Amour, libération et épanouissement

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Depuis que les journaux existent, la rubrique des "petites annonces" prétend être notre planche de salut, prête à résoudre notre moindre problème ou à combler une attente. Il y a quelque temps déjà, un esprit malicieux a épinglé sur le panneau des petites annonces d'un secrétariat central d'Église cette demande de Jésus à ses disciples : "Qui dites-vous que je suis ?"

Non moins malicieuse est la réponse prêtée à certains de nos contemporains très avertis de la chose religieuse : " Tu es la manifestation eschatologique de notre être, le kérygme de la signification ultime de nos relations interpersonnelles ! " Et quelque peu interloqué, Jésus leur dirait certainement : " Quoi ? "...
Là, assurément, notre problème n'est pas résolu, et notre attente encore moins comblée. Il n'y a pas que le Fils de Dieu à nous poser cette redoutable question : "Qui dites-vous que je suis ?", mais Dieu le Père, en personne, voudrait bien savoir ce que nous pensons de Lui : "Qui dites-vous que je suis ?" Quoi de plus légitime de la part de Celui que nous invoquons et prions quotidiennement ? Quoi de plus essentiel pour nous que de savoir à Qui nous avons affaire, et quelle image nous nous faisons de Lui ?

Des petites annonces à la publicité il n'y a qu'un pas que nos coreligionnaires américains ont franchi en piquetant les grands axes routiers de panneaux significatifs : au sud on pouvait lire "ATTENTION, DIEU VOUS REGARDE !", alors qu'au nord c'était "SOURIEZ, CAR DIEU VOUS AIME !"

"Qui dites-vous que je suis ?"
Nul doute pour un chrétien, et plus encore quand il est pasteur, que la réponse à cette question peut être trouvée dans la Bible. Et rien de tel que de se laisser conduire par le Saint-Esprit pour choisir le texte biblique décisif... c'est normal non ? Seulement voilà ! Qui pourrait croire que ce texte décisif soit précisément le plus invraisemblable, le plus hermétique à ma compréhension, et apparemment le plus éloigné du sujet : "les trois tentations de Jésus"?

Imaginez ma perplexité ! Pendant trois ans, j'ai "bûché" et trébuché sur ce maudit texte. Comme il y est question de tentations, je me voyais déjà transformé en "petit-père-la-morale", en promoteur d'un moralisme rétrograde ! De plus, comme un protagoniste important de ce récit n'est autre que Satan, incarnant les forces du mal, j'appréhendais un dérapage insidieux vers un obscurantisme moyen-âgeux ! Et sempiternellement, cette question me harcelait : "-Qui dis-tu que je suis, moi ton Dieu ?" Mon Dieu !... je crois pourtant le savoir, sinon je ne serais pas pasteur ! Mais comment justifier mes intuitions avec un tel texte ? Franchement ! Mon combat avec l'ange s'est subitement arrêté à Paris, lors d'une session pastorale oecuménique consacrée à ce thème: "Quel message chrétien pour les jeunes d'aujourd'hui ?"

L'animateur de ce séminaire ayant déjà débusqué quelques-unes de mes idées qu'il jugeait décapantes, crut bon de me tendre la perche en m'invitant à partager mon interprétation du texte des ... "trois tentations de Jésus" ! En fait de perche tendue, c'était plutôt une volée de bois vert ! Et pourtant, il se révéla que c'était précisément le moment que Dieu avait choisi pour me faire découvrir cette "satanée" clef de décodage qui m'échappait. Et quand je dis "satanée", ce n'est pas un écart de langage, car le "Sésame, ouvre-toi" de notre texte est précisément dans ce qualificatif "satanée", comme vous pourrez le constater tout au long de notre réflexion.

Venons-en concrètement à cet épisode de la mise à l'épreuve de Jésus au désert. L'évangéliste Matthieu le situe entre son baptême et l'amorce de son ministère.

Ne serait-il placé là que pour décerner un "certificat de bonne vie et moeurs" au candidat Jésus, pressenti pour ce divin ministère ? En d'autres termes, cet épisode ne serait-il réduit à n'être qu'une forme de "bizutage de Jésus" : à savoir l'obligation qui lui serait faite de surmonter victorieusement la tentation ? C'est assurément le parti qu'ont pris nombre de religieux pour nous exhorter à suivre l'exemple de Jésus si nous voulons prétendre à devenir de bons chrétiens ! Lui, il a réussi ! Nous, ne pouvons pas en dire autant ! Certes, nous faisons de louables efforts, mais trop souvent nous échouons, et notre foi en la perfection s'ébrèche au fil des expériences.

Alors, nous sombrons dans la culpabilité, donc dans l'angoisse de ne jamais pouvoir mériter un jour le salut promis par ce Dieu si exigeant, tout-puissant, inhumain. Est-ce là la véritable intention de l'évangéliste ? J'en doute profondément. Car entre le baptême de Jésus et l'appel des disciples, comme entre notre propre baptême et l'appel à l'action chrétienne, il y a ce temps intermédiaire, ce temps du désert, ce temps mis à part...

Il y a ce temps de retraite, ce temps de réflexion, ce temps d'intériorité... et plus encore : ce temps de rencontre avec Dieu, ce temps à la recherche d'une image acceptable de Dieu, ce temps à la recherche de soi-même et du sens à donner à sa vie. "Qui dis-tu que je suis, moi ton Dieu ?"

C'est que... "Personne n'a jamais vu Dieu, mais le Fils unique, qui est Dieu et qui demeure auprès du Père, l'a fait connaître" (Jn 1,18). C'est pourquoi l'évangéliste Matthieu soumet à notre réflexion trois situations susceptibles de lever le voile sur l'identité de Dieu.

Première situation : "Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à ces pierres de se changer en pains !" Que doit prouver Jésus par cet acte de magie, sinon de donner la seule preuve irréfutable de sa "toute-puissance", à l'image de Dieu dont il prétend être le Fils ?

Deuxième situation : "Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas du temple... et Dieu devra envoyer des anges pour te sauver !" Que doit prouver Jésus par ce saut de la mort (par cet acte de suicide en quelque sorte), sinon son pouvoir, à l'égal de Dieu, sa main-mise sur tout et chacun, prouvant ainsi qu'il est le Maître avec pleins pouvoirs ?

Troisième situation : Le Tentateur change de stratégie... "Soumets-toi à moi et tu domineras le monde !" Cette fois, Jésus n'a plus à prouver qu'il est le Fils de Dieu. Il lui est suggéré même de changer de Maître, de se soumettre à ce dieu diabolique, Satan, en récompense de quoi il lui conférerait la domination de la terre!

Trois situations qui semblent mettre en évidence une image-stéréotype de Dieu comprenant les quatre attributs généralement admis dans le panthéon mythologique et attestant l'identité divine, à savoir : la "toute-puissance", le "pouvoir", la "domination", la "soumission".

Alors, je risque cette question : - Dieu... notre Dieu,... ton Dieu est-il des leurs, ou devons-nous l'imaginer tout Autre ? Les commentateurs bibliques, évangélistes et prédicateurs qui ont échappé à la tentation du moralisme sont presque toujours tombés dans un piège tout aussi discutable en attribuant au Dieu de Jésus-Christ des intentions dignes d'un régime totalitaire :
- Sa "toute-puissance" l'entraînerait à un besoin narcissique d'admiration, d'adoration, comme en témoignent nombre de nos psaumes et cantiques !

- Son "pouvoir" se manifesterait par une défense jalouse de son autorité et de ses prérogatives, au risque d'exercer son droit de vie et de mort sur chacun, comme en témoignent nombre de textes liturgiques !

- Sa "domination", il l'obtiendrait par la crainte, par le jeu de la punition et de la récompense, comme en témoigne le légalisme religieux toujours florissant dans nos Églises chrétiennes !

- La "soumission", corollaire de sa "domination", il l'exigerait de nous par des actes d'humiliation et par l'obéissance toujours récompensée, comme en témoignent encore certaines confessions des péchés et nombre de catéchismes !

C'est ainsi que même des chrétiens, et des théologiens de surcroît, s'imaginent Dieu comme une force d'une "toute-puissance" ambivalente, capable des pires catastrophes comme des miracles les plus inouïs. Ils en font un Dieu dont il faudrait à la fois se protéger et réclamer la protection, un Dieu qui serait engagé dans un bras de fer avec l'humanité !

Pourtant, j'ai le sentiment que l'évangile veut nous donner une vision très différente de l'image de Dieu. Et pour nous en convaincre, revenons un instant sur les trois situations de mise à l'épreuve de Jésus. Aux trois propositions, Jésus en tant qu'homme répond : "-Non, non et non ! Quoi d'étonnant si nous nous référons à cette affirmation souvent insérée dans nos catéchismes : « Ce qui est possible à Dieu est impossible à l'homme! » ?

Mais voilà, Jésus en tant que Fils de Dieu répond de même : -" Non, non et non !" Pourtant son interlocuteur, le Tentateur, le Malin avait pris la précaution de se baser sur un proverbe infaillible : "-Tel Père, tel Fils "!
Rassurez-vous, Jésus ne va pas renier ce proverbe, bien au contraire, il va même le conforter, mais à sa manière, en se faisant le révélateur privilégié de la "vraie image de Dieu" : "- Celui qui m'a vu... a vu le Père" (Jn l4,9) dit-il.

Par son triple "NON", deux fois répété, Jésus vient de réfuter au Tentateur sa légitimité de révélateur de l'image de Dieu... lui, l'anti-Dieu par excellence, lui, le "putschiste" invétéré, toujours prêt - par mille fourberies - à prendre la place des autres, fût-ce même celle de Dieu ! Il a voulu faire le Malin... eh bien, comme le dit également un proverbe : "- À Malin, malin-et-demi !"

Dans tout ce que tu dis ou fais... c'est le "contraire" qui est la vérité ! La voilà cette "satanée" clef de décodage de notre texte biblique : toutes les paroles mises dans la bouche du Tentateur doivent être comprises comme un mensonge. Ainsi en va-t-il de ces quatre attributs qualifiant, soi-disant, tout dieu qui se respecte, et qui nous ont conduit à penser que même notre Dieu pourrait vouloir privilégier le registre du "pouvoir".
Laissons-les au Tentateur, qui, de la sorte, a si bien brossé son "autoportrait" !
À la "toute-puissance" suggérée par le Tentateur, nous devons lui préférer son contraire : "l'AMOUR"... car Jésus nous révèle avant tout un Dieu d'amour. D'ailleurs, le plus petit verset de la Bible ne tient-il pas dans ces trois mots : "DIEU EST AMOUR !" (I Jn 4,l6) ?

Au goût du "pouvoir" suggéré par le Tentateur, nous devons lui préférer son contraire : le "SERVICE"... car Jésus, qui s'est fait "Serviteur" en subissant le "pouvoir" qui l'a conduit au supplice de la Croix, témoigne que la priorité de Dieu consiste moins à être le "Maître" incontesté qui aurait la main-mise sur tout et tous que le SERVITEUR, préoccupé qu'il est, avant tout, d'éradiquer toutes les misères de ce monde.

Au besoin de "domination" suggéré par le Tentateur, nous devons lui préférer son contraire : la "LIBERATION"... car Jésus s'est fait le champion de la LIBERATION tout au long de son ministère afin que chacun puisse entrer dans une Vie nouvelle, attestée par les sacrements du Baptême et de la sainte Cène.

À la nécessité d'une "soumission" suggérée par le Tentateur, nous devons, là aussi, lui préférer son contraire : "l'EPANOUISSEMENT"... car Jésus est venu non pour rabaisser l'être humain, mais pour lui redonner sa valeur, pour le re-susciter ici-bas, lui restituant ainsi le sens de la vie, et pour le ressusciter jusque dans l'Au-delà, participant défintivement au Royaume promis.

"Qui dites-vous que je suis, moi votre Dieu ?" Un Dieu qui serait porté à privilégier la "toute-puissance", le "pouvoir", la "domination" et la "soumission" ? Ou bien un Dieu qui privilégie avant tout l'AMOUR, le SERVICE, la LIBERATION et l'EPANOUISSEMENT ?

En guise de conclusion, je vous invite à méditer cette confession de foi qui résume toute la réflexion de ce matin :

- Je crois en Dieu, l'AMOUR pour tous.
- Je crois en Jésus-Christ, la LIBERATION pour tous.
- Je crois au Saint-Esprit, l'EPANOUISSEMENT pour tous.

Dans l'Église et dans le monde, je peux me mettre au SERVICE de tous.

Amen.

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Avec la participation de
Orgue
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