est cette rencontre qui changera tout. Ce matin-là, ils vont passer du manque à l’abondance. Jésus les amène à dépasser leur échec.
Tout d’abord par une question : « Mes enfants, auriez-vous quelque chose à manger? » « Non, nous n’avons rien! » Ils n’ont rien à lui offrir. Ce sont les mains vides, comme des enfants, qu’ils vont rencontrer le Ressuscité.
Une fois ce constat fait, Jésus ne les laisse pas tomber dans l’amertume. Il leur donne aussitôt un ordre très surprenant, qui ressemble à un défi : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous en trouverez. » Pour les disciples – qui n’ont pas encore reconnu Jésus – la surprise est grande : qui est cet inconnu qui donne des ordres aux pêcheurs avérés qu’ils sont ? Ce n’est pas la première fois qu’ils rentrent bredouilles après la pêche. Mais jamais, ô grand jamais, changer le filet de côté n’a été une solution. Quelle idée !?
Toutefois, ils obéissent : « Ils jetèrent le filet, et ils n'arrivaient plus à le retirer de l'eau, tellement il était plein de poissons. »
Imaginez : une barque au milieu d’un lac et des poissons qui sont tous, absolument tous du même côté. Personne à gauche, on file tous à droite de la barque... et comble de malheur, on tombe tous dans le filet !
Au-delà de cet aspect un peu humoristique, ce verset a bien sûr une portée symbolique. C’est une invitation à la confiance, un acte d’obéissance de la part des disciples, un acte qui se révèle fructueux : ils ramèneront 153 gros poissons dans leur filet.
En grec, le «côté droit» se traduit aussi par le «côté favorable». Jésus invite donc les disciples – et nous avec – à prendre la vie du bon côté, à ne pas rester sur un échec ou dans le découragement, à changer nos habitudes et à faire confiance à Celui qui nous parle encore depuis le rivage.
Dans l’évangile de Luc, nous connaissons le récit des pèlerins d’Emmaüs, quand les disciples reconnaissent Jésus par la fraction du pain. Ici, c’est le signe de l’abondance des poissons qui leur permet d’ouvrir les yeux : « C’est le Seigneur ! » Un geste si simple, loin de toute atmosphère religieuse ou sacrée.
Le premier à le reconnaître, c’est le disciple que Jésus aimait. Et puis, Pierre le reconnaît à son tour. Loin des grands discours, avec sa fougue habituelle, il se démarque du groupe en plongeant dans la mer. Sa plongée dit tout son attachement à Jésus.
Au cœur de leur manque, de leur vulnérabilité, de leur faiblesse, les disciples vont découvrir une vie nouvelle. Avec eux, c’est toute la communauté, c’est l’Église naissante qui est invitée à s’approcher du Christ, là sur le rivage.
Alors ils sont si émus qu’ils restent en silence... Pourquoi n’osent-ils pas interroger Jésus ? Lui demander qui il est, pour être bien sûrs de n’avoir pas rêvé ? À ce moment-là, la présence du Ressuscité n’a pas le côté sensationnel, parfois décrit dans les films. Là, cette présence se trouve dans la simplicité d’un pain partagé : venez et mangez.
Pierre et les disciples demeurent dans cette paix offerte où le présent, le passé et le futur peuvent, dans la lumière de l’aube, se mêler, se répondre, tisser et inventer de nouveaux possibles.
Jésus leur demande d’apporter les poissons qu’ils viennent de pêcher ; pourtant il a déjà tout préparé : le feu, le pain et les poissons. En soi, il n’aurait pas besoin de ces 153 poissons. Mais il ne veut pas se suffire à lui-même.
Celui qui avait dit : « Je suis le pain de Vie » rappelle qu’il est à jamais celui qui assouvit toutes les faims et étanche toutes les soifs. Mais il rappelle aussi que Dieu a besoin, aujourd’hui encore, de femmes et d’hommes prêts à partager leur pain et à témoigner de l’Évangile.
Oui, chers amis, aujourd'hui, nous sommes appelés à être, dans l'ordinaire de nos vies, les témoins de cet homme-là, de ce Dieu-là qui ne veut pas se suffire à lui-même, mais qui a besoin de nos pains et nos poissons, de nos mains pour prendre soin du monde.
Sommes-nous prêts, comme Pierre, à nous jeter à l’eau ? Sommes-nous prêts, avec les disciples, à jeter nos filets de l’autre côté ? À envisager l’avenir du côté de l’espérance ?
À celles et ceux pour qui la vie semble fragile, quand des décisions sont difficiles à prendre, à celles et ceux qui vivent dans l’inquiétude ou dans le désespoir, j’aimerais leur parler du Christ. Pas du Christ en gloire, mais de cet homme qui attend là, sur le rivage, avec des poissons et du pain. De ce Dieu si proche de nous. J’aimerais leur dire que c’est là qu’il les rejoint, chacune et chacun sur leur rivage. C’est de là qu’il nous appelle, non pas à fuir la réalité, mais à poser des gestes courageux.
Il ne nous abandonnera pas. Il se tient là, sur le rivage, les bras ouverts et il nous dit : « Viens, approche-toi, réchauffe-toi et partage le pain avec moi. »
Amen.