Ça passe, sans casse: réflexions sur un monde désespéré

Eglise du Pasquart à Bienne (©Nadine Manson)

Écouter le culte :

Tous : toutes et tous concernés. Nous sommes toutes et tous concernés ! Devant nous, il y a des montagnes qui se dressent, si escarpées, si impressionnantes, qu’elles semblent infranchissables. Des montagnes d’obstacles qui s’élèvent entre les humains : il y a les incompréhensions qui nous divisent, les conflits qui succèdent aux conflits. La peur de l’autre, la peur de celui ou de celle qui est différente, une peur qui provoque le mépris. Et le mépris qui nourrit les haines. Montagnes insurmontables ! Nous sommes toutes et tous concernés.

Et puis en face de nous, il y a aussi ces gouffres au bord desquels la vie nous précipite. Les abîmes de souffrance et d’épreuve, la maladie qui nous accable, physiquement, psychiquement. Les deuils qui nous bouleversent. Le gouffre du désespoir nous guette.

Oui, nous sommes toutes et tous concernés.

En vérité, il nous faut bien l’admettre, les chemins de nos existences sont très sinueux. Ils se montrent souvent rugueux, trop rocailleux. Voilà la réalité qui nous concerne toutes et tous.

Ça passe ou ça casse, dit-on. Très souvent, en fait, on passe et cela casse : nous sommes nombreuses et nombreux à vivre comme des accidentés des routes de l’existence.

Nous nous approchons de la fin de cette année 2024. Le nouveau siècle va franchir son premier quart. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce XXIe siècle se développe de manière bien sombre. Les guerres, les massacres, les catastrophes climatiques : autant de crises auxquelles s’ajoutent le désordre politique, le chaos des relations entre les pays. Tout cela nous montre que ça casse beaucoup, et qu’on ne passe plus tellement.

Nous sommes toutes et tous concernés. Oui, le désespoir, le découragement nous guettent.

Alors, sur notre route, cette confusion nous submerge peut-être. Nous nous sentons désorientés. La perplexité nous engourdit. Elle nous plombe, là, au milieu du chemin. Au point d’avoir envie de laisser tomber, pour nous asseoir, résignés, sur le bord de ce même chemin. Trop dur, trop insensé, trop désespéré. Oui, nous sommes toutes et tous concernés.

« Préparez la route ! » Il y a pourtant une voix… On dit même qu’elle crie. « Préparez la route ! » : une voix qui crie depuis le désert. Elle lance un appel, un appel vibrant – que personne n’entend… Qui peut entendre la voix qui crie dans le désert ? Qui peut entendre les voix qui essayent de se faire entendre dans le brouhaha actuel ?

Comme il est difficile d’entendre les voix qui essayent de nous atteindre au cœur de nos désespoirs. Elles semblent si ténues. Ou bien elles sont totalement absorbées par le bruit ambiant, dans le désordre des messages et des sollicitations qui nous assaillent chaque jour davantage.

Ces voix sont aussi noyées par les cris de douleur d’un monde en furie. Le cri des victimes en Ukraine, à Gaza et dans tant d’endroits oubliés. Les cris de celles et ceux qu’on enferme, parce qu’ils et elles s’opposent à l’oppression. Oui, tous ces cris des victimes de l’injustice nous remplissent la tête et le cœur.

Et pourtant, elles existent ces voix qui crient jusqu’à nous. Il en existe même, je le crois, à y prêter attention, plus qu’on ne pense.

L’une d’entre elles, nous vient du fond des âges. Elle a été celle du prophète Ésaïe, reprise par Jean-Baptiste. Elle crie depuis le désert, jusque dans nos propres vies : « Préparez la route ! Rien n’est insurmontable ! » « Préparez la route du Seigneur ! Les fossés seront comblés, les montagnes abaissées, les courbes redressées, le chemin rocailleux lissé. »

Au milieu de notre chemin de désespoir, est-ce que nous pouvons entendre cette voix ? Est-ce que nous pouvons entendre, réentendre cet appel ?

Je pense que oui. Je pense même que celui ou celle qui s’est assis au bord du chemin, sans énergie, un peu dépité, est peut-être justement très bien placé pour entendre ce nouvel appel. Car le désespoir, le découragement peuvent se transformer en disponibilité. J’ai laissé tomber la frénésie, je peux donc ouvrir mes oreilles à quelque chose de neuf.

« Préparez la route ! Rien n’est insurmontable ! » Entendez l’appel à se reprendre, à se relever, à s’y remettre ! C’est un appel en forme d’annonce. Il s’agit en fait d’une promesse. « Préparez la route », car le Seigneur vient. Et s’il vient, alors nos perspectives changent. Et ce qui nous semblait insurmontable ne l’est plus vraiment.

« On remplira tous les ravins, on aplatira toutes les montagnes et toutes les collines. Les tournants de la route deviendront droits, on remettra les mauvais chemins en bon état. » Cette promesse nous est aussi annoncée pour aujourd’hui. Et nous pouvons l’entendre, la faire résonner dans nos vies personnelles.

Oui, nous sommes toutes et tous concernés. Même si nous nous sentons bloqués, désemparés, impressionnés par des obstacles infranchissables, même si notre route semble chaotique, menacée par des ravins dans lesquels tomber, la voix crie dans le désert de nos désespoirs : il vient, et avec lui, il n’y a rien d’insurmontable.

Alors nous pouvons peut-être comprendre ce que veut dire « se préparer ». Se préparer, c’est d’abord se mettre en situation de disponibilité. S’ouvrir, se rendre accessible. Quelque chose de neuf peut m’atteindre, une voix peut résonner en moi. Se préparer, c’est aussi se montrer prêt à être rejoint. Je prépare le chemin de celui qui vient jusqu’à moi.

Dieu ne nous laisse pas seuls à notre désespoir. Bien au contraire, il nous y rejoint. Il va trouver le chemin jusqu’à nous. Il vient jusque sur nos propres chemins d’errance, pour nous permettre de reprendre la route. Avec lui, nous pouvons nous remettre à avancer. Avec lui, rien n’est plus insurmontable. Grâce à lui, nous pouvons passer, sans casse. Nous sommes toutes et tous concernés.

Voilà pourquoi Jean Baptiste conclut avec Ésaïe : « Ainsi, toutes et tous verront que Dieu veut les sauver ! »

Belle promesse ! Ce n’est qu’une promesse, me direz-vous. Oui, c’est vrai, ce n’est qu’une promesse. Une promesse de prophète, d’homme qui se fait le porte-parole d’une autre dimension de la vie. Mais comme nous avons besoin aujourd’hui de réentendre des promesses. Comme notre temps a un urgent besoin d’entendre des choses, des personnes, des paroles qui nous ouvrent à d’autres dimensions de la vie.

Oui, un avenir est possible. Un avenir positif, un avenir heureux. Oui, les obstacles qui nous semblent insurmontables peuvent être résolus. Oui, il existe encore une route qui conduit vers un monde meilleur, une société meilleure, une vie meilleure.

Ne sous-estimons pas les promesses. Elles nourrissent l’optimisme. Elles renouvellent nos forces et notre motivation. Elles nous mobilisent et nous redonnent un cap. Portés par elle, nous pouvons reprendre la route avec confiance et énergie.

Les promesses nous font passer de la mort à la vie, de la mort d’un monde ancien et avachi, vers la vie du monde relevé et relancé. Les promesses se font eaux d’un baptême qui renouvelle ce monde comme elles renouvellent chacune de nos existences individuelles.

Alors oui, « tout le monde verra le salut de Dieu ». « Toute chair », dit le texte grec, cela veut dire toute personne, chacune et chacun, tout le monde verra le salut accordé par Dieu. La promesse prend les dimensions de l’universel. Elle est disponible pour toutes et tous. Définitivement, nous sommes toutes et tous concernés.

Qu’importe les montagnes ou les fossés qui nous entravent, qu’importe les virages dangereux et les terrains minés, rien n’est insurmontable pour celles et ceux qui se mettent en route à sa suite. Ça passe sans casse.

« Tout le monde verra le salut de Dieu ». Préparer le chemin, retrouver la conviction que rien n’est insurmontable, pour reprendre une route praticable : c’est le chemin du salut que Dieu nous propose. C’est le salut que Dieu propose à notre humanité.

Préparons donc le chemin du Seigneur ! Avec lui, comme lui, nous verrons que rien n’est insurmontable : les chemins de nos existences sont et restent remplis de possibles. Cette promesse, ce salut, oui, nous concernent toutes et tous.

Amen.

Relayé par Jean-Baptiste, l’appel d’Ésaïe crie jusqu’à nos oreilles: rien n’est insurmontable. Un chemin se prépare, il ouvre une perspective praticable. Nous sommes toutes et tous concernés.

Le culte est construit à partir de l’oeuvre d'Olivier Messiaen, La nativité du Seigneur. Cette musique accompagnera l’ensemble de la célébration. Il s’agit de mettre en valeur la qualité des grandes orgues de l’église du Pasquart.

 

 

Détails

Avec la participation de
Flora Goy, animatrice de jeunesse, pour la liturgie; Jeannette Bessire pour les lectures
Orgue
Vincent Greub
Musique