Écouter le culte :
Dimanche après dimanche, cette parole sortie des âges résonne dans nos célébrations sans qu’une lettre ne soit changée, sans qu’elle ne vienne nous surprendre. Une parole simple d’apparence, mais ô combien solennelle, qui retient notre attention comme si elle était dite pour la première fois : « Prenez, ceci est mon corps, prenez ceci est mon sang ».
Frères et sœurs, l’heure est arrivée. La trahison de Jésus par Judas vient d’être définitivement scellée dans le secret et cela s’en ressent. Les autres disciples questionnent bruyamment sur les préparatifs du repas pascal, mais le Seigneur sait ce qui vient.
La lecture de l’évangile de Marc nous replonge dans ce récit fondateur qui situe le moment où la pratique liturgique de la cène est instituée. Jésus savait exactement de quoi il retourne ; où aller, qui consulter et comment procéder. Comme du papier à musique dont les notes sont savamment réglées, chaque geste s’inscrit dans une élaboration d’ensemble qui fonde l’alliance définitive entre le Seigneur et ses disciples.
Mais qui parmi ces hommes pouvait un seul instant soupçonner ce qui vient, ce qui va complètement changer leur vie et la face du monde ? Qui pouvait imaginer tel renversement ? La signification de la cène, à cet instant où sont réunis les douze auprès de leur maître, garde à la fois cette solennité et ce flou quant à ce qui adviendra dans les heures qui suivront. Pourtant, tout est prêt…
Tous se trouvent là, y compris le traître, à cette table élargie et inondée par le souvenir du désert lorsque le peuple errant n’avait pu, en s’affranchissant du joug de l’oppresseur en son temps, faire lever la pâte de son pain. Il le consommera tel quel, du pain sans relief ; inabouti, mais suffisant pour satisfaire leur faim. Souvenir amer et heureux à la fois, comme le seront la souffrance de la croix et l’éclatante résurrection du Christ qui s’en suivra.
Le sang rappelle l’agneau que chaque père de famille devait sacrifier pour marquer le territoire, pour signifier l’appartenance et être ainsi épargné du courroux divin. Le Christ, par son sacrifice, offrira une fois pour toute sa vie pour qu’aucun effort humain, aucun mérite personnel, aucun autre sang versé ne se répande pour échapper à la colère divine.
Tout est donc prêt. Nous sommes à la table du Seigneur. Il y a du pain, il y a du vin. Deux éléments essentiels qui rappellent désormais l’ultime libération. C’est Jésus lui-même qui se donne, qui s’offre pour ses disciples réunis et désormais pour l’humanité entière ; ce don vient inscrire du sens à l’horizon humain. Et pourquoi pas ?
C’est Victor Hugo qui disait que « le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre ». Or Jésus nous donne sa vie pour que justement nous vivions.
Ces disciples de Jésus qu’évoque le récit évangélique, c’est nous aujourd’hui. Nous qui nous assemblons dimanche après dimanche autour de sa table pour vivre de sa vie dans la mort comme dans la vie. C’est nous qui écoutons ce message ici et partout où nous pouvons nous trouver.
Par la cène, le Fils de Dieu nous rappelle que nous sommes conviés à nous nourrir de ce qui sauve plutôt que des déchets que le monde offre avec profusion, afin de détourner l’humanité de sa vraie destinée qu’est la vie qui n’a pas de fin, la vie abondante que l’évangile de Jean met en évidence. Oui aimons ce qui nous nourrit, aimons le Christ qui nous redit encore ce matin : « Tout est prêt. Venez ! ».
« Tout est prêt ! » C’est donc l’invitation de Jésus à toute personne, aux habituées comme aux nouvelles, à celles qui partout dans nos paroisses viennent d’achever leur catéchisme, qui s’engagent et qui communient pour la première fois.
L’alliance avec celui qui invite est à la fois collective et individuelle. Inutile de s’encombrer du levain qui fait soulever nos vies, qui nous retient dans des relations toxiques ou abrutissantes ; inutile de nous laisser écraser par les souvenirs ingrats qui nous empêchent d’éclore, ou par les ingrédients séducteurs, ou du levain des manœuvres de l’ange de lumière dominant ce monde. « Tout est prêt », dit le Seigneur.
Et l’apôtre Paul, nous mettant en garde, exhorte par ces mots : « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute la pâte ? Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain. Car le Christ, notre Pâque, a été immolé. Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain, ni avec du levain de méchanceté et de perversité, mais avec des pains sans levain : dans la pureté et dans la vérité. » (1 Corinthiens 5, 6-8)
Ce message vous rend-il tristes, craintifs ou impuissants par rapport à ce monde ? Reprenez-vous ! Ainsi, fatigués et chargés du monde d’aujourd’hui, c’est à vous qu’il dit encore : « Tout est prêt. Venez ! ».
Amen.