Que feriez-vous si vous gagniez à la loterie? Que feriez-vous avec 3 millions de francs? La question est à peine posée que déjà mon imagination s'envole. Déjà des quantités de projets se bousculent dans ma tête. Je me mets à rêver.
3 millions de francs! Il y a tant de choses que je voudrais tout de suite acheter, pour améliorer mon ordinaire. Il y a des voyages que je voudrais faire. Et puis il faut penser à garder une partie de la somme en réserve -on est en Suisse, tout de même- ! Peut-être que j'aimerais faire des cadeaux, des dons. Je rêve, j'aime rêver. Utiliser une telle somme à mon gré. Etre totalement libre d'acheter, ou de donner, ou de garder cet argent. Je rêve, et j'aime rêver.
Ou, plus exactement, j'ai besoin de rêver. Le rêve est mon évasion, de plus en plus nécessaire.
Savez-vous que les mises dans les jeux de hasard ont fortement augmenté cette dernière année? Savez-vous que les jeux télévisés qui rapportent gros ont un succès toujours plus grand? Pas besoin de compétences extraordinaires, il suffit de faire tourner la roue, et vous avez peut-être gagné le million… Chance immédiate. Fortune fabuleuse. Et là, le rêve qui reprend.
Oui, j'ai besoin de rêver, et ce besoin est d'autant plus fort que la vie est plus difficile. Quand la vie me bouscule, quand j'ai l'impression de ne plus rien maîtriser, parce que je n'ai aucun contrôle sur les mécanismes qui régissent la société et mon existence. J'ai besoin de rêver. De m'imaginer ailleurs, autrement, tout de suite.
Quand la vie décidément nous empêtre, on se dit que seul un coup du sort peut changer quelque chose. Un retournement brusque de la situation. Le gros coup de chance. Gagner à la loterie, vous savez celle où "100% des gagnants auront tenté leur chance". Quand le hasard est roi, alors la chance devient un élément important. Alors je mise, et je rêve. Je rêve que peut-être un jour…
"Le Royaume des Cieux ressemble à un trésor caché dans un champ. Un homme découvre ce trésor et le cache de nouveau. Il est si joyeux qu'il va vendre tout ce qu'il possède et revient acheter ce champ".
En voilà un veinard! Quelle aubaine! Un coup de bol comme celui-là. Un quidam fait sa promenade du dimanche après-midi, il coupe à travers champs, et paf, il tombe sur un trésor.
Alors, est-ce que le Royaume de Dieu est un coup de chance? L'homme de la parabole en tout cas n'a rien fait de spécial, apparemment, pour découvrir ce trésor. Il lui tombe tout cuit dans la main. Cette parabole nous met-elle devant une théologie de la chance?
Et l'on se prend à penser que cet homme n'a sans doute pas mérité son trésor, que c'est de l'argent facile, un argent qui n'a pas été gagné à la sueur de son front.
Mais justement, il faut y réfléchir, à cet homme qui tombe par hasard sur un trésor. S'il n'y a aucun effort apparent de la part de l'homme, c'est que justement, le Royaume des cieux ne se gagne pas au prix d'efforts surhumains pour se hisser tant bien que mal vers Dieu.
Le Royaume de Dieu ne dépend pas de ma peine, de ma force personnelle, ou de mon mérite. Il n'est pas suspendu à l'énergie de celui qui irait retourner tout un champ ou passer des kilomètres de plage au détecteur de métaux pour découvrir un hypothétique trésor.
Au contraire, le Royaume de Dieu est là, enfoui, c'est-à-dire présent, mais dans une certaine discrétion. Dieu est déjà là; il est présent dans le champ de notre vie, et c'est la première Bonne Nouvelle. Sous le couvert de sa simplicité, c'est en fait une immense nouvelle.
Elle paraît presque banale. Et pourtant, est-ce que nous réalisons vraiment ce que cela implique? Est-ce que cela change quelque chose dans la manière dont nous comprenons notre vie?
Bien souvent nous n'agissons pas comme des gens qui savent que le Royaume est présent, là, et qu'il germe au cœur de notre vie. Au contraire, nous nous comportons comme si Dieu était absent, et qu'il fallait l'appeler, le tirer de ses rêveries ou se le concilier par des méthodes variées.
Savoir que le Royaume de Dieu est là, enfoui dans le champ de notre vie, peut devenir pour nous la chose à la fois la plus simple et la plus extraordinaire si nous savons la saisir.
Nous ne sommes pas perdus, seuls à chercher dans le noir. Dieu est présent. Il est déjà là.
Seigneur, bien souvent tu ouvres la porte de nos prisons, et nous essayons encore d'en abattre les murs. Tu es là, au cœur du champ de notre vie, et nous nous agitons comme si tu étais au loin.
Et c'est là que tout change. Le Royaume de Dieu n'est pas une loterie dont ne profiteraient finalement que quelques chanceux. "Vous avez bien de la chance, Monsieur le pasteur, vous avez la foi. Mais moi…".
Le Royaume est là, comme un trésor encore secret, mais il est là. Si nous pouvions saisir ce que cette nouvelle a de bouleversant, nous changerions notre regard. La recherche de Dieu n'est pas un effort que nous devrions produire; c'est une réalité que nous pouvons laisser nous pénétrer et nous transformer.
"Vous ne me chercheriez pas si je ne vous avais déjà trouvé". Dieu nous a toujours déjà trouvés. Le Royaume est là.
Alors tout change. Au lieu d'essayer d'attraper, de saisir, de forcer la chance, je peux apprendre à recevoir. Au lieu de me crisper, je peux attendre dans la confiance. Au lieu de produire des efforts surhumains, je peux vivre l'accueil. Et là, c'est toute la vie avec Dieu qui change. C'est toute ma vie spirituelle qui est modifiée.
Je suis appelé à me mettre en état de trouver le trésor qui est là. Au début de son histoire, l'homme de la parabole est prêt à trouver le trésor, il est disponible pour le voir. Vis-à-vis de Dieu j'ai avant tout à me mettre dans une disposition de réceptivité et d'accueil. Ouvert, prêt à me laisser surprendre.
Sans cela, je peux passer à côté des choses les plus importantes de la vie sans y prendre garde. Je suis aveugle à Dieu, et je n'ai alors que peu de chances de le trouver.
La dimension de l'accueil est la base nécessaire à toute vie spirituelle. Il n'y a pas de jackpot dans le Royaume de Dieu, il n'y a pas de timbale à décrocher ou de roue de la Fortune à faire tourner.
Dans le Royaume, il n'est besoin que d'accueil, de réceptivité et d'écoute.
L'homme de la parabole, c'est-à-dire chacun d'entre nous, se met d'abord en état de trouver le trésor. Mais ensuite, sa découverte inattendue l'amène à l'action. Il fait un choix, il prend un risque: il achète le champ où se trouve le trésor.
Vous remarquez, l'homme ne peut pas obtenir le trésor s'il n'achète pas le champ avec. Comme si on ne pouvait pas trier, séparer le trésor et le champ.
Si l'on veut recevoir le trésor, il faut accepter le champ qui l'entoure. Le trésor n'est pas indépendant du champ. Il en fait partie comme le Royaume est intégré, indissociable de notre vie tout entière, de notre réalité avec tout ce qu'elle a de terrestre, ou de bourbeux.
Dans le rêve du million, on s'envolait hors de la réalité, parce qu'on a un si grand besoin de la fuir. Ici, le Royaume ne nous fait pas sortir de notre réalité, au contraire, il nous y ramène. Seulement, la présence de Dieu ainsi découverte transfigure notre vie, lui donne sa couleur.
Comme le trésor donne son prix à tout le champ, ainsi, la présence de Dieu donne sa valeur à toute notre existence. Je peux alors regarder ma vie d'un œil nouveau, en reconnaissant ce trésor qui y est enfoui. Et ma vie se découvre une valeur et devient porteuse de sens.
Seigneur, donne-moi de réaliser ta présence au cœur de ma vie.
Donne-moi de regarder toujours vers toi,
et de trouver en toi le sens profond de tout ce que j'entreprends.
Ta présence est mon trésor.
Amen.