J'étais malade et Dieu m'a visité !

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"J'étais malade et vous m'avez visité "!

C'est Jésus qui parle à ses disciples... et tout ce que dit Jésus, normalement, est parole d'Evangile, c'est-à-dire exceptionnelle, parole inattendue, parole révolutionnaire même.

"J'étais malade et vous m'avez visité "!

Franchement, c'est d'une banalité navrante ! Qui s'étonnerait encore aujourd'hui d'une telle évidence ? Qui n'a jamais rendu une petite visite à un parent malade, à un ami hospitalisé, à un voisin accidenté ? C'est un acte de courtoisie inscrit dans notre plus commun savoir-vivre, un geste d'amitié bien naturel, et remplacé souvent, en cas d'empêchement, par un envoi de fleurs, par un message réconfortant, ou par un petit colis de friandises et quelques revues illustrées. Là vraiment, Monsieur le Pasteur, on connaît, on ne voit vraiment pas ce que vous pourriez ajouter du haut de la chaire !

"J'étais malade et vous m'avez visité"!

Pourtant cette assertion de Jésus a surpris les disciples, elle a provoqué chez eux la perplexité : - Pensez donc ! Jésus malade ? du jamais vu ! Qui a jamais lu dans les Evangiles un arrêt de ministère de Jésus pour cause de maladie, d'accident, de sciatique ou pire encore pour cause de perte de voix ? Le seul arrêt de ministère que nous lui connaissions, c'est celui de sa crucifixion après sa sordide arrestation, son procès bâclé, son infamante condamnation à mort ! Mais malade... ça jamais ! C'est un gaillard costaud, ce Jésus !

"Quand t'avons-nous vu malade et t'avons-nous visité?
lui demandent ses disciples, subitement pris d'un énorme doute et tout gênés d'avoir peut-être ignoré cet aspect de la vie de leur Maître. Par contre, les guérisons, il en connaît long sur le sujet. Les Evangiles en sont truffés de récits.

"J'étais malade et vous m'avez visité... et toutes les fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, vous ne l'avez pas fait à moi non plus"!

Alors je devine vos "oufs" de soulagement.... car on se bouscule au portillon des hôpitaux à l'heure des visites. Mais qui allez-vous voir à l'hôpital, à la clinique ou à domicile ? Votre parent ? Votre amie ? Votre voisine ? Non pas seulement ! mais : votre parente malade, votre amie malade, votre voisine malade. C'est une personne qui vit, momentanément ou chroniquement, une expérience spécifique. Atteint dans sa santé, et qui plus est, généralement hospitalisé, c'est-à-dire privé de son milieu de vie quotidien, de ses activités habituelles, de son indépendance, un malade souffre. Un malade peut souffrir des douleurs de son corps, mais aussi moralement de sa prise en charge, de sa dépendance médicale, et tout autant spirituellement. Un malade peut souffrir spirituellement, qu'il soit croyant ou non, simplement parce qu'il réalise que sa vie est peut-être en danger, qu'il risque de mourir... Et lorsqu'on réalise la possibilité de cette échéance, lorsqu'on se met à gamberger dans le silence d'une nuit sans sommeil, on a tout le temps de faire le point sur sa vie, tout le temps de s'interroger sur le sens de sa vie, tout le temps de se poser les questions volontairement mises entre parenthèses dans la vie courante. Surgissent alors l'angoisse, la panique, la révolte et ce célèbre questionnement : "Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour que ça m'arrive ?", suivi de cette non moins célèbre réponse : "Je n'ai vraiment pas mérité cela"! Et ce questionnement qui aboutit à Dieu, comme un appel au secours, le malade le fait parce qu'il ne se sent plus tout à fait lui-même : angoissé, désécurisé, déconnecté de la vie sociale, donc privé de ses valeurs habituelles de vie, il réalise que ces valeurs sont insuffisantes, qu'il manque une dimension, la dimension spirituelle qui lui permettrait d'assumer sa situation plus sereinement, plus lucidement, et je dirais même plus constructivement, à l'image de l'apôtre Paul quand il témoigne de sa confiance, expérience faite de la maladie, du handicap, et des turpitudes de la vie :

"J'ai appris à me contenter de ce que j'ai, dit-il, j'ai appris à être satisfait partout, et dans toutes les circonstances..." (Ph.4 : 5-7)

D'accord, mais à quel prix ? me direz-vous.

"Grâce au Christ qui me fortifie"

D'accord, mais encore ? L'apôtre Paul explicite son témoignage :

"Nous gémissons comme sous un fardeau, mais nous souhaitons... que ce qui est mortel soit absorbé par la vie. Et c'est Dieu lui-même... (dans son infinie bonté) qui nous a destinés à connaître une telle transformation".

- D'accord, mais comment peut s'opérer cette transformation ? Comment gérer l'espérance alors qu'on est souffrant, quel que soit le nom de cette souffrance ? La conclusion de l'apôtre Paul pourra vous paraître déconcertante à première écoute :

"Nous nous réjouissons même dans nos souffrances (dans et non de ) car nous savons que la souffrance produit la patience, que la patience produit la résistance à l'épreuve, et que la résistance à l'épreuve produit l'espérance" (Rom. 5 : 3-4)

Ah! parlons-en de la patience ! Le malade ne fait que cela : patienter, attendre, attendre que ça passe... ou que ça casse ! Seulement, "patienter" ne signifie pas "attendre sans réagir". "Patienter", dans l'esprit de Paul, c'est gérer le temps mis à notre disposition, c'est gérer sa provisoire disponibilité, non pas pour gamberger et se complaire dans les idées noires, mais plutôt pour se nourrir de projets constructifs, quoi qu'il advienne, pour prendre en main sa vie. La patience suppose un mieux, un mieux-être, un mieux-vivre.

Et c'est là que j'aimerais m'adresser aux "bien-portants", plus souvent "faiseurs de visites" que véritablement "visiteurs"! Le "faiseur de visite" vient visiter un malade pour se rassurer lui-même sur son état, pour se donner une bonne conscience en ayant fait son devoir de visite, par obligation sociale.

Le "visiteur", lui, a le souci du malade, premier servi, pour en faire un "patient", il lui suggère un mieux (en recherchant avec lui une espérance), un mieux-être (en revalorisant son existence), un mieux-vivre (en participant à sa lutte pour la guérison). Que peut apporter ma visite ? J'ai dit "ma" visite" ? J'aurais dû dire "notre" visite ! Car avant, que je fasse une visite, Dieu me visite et c'est ensemble que nous visitons. Tout "visiteur" est avant tout "visité par Dieu ": un visiteur visité !

Et quand Dieu visite, qu'apporte-t-il ? Dieu apporte la vie et la libération. Nous apporterons la vie si nous permettons au malade de se dire, de se raconter, de se forger une espérance, "une espérance qui ne déçoit pas, comme celle que l'Esprit Saint a mise en nos coeurs". (Rom. 5 : 5)

Voici comment un jeune décrit son existence où la vie lui est refusée : "Ma mort, c'était votre jugement... Ma mort, c'était de ne plus oser parler, de peur de mal parler; de ne plus oser dire mes rêves, de peur de faire rire; de ne pas oser prendre une initiative, de peur d'être critiqué; de ne pas prendre d'engagement, parce que, de toute façon, j'en étais certainement incapable... La vie qui était en moi n'intéressait personne. Vous me condamniez à être infirme, grabataire de la pensée : une existence de paralytique..."

Nous apporterons la libération si nous pouvons
- répondre à son appel au secours,
- partager un mieux-vivre,
- transmettre un esprit constructif,
- réussir à le faire passer de l'état de malade (résigné, sans espérance) à celui de "patient" (espérant),
- le mettre sur le chemin de la transformation corporelle (par la guérison si possible) et spirituelle (par la foi, toujours possible).
C'est lorsqu'un malade nous parle de sa mort possible que nous sommes le plus démuni : "Voyons ! ne dis pas de bêtises, tu vas t'en sortir !" C'est quand il est prêt à en parler que nous ne le sommes pas vraiment !

Voyez-vous lorsqu'un malade aborde ou veut aborder, en langage clair, ou à mots couverts, le sujet de ses fins dernières, c'est qu'il est déjà devenu un "patient", un être rempli d'espérance. Pourquoi lui répondre à coups de bêtises qui masquent mal notre manque d'espérance ?Vous ne me croyez pas ? Une vieille dame de Saint-Gervais priant tous les jours et à qui je demandais le diagnostique de son médecin, m'a lancé un regard brillant de malice, et avec son humour décapant m'a dit : "- Je suis foutue ! Je suis prête, je n'ai pas peur ! Au lieu de chanter ici-bas, je chanterai bientôt dans le choeur des anges ! D'ailleurs je compte sur vous pour la cérémonie, mais rien de chialant ! De la résurrection, bon sang, de la Vie !"

"J'étais malade et vous m'avez visité "!

A la question que nous posons volontiers en cette période économique difficile : Vous reste-t-il de quoi vivre ? un précurseur de Drewermann, Louis Evely, vous la retourne en : - Vous reste-t-il de quoi mourir ? A Charlemagne, qui engageait mal sa vie en négligeant la religion, un pape a dit : - Vous mourrez de vous regarder vivre ! Mais la version constructive ne serait-elle pas aussi dans son retournement ? - Vous vivrez de vous regarder mourir !

Savoir incorporer la souffrance et même la mort dans notre processus de vie, c'est mieux vivre et mieux être, comme l'affirme l'apôtre Paul : "Même si notre être matériel se détruit peu à peu, notre être spirituel se renouvelle de jour en jour "! (II Cor. 4 : 17)¨

Chers malades, chers patients, vous qui m'avez accueilli par le biais des ondes radiophoniques, permettez-moi de conclure ce message de manière plus personnelle : - Ne me considérez plus comme parlant du haut de la chaire du temple de Saint-Gervais, mais comme étant présent au chevet de votre lit ou de votre fauteuil, tout près de vous, ma main dans la vôtre, "prends en ta main la mienne"... pour vous dire : "Tiens bon l'Ami (e) quand la souffrance vient sans pitié te saisir l'esprit et le corps, quand il n'y a plus que dérive, quand tous les chemins mènent à l'abandon, quand le désespoir attend aux carrefours de chaque jour, tiens bon, l'Ami (e). Il t'a appelé à son admirable lumière : comment te laisserait-il sur les bords de la nuit ? Ne crains aucun mal. Croire, c'est tenir bon, s'appuyer sur Lui, fermement, en traversant les ravins d'obscurité, car son Nom, tu le connais, c'est le Dieu d'Amour, notre Père."

"J'étais malade et vous m'avez visité "

"J'étais malade et Dieu m'a visité".

De malade, je suis transformé par l'espérance divine en "patient". J'ai reçu la visite de visiteurs visités, visités par Celui qui donne valeur à toute existence : je souffre, je meurs peut-être, mais je suis vivant pour toujours. Dans tout cela, où est la banalité ? Parole d'Evangile, parole exceptionnelle, parole inattendue, parole révolutionnaire, transformatrice, parole de vie. La paix soit avec vous.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Desbaillet
Musique