Ne vous inquiétez pas pour votre vie!

Temple de Nyon (©Laszlo Daroczy, CC BY-SA 2.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

Ce matin je vous propose de vous questionner sur ce que pourrait être le bonheur pour nous. Existe-t-il seulement ce bonheur dans notre temps, ce bonheur dont on parle tant ? Que d'injonctions au bonheur dans nos sociétés ! Le bonheur alors, c'est quand, comment ?

Avec les élèves des gymnases d’Etoy, de Nyon, ceux des écoles professionnelles de Nyon et de Morges, nous avons visité cette exposition entre fin décembre et le mois de mai. Cette expo, « La possible quête du bonheur », initiée par les aumôniers et aumônières de l'UNIL-EPFL en 2022, est autour de nous dans ce temple. Elle nous a permis de nous questionner sur ce concept. Mais de quoi parle-t-on précisément ?

Notre époque nous propose – et souvent nous impose – une perception du bonheur à la fois matérialiste, individualiste et fugace. C'est ce que nous avons pu constater avec les élèves et profs durant ces cinq semaines de visite d'exposition. Pour autant des pistes pour un bonheur durable ont été abordées.

A notre tour je vous propose de visiter cette question du bonheur. Matérialiste et individualiste : ainsi serait le bonheur, toujours dans une fuite en avant. Regardons plus précisément ces affirmations.

Il est aisé de constater que tout autour de nous, nous sommes exposés à des messages de toutes sortes qui nous incitent à croire que le bonheur, c’est de posséder, d’avoir. Alain Souchon dans sa chanson « Foule sentimentale » (1993) dit : « Oh là là, la vie en rose, le rose qu'on nous propose, d'avoir des quantités de choses qui donnent envie d'autre chose. Aïe, on nous fait croire que le bonheur c'est d'avoir de l'avoir plein nos armoires, dérision de nous dérisoires… »

Ainsi le rêve qui revient souvent, c’est celui d’avoir sa villa, sa voiture, pouvoir partir en vacances au soleil et montrer, exposer à nos semblables notre bonheur social. Nous avons réussi car nous pouvons consommer et le montrer.

Ou comme le chante Orelsan, rappeur français, le bonheur serait une quête toujours tendue vers demain ; où, quel que soit notre âge, on pense que ce sera mieux plus tard. Et pourtant : « À quinze ans, j'voulais juste en avoir seize. À seize ans, j'étais pressé d'voir le reste Aujourd'hui, j'aimerais mieux qu'le temps s'arrête. Ah, c'qui compte c'est pas l'arrivée, c'est la quête ». (La quête, 2021)

Un de mes enseignants de philosophie avait cette expression très pertinente pour qualifier l’époque dans laquelle nous nous trouvons. Il disait ceci : « Les temples de la consommation sont pleins et les temples religieux sont vides ». Au-delà du sourire en coin que cela peut provoquer chez nous ce matin cela dit quelque chose de notre temps.

Les valeurs véhiculées dans nos sociétés ont quelque peu changé. Au 18e siècle, le bonheur était plutôt une quête sociétale. Au fil des décennies et des siècles cette quête du bonheur a évolué. Elle repose aujourd’hui d’avantage sur les épaules de chacune et chacun. Ce bonheur serait-il toujours à venir et pas toujours là ?

Dans ce contexte contemporain, que nous propose la Bible ? Le message biblique a-t-il une pertinence, ouvre-t-il une perspective dans notre aujourd’hui et maintenant ? Y aurait-il antagonisme entre le bonheur et ce que propose le Christ ? Je vous propose de regarder de plus près les textes bibliques que nous venons de lire, en particulier le texte de Matthieu chapitre 6, 25-34.

Que pourrait être le bonheur, selon ce texte de Matthieu, où il est question d'inquiétude et où le Christ parle de la valeur de nos vies, bien plus précieuses que toutes les richesses que nous pourrions accumuler. Il nous invite, non pas à l’inquiétude, mais à nous focaliser sur ce qui est essentiel : chercher le royaume de Dieu et ce qui est juste.

A ce stade, ce qu’il convient d’emblée de préciser, c’est que le mot bonheur n’existe pas en hébreu biblique et qu’il est également rare dans le grec biblique. Dans les textes bibliques, nous trouvons plutôt des termes qui nous parlent de vie et de joie, et dans le texte de Matthieu il s’agit plutôt de béatitudes. Ce que nous laisse entendre Matthieu, c’est que la quête du royaume de Dieu ne renvoie pas à un futur hypothétique dans un au-delà mais dans le présent, dans la présence de Dieu.

Il nous propose un changement de perspective. Le royaume et la justice de Dieu ne sont pas seulement à venir mais dans chacun de nos présents. Le royaume et la justice de Dieu sont là, partout où des hommes et femmes, portés par leur foi, s’engagent pour ce royaume auprès de leurs semblables. Que pourrait être le bonheur si ce n’est un monde où les relations sont caractérisées par l’empathie et la vérité.

Oui, le royaume et la justice de Dieu ne sont pas une théorie mais adviennent dans nos vies, nos relations. C’est là le fondement ! Pour cela, que nous faut-il, si ce n’est nous décentrer de nous-même et nous ouvrir à Dieu et aux autres ?

Je suis souvent accaparé par mes inquiétudes, par des soucis qui peuvent me ronger. Je suis pris par ce que j’imagine et ce que pensent les autres. Des inquiétudes et encore des inquiétudes, qui, au fond, empêchent de vivre vraiment, d’accueillir le présent, de faire corps avec lui dans la présence aimante de Dieu et des autres et également de soi-même.

Le bonheur, ne serait-ce donc pas vivre en acte et en présence ? Facile à dire ! Je vous donne un exemple. J’ai été formé pour pouvoir proposer du soutien d’urgence auprès de personnes impactées par des tragédies. C’est ce que vous connaissez sous le nom de l’ESU (équipe de soutien d’urgence). Je me faisais beaucoup de représentations sur ce que devaient être ces interventions, à tel point que je me trouvais parfois paralysé par le stress et l’idée que je m’en faisais. Dans un hypothétique futur, bien entendu, il m’était compliqué d’être dans le présent et efficient dans mes interactions.

Lors d’une première intervention comme stagiaire observateur, j’ai touché du doigt ce qui me paralysait. Il s’agissait d’une incapacité à accueillir le présent, à y être vraiment. Me disant que je ne suis pas assez formé, pas assez confiant, que je devrais faire comme ceci plutôt que comme cela… Et puis, cette première intervention a été un choc salutaire qui m’a confronté à un présent cruel auprès de témoins d’une tragédie, d’une famille subitement endeuillée. J’ai réalisé que je projetais beaucoup de scénarios, plutôt que d’être dans le présent. Cela représentait un obstacle pour m’accueillir moi et accueillir les autres et les accompagner.

Cette irruption et ce décentrement ont été comme un électrochoc qui m’ont permis de me rendre compte que toutes les inquiétudes sont de puissants poisons qui paralysent. N’avez-vous jamais observé à quel point nous nous racontons des histoires et comment celles-ci nous font passer à côté de notre présent ? Toutes ces histoires construisant des réalités virtuelles et des futurs peut-être anxiogènes.

En fait ce qui est important c'est de nous préoccuper de l'essentiel, à savoir : accueillir Dieu dans nos vies, nous accueillir nous-mêmes dans le présent de nos vies comme nous sommes, afin de pouvoir également accueillir les autres.

Le texte de Matthieu ne laisse pas entendre que nous ne devons pas nous inquiéter des choses de la vie, de quoi nous mangerons, etc, mais simplement d'accueillir cet amour de Dieu qui nourrit nos vies et nos cœurs dès à présent.

Nous inquiéter de l’essentiel en cherchant d’abord le royaume et la justice de Dieu ? C’est un changement radical qui nous décentre de nous-mêmes et de facto nous ancre dans une profonde confiance en Dieu. C’est ce lâcher-prise sur le réel que Jésus nous appelle à considérer. De ce lâcher-prise, il résulte que nos inquiétudes se transforment et laissent plus d’espace à la liberté intérieure, de sérénité et de confiance.

C’est ainsi que, comme les oiseaux des champs, nous recevons ce qui est essentiel pour chaque jour. Nous pouvons lâcher nos inquiétudes, car Dieu pourvoit d’ores et déjà à notre vie intérieure. Ne serait-ce pas de la sorte que nos existences peuvent se recomposer, changer nos relations, notre rapport au monde ? Nous permettant de recevoir ce qui est essentiel, central : Dieu dans nos vies, dans notre présent.

Dieu pourvoit dans nos vies comme pour les oiseaux des champs. Mais cela signifie-t-il pour autant que nous devions cultiver l’insouciance ? Ce n’est pas ce que laisse entendre le texte. Car il est écrit que le lendemain se souciera pour lui-même. Autrement dit, chaque jour qui passe aura son lot d’incertitudes, de questions à traiter. Ce qui est proposé ici, c’est plutôt de nous dépréoccuper de nous-mêmes et de nos propres intérêts.

C’est tout le challenge qui nous permet d’accueillir dans le quotidien de nos vies celui qui est le Tout-Autre et de nous ouvrir ainsi dans le présent à Dieu, à nous-mêmes et aux autres. Il s’agit d’accueillir la vie comme un cadeau plutôt que de croire qu’elle est le fruit de nos propres mérites, de nos soucis avisés. En fait il convient de recevoir la nourriture essentielle qui ne s’amasse pas mais vient du Père !

Pour autant nos soucis matériels ne sont pas réduits à néant, ils ne disparaissent pas : chaque jour nous sommes confrontés à des défis. Mais chercher premièrement le royaume et la justice de Dieu, c’est entrer dans la confiance en Dieu. Elle nous permet de changer notre regard sur nous et nos préoccupations matérielles, nos inquiétudes diverses et variées.

Ce que le texte peut nous dire aujourd’hui, c’est que l’important est moins la recherche de sécurité que la recherche de vie ! Et c’est peut-être à cet endroit, aujourd’hui, que Dieu nous invite.

Plaçons notre confiance en lui afin de recevoir la vie qui vient de lui pour ici et maintenant, nous ouvrant ainsi à la présence à soi et aux autres, nourris que nous sommes de son royaume et de sa justice.

Libérés de nos inquiétudes soyons les témoins reconnaissants du royaume et de la justice de Dieu.

Amen.

Qu’est-ce que le bonheur pour notre temps? Cela tient-il au matérialisme, à une quête jamais satisfaite? Notre temps nous laisse souvent seuls face à cette question et souvent bien désemparés. Une forme d’inquiétude peut nous guetter. Le Christ nous propose de nous décentrer de nos inquiétudes, de lâcher prise pour être présent à lui et au présent.

Détails

Avec la participation de
Agnès Simonin pour les lectures
Orgue
Daniel Meylan
Musique