Écouter le culte :
Ellen Pagnamenta
Se souvenir d’elle, se souvenir de lui.
Décédé récemment ou il y a longtemps.
Se souvenir de celle, de celui dont l’absence reste une blessure.
Ils m’ont dit : « Ne t’en fais pas, la vie continue. Tu passeras à autre chose. »
Ils m’ont dit : « Arrête de ressasser le passé. »
Ils me disent : « Regarde en avant, pas en arrière. »
Se souvenir – est-ce forcément rester dans le passé ?
Carmelo Catalfamo
Se souvenir.
Au moment où le prophète prononce les paroles que nous avons entendues, le peuple d’Israël vit comme dans une impasse : l’exil babylonien. Les déportés se retrouvent loin de leurs racines, de leur peuple, de leur Dieu. Ensemble ils évoquent la mémoire collective avec Dieu. Dans la mémoire collective, c’est une expérience terrible, douloureuse.
Ellen Pagnamenta
Me souvenir. C’est aussi lutter contre l’oubli : parfois je ne me souviens plus du timbre de sa voix. J’ai peur de passer à autre chose. Peur de l’oublier. Son regard, sa main, les anecdotes qu’elle me racontait de son vivant… que j’ai fini par ne plus écouter…
Aujourd’hui, il y a aussi ce frein en moi, à chaque fois que je ressens un début de joie.
Ai-je le droit de rire sans elle, sans lui ?
Ai-je le droit de vivre, vivre pleinement, plutôt que de survivre ou de vivoter ?
Carmelo Catalfamo
Tout le livre d’Ésaïe est marqué par cette expérience terrible : la destruction de Jérusalem en 587, la déportation, l’exil, une terre étrangère, une terre hostile. Le déracinement commence à durer, durer : deux générations vivent cette expérience amère…
Les plus âgés, eux, se souviennent encore amèrement de leur pays, de leurs terres : « Comment chanter (joyeusement) un chant du Seigneur en terre étrangère ? » (Psaume 137, 4).
Les plus jeunes, eux, sont nés là-bas, en Babylonie. Leur pays, ils le connaissent par les récits de leurs aînés, par les chants et les psaumes. Les aînés ont gardé vivant le souvenir de ce Dieu qui les a fait sortir d’Égypte.
Ellen Pagnamenta
Le deuil est une terre hostile : je ne suis bien nulle part.
Invitée chez des ami·es, j’ai envie de m’isoler.
Quand je suis seule à la maison, j’ai besoin de compagnie.
Quand je suis en compagnie, je me sens mal comprise.
Chaque mot maladroit blesse – alors que l’autre voulait juste me faire du bien : « Tu sais, c’est toujours les meilleurs qui partent en premier. »
Culpabilité.
Je vis dans la culpabilité. De ne pas être à la hauteur des attentes des autres. De continuer ma vie… sans elle, sans lui.
Culpabilité de ce que je lui ai dit, et de ce que je n’ai pas dit.
Carmelo Catalfamo
Il y a des voix prophétiques qui accusent le peuple d’avoir provoqué la colère de Dieu (Esaïe, Jérémie, Ézéchiel, Osée). Ces prophètes dénoncent l’idolâtrie, l’injustice sociale, le mépris de la loi divine, et l’hypocrisie religieuse d’Israël.
Le prophète qui nous écrit nos versets sous la plume d’Ésaïe offre, lui, une vision d’espoir et de restauration si le peuple revient à Dieu. Quand Ésaïe rappelle au peuple son histoire avec Dieu, quand le prophète parle de la sortie d’Égypte, ce n’est pas pour culpabiliser. Il rappelle tout le bien que Dieu a fait par le passé. Pourquoi cesserait-il ?
Son peuple peut puiser de la force dans son passé libéré. L’exil est aussi une opportunité pour une nouvelle alliance avec le Seigneur.
Ellen Pagnamenta
Est-il possible de guérir son passé ?
Est-il possible de demander pardon à la personne disparue ou de lui pardonner ?
J’aurais dû être là plus souvent pour elle !
Nous nous étions brouillés depuis plusieurs années.
Une réconciliation est-elle possible ?
Carmelo Catalfamo
Notre prophète veut réconcilier le peuple avec son passé récent, avec les questions douloureuses, avec les attaques autodestructrices. Il rappelle la bonté de Dieu.
« Une femme oublie-t-elle le nourrisson qu'elle allaite ? Cesse-t-elle d'aimer l'enfant qu'elle a porté ? À supposer même qu'elle l’oublie, moi, Dieu, je ne t'oublie pas. »
Le prophète voit la reconstruction. La situation géopolitique a changé : Cyrus, roi des Perses, va libérer les déportés. Il va les ramener au pays. Une lueur d’espoir à l’horizon.
Ellen Pagnamenta
Dans ma tristesse et mon désarroi,
une lueur d’espoir,
comme une bougie,
courte, éphémère.
Comme des passerelles dans la mare.
C’est sur ces pierres que je peux construire.
Oui, encore maintenant, alors qu’elle n’est plus là, qu’il n’est plus là, je peux me réconcilier.
Avec la vie – sans elle, sans lui.
Avec la maladie.
Avec moi-même.
Avec Dieu ?
Carmelo Catalfamo
Dans notre texte, le prophète voit le plan de reconstruction de Jérusalem littéralement dans la main de Dieu. Inscrit de manière permanente dans les paumes des mains.
Ésaïe rappelle la présence de Dieu. Il évoque la mémoire de Dieu.
Dieu est un Dieu qui se souvient. L’histoire de son peuple s’est inscrite dans sa propre chair : « J’ai ton nom gravé sur les paumes de mes mains, et ton image ne quitte pas mes yeux. »
Ellen Pagnamenta
Se souvenir, ce n’est pas forcément vivre dans le passé.
Je me souviens d’elle, je me souviens de lui, et ce souvenir me fait du bien aujourd’hui Ce souvenir me donne de l’espoir pour demain.
Je me raconte l’histoire que nous avions construite ensemble, et à chaque fois, j’emploie d’autres mots et je commence par un autre bout. Je me rappelle de notre dernier voyage, des premiers pas du petit-fils que nous avions accompagnés ensemble, la normalité des dimanches de pluie.
Et surtout, surtout :Je lui dis merci.
Je lui demande pardon.
Je lui pardonne.
Je lui dis : « Je t’aime. »
Je m’autorise à continuer la vie, mon chemin dans l’existence.
Elle, il aura une autre place dans ma vie.
Moi-même je balise une autre vie. Pas mieux, mais différemment.
Je pourrais par exemple découvrir de nouvelles passions. Ce cours de cuisine – et si je m’y inscrivais ?
Je pourrais renouer des liens. Téléphoner à l’ami que j’ai perdu de vue.
Carmelo Catalfamo
C’est une résurrection !
Ellen Pagnamenta
La résurrection, ce n’est pas plutôt ce que nous espérons pour celles et ceux qui sont morts ? Ce qui arrive à la fin des temps ?
Carmelo Catalfamo
Paul, dans le passage que nous avons lu, ne se soucie pas de l’après-mort. Sa déclaration pour la vie concerne tout d’abord notre existence présente. Sa confession de foi est formulée de manière solennelle et émouvante, comme il sait le faire lorsqu’il s’adresse à ses communautés : « Nous avons été au milieu de vous pleins de douceur, comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu'elle nourrit. » (1 Thess. 2, 7).
Il dit sa confiance que Christ est le Seigneur sur la vie et sur la mort et que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu.
L’amour de Dieu, manifesté en Jésus-Christ, dépasse toutes les adversités, qu’il s’agisse de persécutions, de souffrances ou de puissances spirituelles. Ce sont là des réalités que Paul et sa génération ont vécu.
Cette certitude donne aux croyants une confiance totale : ils sont plus que vainqueurs par Celui qui les a aimés.
Ellen Pagnamenta
Cette confession peut habiter nos cœurs à nous. Nous non plus, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu.
Ni ces moments où nous sommes au fond du trou.
Ni notre peur de l’oubli.
Ni la culpabilité.
Cette parole s’adresse donc aussi à nous qui sommes ici ?
Carmelo Catalfamo
Cette parole s’adresse surtout à nous qui vivons. C’est à nous qu’elle est adressée : à nous dans nos difficultés, dans nos moments de ras-le-bol, dans nos séances de larmes, dans nos tristesses infinies. Une chose est sûre : rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu.
Dieu est lui-même passé par ces moments-là.
En Jésus-Christ, Dieu est lui-même passé par le deuil.
Dieu nous garde en mémoire.
Ellen Pagnamenta
Dieu se souvient de nous, de chacune et chacun. Dans sa mémoire, nos chers défuntes et défunts vivront.
À nous qui nous sommes là, et qui continuons notre bonhomme de chemin, une confession de foi est adressée. Confession de foi qui a la force d’une bougie en pleine nuit.
Ellen Pagnamenta et Carmelo Catalfamo
Rien ne pourra jamais nous séparer de l’amour que Dieu nous a manifesté en Jésus-Christ !
Amen.