On raconte cette scène de famille : au moment du dessert, l'enfant demande avec anxiété autant qu'avec impatience baveuse : "Qu'est-ce qu'il y aura comme sucré ?" La mère lui répondit : "Mon petit, c'est vraiment la liberté du choix. Et l'enfant d'ajouter tout triste : "J'aime pas le choix".
Telle est bien notre situation, nous occidentaux à la mémoire courte. Après les luttes terribles de nos ancêtres pour vivre dans la liberté, nous trouvons tellement normal d'être libres de penser, de circuler, de parler que c'en est devenu une convention banale. Nous avons le choix de presque tout : la liberté, bof !!
Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres" écrivait l'apôtre Paul aux communautés naissantes d'Asie Mineure, de Galatie en particulier l'actuelle région d'Ankara dont les membres étaient, étrange hasard, des descendants de celtes gaulois. Comme quoi les Bretons étaient déjà de grands voyageurs !
Paul avait appris que certains imposaient des lois juives à quiconque voulait devenir chrétien. Il prend la plume pour rappeler la Bonne Nouvelle, sans conditions à la suite de l'enseignement du Christ.
C'est cette parole forte, simple et belle à la fois que j'ai souhaitée pour ce culte de la Réformation, parce qu'elle nous ouvre des portes insoupçonnées et qu'elle est susceptible de nous donner un élan nouveau pour nos Églises réformées toujours à réformer.
En plein automne, l'on commémore les fameuses protestations de Martin Luther affichées un 31 octobre 1517 sur la porte de la chapelle du château de Wittemberg. L'on a peine à imaginer l'atmosphère de peur et de désespoir du début du XVIe siècle, atmosphère entretenue avec délice par l'Église romaine. Ajouté à cela un chantage financier ignoble : "Vous me donnez vos sous et je vous promets une petite place au paradis".
Un homme, Luther, avide de paix et de joie simple, incapable de trouver le bonheur, découvre avec surprise autant qu'émerveillement, la Bible et le message évangélique plein de confiance sereine : "le juste vivra par la foi" et il proteste contre l'accaparement, contre le hold-up de la Bonne Nouvelle par ceux qui détiennent le pouvoir dans l'Église : Quel courage, quelle audace ! Et à sa suite, dans des contextes parfois fort différents, des hommes comme Zwingli à Zürich, Calvin à Genève, John Knox en Écosse et tant d'autres après eux.
En cette époque de l'année où des feuilles tombent, où les jours sont sombres, où le brouillard s'installe, jusque dans nos vies, nous célébrons cette liberté évangélique remise en valeur par quelques-uns pour tous.
J'ai toujours regretté que cette fête de la Réformation ait lieu en automne, saison morne et tristounette. Ah ! si Martin Luther avait eu la bonne idée de protester un 31 mai, alors que le soleil et la nature sont en fête. On ne refait pas l'histoire ! Il n'empêche que j'ai admiré les Genevois qui, chaque année à pareille époque, doivent grelotter au pied du mur des Réformateurs avant d'entonner le magnifique cantique de Luther : "C'est un rempart".
Cette fête de la Réformation n'est certes pas l'occasion de célébrer les hauts faits des héros d'autrefois, comme en une espèce d'association d'anciens combattants du genre : "C'était le bon temps, ou "Y en a point comme nous".
Nous connaissons les ombres et les lumières des Réformateurs. Nous savons, hélas, qu'ils ont du sang sur les mains. Ils furent victimes de leur époque, remplie de violence, de haine et d'intolérance.
Mais il ne faudrait pas pour autant cracher dans la soupe et rejeter leur prodigieuse intuition de mettre en pleine lumière la Bible. À bas les institutions ecclésiastiques qui prétendent tout savoir ! Vive la liberté divine proposée à tous sans condition !
L'on a peine à imaginer le formidable élan libérateur insufflé non seulement aux Églises désormais réformées mais aussi à la société tout entière. Rien n'échappera à cette fameuse grâce gratuite : le politique, le social, l'économique, le culturel...
Et nous sommes reconnaissants malgré les avatars honteux de l'intolérance, de ces audaces spirituelles qui ont changé la face de bien des pays.
Des pères fondateurs des États-Unis d'Amérique à Abraham Lincoln, en passant par Martin Luther King, de Jean-Sébastien Bach à Arthur Honnegger en passant par Haendel, de Rembrand à Van Gogh, d'Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge à Albert Schweitzer, sans parler de tous ceux qui se sont mis, chacun dans leur style au service de l'Évangile, célèbres ou anonymes.
Comme elle fut libre, Madame Palatine, la belle-soeur allemande de Louis XIV, une sorte de castafiore huguenote contrainte à l'abjuration de son protestantisme mais continuant à chanter, en pleines guerres de religion, quand elle s'imaginait seule, dans sa chambre, ou dans le parc du château de Versailles psaumes huguenots et chorals. "J'aime dira-t-elle, les chorals de Martin Luther, ils sont joyeux et donnent envie d'être chrétien".
L'on pourra regretter le manque de fantaisie et de spontanéité des pays protestants. Mais l'on ne peut pas tout avoir : "Peut-être d'ailleurs est- ce simplement lié aux climats ?
"Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres". Libres à l'égard des totalitarismes, des dictateurs en tous genres. Le mur de Berlin se serait-il écroulé sans la formidable pression de l'Église protestante dont nous savons, qui le lui reprocherait, qu'elle ne fut pas parfaite. L'esclavage des Noirs aurait-il été aboli sans l'incroyable résistance dans la foi de ces baptistes, si proche de l'ami Jésus, dont nous sentons toute la ferveur à travers les superbes négrospirituals.
Non, je n'ai pas honte du protestantisme. Ce fut pour moi un des plus jolis mots de la langue française. À chaque fois que je le lisais dans les journaux (chose assez rare en France), je sentais vibrer en moi une joie presque voluptueuse. Le protestantisme, illustration de l'Évangile dans sa simplicité, a toujours évoqué la liberté audacieuse dans tous les domaines de la vie. Hélas, en cette époque hyper médiatisée, nous sommes infiniment discrets.
Sans jouer les stars, ce serait de l'indécence, nous avons à attirer tant et tant de gens désemparés, désillusionnés, gavés et dégoûtés de tout. Non pour grossir les statistiques, mais pour leur transmettre la grâce et la liberté divine du courage de vivre. Et ce ne sont pas les occasions qui manquent. En cette fin du XXe siècle, nous sommes devenus des numéros, des marionnettes. Manipulés par les médias, pas seulement les feuilles de choux qui nous racontent en long et en large la vie privée de quelques-uns sous un angle croustillant. Manipulés par la sur-information axée sur les catastrophes en tous genres. Frères et soeurs, sortez vos mouchoirs, va y avoir du spectacle ! Guerres, famines, crimes, quelle angoisse !
La liberté divine nous invite à réfléchir et à penser, à sélectionner l'essentiel. Et par là même à montrer notre vraie solidarité au proche comme au loin.
La Chaîne du Bonheur, très bien, mais une voisine du dessous toujours seule, y ai-je pensé ? Mon enfant révolté, ai-je pris le temps de l'écouter ?
Le protestantisme qui puise sa source dans la simplicité évangélique encourage à la responsabilité individuelle et collective. Or, aujourd'hui, en ces temps d'incertitude, l'on aime les paroles abruptes et raides. Du genre "Je pense pour vous".
La liberté divine invite chacun à réfléchir aux problèmes de son temps sans devenir des maniaques de la protestation, car il y a un conformisme du non-conformisme.
Que de défis nous attendent ! Et il est vrai que nous aurions des raisons d'avoir peur. Face à la montée de l'intolérance, du gaspillage, du règne de l'argent et des choses (plus on a, plus on veut), des injustices en tous genres, face à tout cela, il y aurait de quoi baisser les bras.
Jésus le savait bien, ce monde étrange et beau à la fois qui est notre quotidien. C'est pourquoi il s'est adressé et aux foules et au coeur de chacun afin de faire jaillir le courage et la confiance si nécessaires.
Van Gogh, dont on a dit tant de bêtises, si profondément attaché au message évangélique, a pu écrire à son frère Théo : "Jésus est le plus grand des artistes, il n'a rien écrit, rien dessiné, rien sculpté, mais il a relevé des hommes et des femmes abattus et leur a fait retrouver la dignité".
Avouons-le, qui que nous soyons, nous ne sommes pas toujours fiers de nos paroles, de nos actions. Nos regrets sont parfois lourds. Et pourtant quelque chose en nous fait briller notre coeur pour des moments vrais de générosité. Comme nous aimerions dire chaque matin en ouvrant nos volets, qu'il fasse beau ou qu'il pleuve : "Y a de la joie, toujours joyeux les hirondelles".
Et quand nous le pouvons, quel délice, quel régal, tout nous paraît beau et souriant ! Mais, nous chancelons souvent vite désemparés et perdus, regardant où aller.
Toi l'ami dans ta chambre d'hôpital, face à la souffrance et à l'isolement. Toi l'ami, seul chez toi, incompris de tes proches et plein d'amertumes. Toi l'ami inquiet pour ton avenir. Pour nous tous, quel sens donner à notre vie, quel souffle nouveau pour la redynamiser.
Ah, si nous avions des recettes miracles, des baguettes magiques ! Des solutions toutes faites !
"Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres". À quoi me sert-il d'être libre si je souffre, si je suis désespéré. En ce jour de la Réformation, comme nous aimerions que ces mots forcément maladroits ne ressortent pas du langage ecclésiastique, étriqué et dogmatique ! Comme nous aimerions retrouver la fraîcheur des paroles de Jésus ! Pour cela soyons libres de laisser sur la route tout ce qui nous pèse, nous charge, nous alourdit : les rancoeurs, les remords, les mauvaises consciences, les peurs, les révoltes.
Derrière ces brumes intérieures qui nous empêchent d'y voir clair brille le soleil éclatant et éternel de la paix intérieure. Pour cela, retrouvons l'intimité avec la présence divine comme l'ont expérimenté tant et tant d'êtres humains avides de vérité et d'authenticité.
Comme l'a vécu Martin Luther King, alors menacé par les fanatismes, désespéré de trouver une solution à ses propres défis, il s'en remit à son Seigneur, traversé de doutes et de peurs. Après une nuit à la fois douloureuse et bouleversante, il reçut la force de continuer et il put affirmer une conviction : "J'ai fait un rêve d'un monde de paix".
Les Églises devraient refléter cette force intérieure à travers une plus grande convivialité. Qu'on s'y sente accueilli avec amitié sans être écrasé. Qu'on y vive des moments de bonheur vrai d'avoir pu échanger, dialoguer et écouter l'autre dans sa différence. Qu'on puisse s'enrichir par un regard toujours neuf des textes bibliques parfois rafraîchissants, parfois bousculant comme le vent, don on ne sait ni d'où il vient ni d'où il va.
Ah ! Si les Églises pouvaient se réformer encore et toujours en encourageant la créativité de la vie. Trop souvent, nous sommes figés, sûrs de nous, prisonniers de nos conventions, de nos habitudes. Nous nous croyons même propriétaires de la Bible "Elle est à nous, faut pas y toucher". La Parole de Dieu ne se laisse pas enfermer par nos prétentions et nos croyances. Laissons la vivre !
Chers amis, chers frères et soeurs, relevons la tête, apprenons à être curieux de nous et du monde. Comme il nous est nécessaire de faire encore et toujours le ménage, la poussière prend un malin plaisir à nous rencontrer, de même, comme Nicodème, renaissons chaque jour à la vie en nous, débarrassant de tant de poids. La grâce divine nous rendra plus légers et la liberté promise nous fera dire avec Jean Sébastien Bach dans son choral final de la Passion selon Saint-Jean : "J'espère en Toi, mon Dieu Sauveur, n'est-tu pas mon libérateur, qu'aurais-je donc à craindre ?"
Que ces mots soient pour chacun d'entre nous plus qu'une promesse, une certitude joyeuse et vraiment libératrice.
"Qu'aurais-je donc à craindre, n'es-tu pas mon libérateur ?"
Amen.
Pour que nous soyons réellement libres
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