L’Église n’est pas un lieu de tranquillité! Et si nous voulons vivre la paix, alors portons-la aux autres!

Temple de Martigny (©Pierre Boismorand)

Écouter le culte :

L'envoi des disciples ! Dans ce texte de l’Évangile, le Christ lui-même inaugure la mission de ses disciples. Il les envoie et leur explique les raisons de cet envoi. Avec le Christ, l'Église se met en route !  

Voilà donc un texte qui peut nous aider à comprendre le sens de l'Église et la manière dont le Christ désire qu’elle s’exprime et se manifeste dans le monde et la société. Dans toutes nos discussions sur notre Église d’aujourd’hui, comment le Christ nous envoie, nous, en 2024 ? Comment rester fidèle aux objectifs mêmes du Maître ? Revenons aux sources !  

Et là, premier enseignement : Jésus envoie les siens vers l’extérieur, vers le monde. Cela veut dire que l’Église n’est pas fondée par le Christ pour rester un petit cercle d’initiés ou de bien-pensants, bien groupés autour du Maître. Elle n’est pas là pour elle-même, pour garder pignon sur rue, ou pour le salut exclusif des disciples !  

Elle est là, d’abord là, pour les autres. Elle est destinée à s’ouvrir aux autres, au monde. Elle doit lever la tête vers l’horizon du monde. L'Église doit prendre son souffle pour la marche et l’itinérance. Toujours à nouveau, la communauté devra se remettre en route, lâcher ses acquis. Pour trouver et rencontrer ceux que le Christ lui-même est venu chercher : les brebis perdues, avant même celles qui sont restées bien sagement dans l’enclos. En d’autres termes encore : les pauvres de la foi, les exclus de l’espérance, ceux que nous trouverons « aux carrefours et sur les places », les désorientés, les déboussolés. 

Et à Martigny, dans cette paroisse, et en collaboration avec la paroisse catholique, nous vivons depuis plus de deux ans une Pastorale de la rue, au coeur même de nos vies paroissiales. Oui, c'est là que nous partageons quotidiennement les chemins de traverse de la marge, de l'exclusion et de la pauvreté de chez nous. C'est là qu'on est mystérieusement mis en route, envoyé vers celles et ceux qu'on ne rencontre pas dans nos vies tranquilles et bien rangées. Dans cette Église que nous rencontrons quand le Christ nous pousse vers le monde, vers « les gens de la rue ». Ce coeur mis de côté, mais au coeur de l'Église. Allons-y !  

Mais… le deuxième enseignement de notre texte, c’est que Jésus « les envoie devant lui ». Deux par deux, certes, mais seuls, sans lui, à l’aventure, vers l’inconnu, l’imprévisible. C’est-à-dire qu’ils sont en première ligne, les disciples, comme des fantassins, dans un rôle de messager, pour annoncer à sa place une manière d’être, de vivre, de traverser la vie toute nouvelle, différente de toutes les manières de vivre connues jusqu’alors !  

À la manière du « règne de Dieu qui est arrivé ». Une manière d’être différente, complémentaire, de toutes les autres manières d’être et d’aller vers le monde et vers les gens de toutes les errances et toutes les misères.  

Oui ! Cette manière d’être est possible parce que la réalité de Dieu est présente, maintenant, agissante au cœur même de celui qui envoie ses disciples vers les grands espaces de l’humanité. Ils ne tiendront pas par eux-mêmes, ces disciples, ils tiendront par la vocation, par l’appel de celui qui les envoie, dans des conditions tout à fait originales, d’urgence et de précarité ; ils ne pourront pas tenir autrement.  

Et Jésus laisse alors à ses disciples « faiseurs d’Église » ces paroles bien connues : « La récolte, la moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. »  

Chez nous, dans nos églises établies, on semble être dans une situation plutôt inverse : on supprime des postes, comme si on ne croyait plus à l’abondance de la moisson. Faut pas en envoyer trop ! Mieux vaut rester sur ses acquis, se replier vers les brebis qui sont restées dans l’enclos ! En fait, comme si l’on ne croyait plus à la mission de l’Église telle que le Maître l’a définie.  

Eh bien, le Christ a une vision bien plus large de l’Église ; et pour lui, la moisson de l’Église, ce n’est pas seulement, et même pas en priorité, le champ de nos institutions, de nos structures, de nos paroisses, mais tout le champ de la vie qui nous entoure, avec ses hommes et femmes, jeunes et vieux de tous bords, en particulier ceux qu’il faudrait aller trouver et rencontrer dans cette marche et cette itinérance vers le dehors, vers la rue, dans laquelle lui, le Christ, nous envoie !  

Le champ de l’Église est vaste comme le monde, il inclut tous ceux que nous avons tendance ou intérêt à exclure. C’est pourquoi il n’y aura jamais trop d’ouvriers, sauf si l’Église s’installe, devient immobile et construit des enclos et des structures, comme voulaient le faire les disciples sur la montagne de la Transfiguration : « Là, Seigneur, on est bien, installons des tentes, là on n’aura plus de problèmes ! »  

Mais, déjà, le Christ avait un autre projet pour ses disciples. « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » La marche de l’Église est une lutte, un danger permanent. L’Église du Christ est une Église à hauts risques, sauf pour ceux qui préfèrent les abris de sécurité aux vastes espaces d’un monde souvent hostile envers l’Esprit de l’Évangile. 

« N’emportez pas de bourses, pas de sac, pas de sandales… ! » Toujours mieux : l’Église du Christ est condamnée, par son Maître et Seigneur, à la précarité ! C’est à cette précarité qu’on la reconnaîtra, et c’est ainsi, dans son dénuement, dans la faiblesse et la précarité de ses moyens, qu’elle sera son Église. Et pourquoi cet appel au dénuement ? Parce que la mission est urgente, que la moisson ne peut pas attendre.  

Non ! Le temps est précieux : « N’échangez de salutations avec personne en chemin », dit le texte. Allez droit au but, ne flânez pas, ne vous arrêtez pas partout, sous prétexte que Dieu aurait du temps ou qu’il ne faudrait surtout pas s’agiter dans l’Église, sous prétexte qu’il faudrait plutôt en faire un lieu tranquille, où il ferait bon vivre encore dans notre monde de stress et d’agitation…  

Eh bien non ! Là encore, le Christ voit les choses autrement ! L’Église n’est pas un lieu de tranquillité ! Et si déjà vous voulez vivre la paix, alors portez-là aux autres : « Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison’. » Voilà ce que l’Église est appelée à porter au monde et à tous les humains : la paix ! Non pas la tranquillité confortable et sans souci, mais l’assurance, l’espérance que la vie est autre chose encore que le vécu angoissé de tous les jours. Que la vie est maintenant présence de Dieu au cœur même du quotidien, car « le règne de Dieu s’est approché de vous » !  

Et où donc les disciples doivent-ils porter ce message ? « Dans les maisons » et « dans les villes ». C’est-à-dire qu’ils doivent toujours être en route vers les lieux privés et les lieux publics, sans juger si les gens sont capables ou pas d'accueillir favorablement le message du Christ. Les disciples du Christ ne sont pas envoyés pour juger, mais pour rencontrer ! Tout ce qu’il leur est demandé de faire, c’est d’accomplir ce que le Maître lui-même leur a prescrit : être accueilli ou non, être porteur de paix, vivre avec les gens, en acceptant ce qu’ils peuvent donner, entrer dans leur misère quotidienne, partager avec eux, les aimer et les aider à vivre. 

Oui ! Allons-y ! Et guérissons les malades en mal de vie, en mal de paix ! Rendons-leur le goût de vivre, un autre souffle, la santé d’une espérance nouvelle, celle du Christ, et de son règne qui est arrivé jusqu'à nous !  

Et à la Pastorale de la rue ? Bien sûr qu'on se sent appelé, envoyé vers... On se sent poussé par ce bon courant de vie du Ressuscité vers toutes celles et tous ceux qui semblent rester en rade, au bord de nos routes, au bord de nos vies. Mais, curieusement, qui pousse qui, qui envoie qui ? L'envoi des disciples ? Le Christ nous envoie-t-il vers quelqu'un ou nous envoie-t-il quelqu'un ?  

Quand Camille – un grand gaillard devant qui je me sens toute petite – me déclare : « Si tu es là, je suis là ! » Eh bien, c'est lui, Camille, qui m'appelle à être présente, à le rencontrer.  

Et quand, un jour d'accueil de cet été, on se raconte nos parcours de vie, tous autour de la table, je leur explique que j'ai été pasteure de rue pendant plus de 20 ans à Lausanne, voilà Nicolas qui, par derrière, s'écrie : « Moi, j'ai fait 16 ans d'hôpital psychiatrique ! » Déconfiture ! Non, l’Église n’est pas un lieu de tranquillité ! Et Nicolas s'éloigne, personnage multiple, il semble danser dans l'air lourd plus qu'il ne marche. Il me lance, à la volée, un dernier appel : «Mais toi, tu n'es pas un pasteur comme les autres!», et il ajoute en montrant mon compagnon Jean-Marc du bout du nez: «Je vous aime bien!».  

Oui ! Comme le disait Frère Roger de Taizé : « Qui avance vers Dieu va d'un commencement à un autre commencement. Seras-tu de ceux qui osent se dire : ‘Recommence ! Quitte le découragement ! Que ton âme vive !’ » 

Amen. 

 

Pastorale de la rue œcuménique de Martigny:
https://vu.fr/aRQif
CH68 0900 0000 1900 0746 9

La moisson de l’Église, c’est tout le champ de la vie qui nous entoure – avec ses hommes et femmes, jeunes et vieux de tous bords, en particulier ceux qu’il faudrait aller trouver et rencontrer dans cette marche et cette itinérance vers le «dehors», «vers la rue», dans laquelle lui, le Christ, nous envoie.

Ce culte radio, diffusé sur RTS Espace 2, était à voir aussi en images sur RTS Deux et sur celebrer.ch.

Détails

Avec la participation de
Doris Zermatten pour les lectures
Orgue
Musique
Georges Gagnebin au piano, Léonard Muller à la clarinette, Patricia Muller à la guitare