La ville

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J'éprouve pour elles une immense fascination en même temps qu'un grand dégoût. Fascinantes, et terribles. Elles sont si belles, et grouillent d'une faune si inquiétante. Je suis à la fois attiré et repoussé par les villes.

Elles sont la concentration de tout le génie de l'homme, et elles reflètent si fortement sa misère et sa faiblesse. Elles fourmillent d'une activité intense, fruit du génie créateur de l'homme; mais elles crient au même moment son impuissance, sa solitude et sa crasse.

Passer un week-end ou quelques jours de vacances dans une ville peut être très stimulant, exaltant et excitant - et beaucoup de catalogues touristiques ne se privent pas de nous y inviter. Pour un petit séjour, nous sommes toujours partants. Mais pour y vivre, non merci.

Fascinantes et repoussantes, splendides et décadentes, les villes sont à l'image de leur créateur, l'homme, c'est-à-dire nous. La ville est le symbole par excellence de notre créativité, de notre culture, et de notre besoin de vivre ensemble, de former une communauté attelée au même projet : la poursuite de la vie humaine.
Mais la vie est aussi la marque de nos échecs, de nos appétits de pouvoir, de nos goûts de grandeur; elle est la triste preuve de notre incapacité à intégrer chacun, avec le terrible cortège des exclus qui s'ensuivent. Les villes sont ainsi devenues le portrait, terrible et fascinant, de notre propre humanité. Elles nous tendent un miroir où se révèlent à la fois notre démesure et notre petitesse, un miroir parfois difficile à regarder.
Cette image si contrastée nous repousse et nous effraie. Ah, fuir la ville pour rejoindre la verte nature, retrouver le calme, se mettre enfin au vert. Echapper à la pollution, à la saleté et au bruit pour se retrouver dans la paix idyllique de la nature.

C'est un désir si universellement répandu qu'un humoriste a pu proposer un jour, pour contenter tout le monde, de mettre les villes à la campagne.
Et l'on se prend à rêver d'un véritable retour à la nature. Il y a quelque chose de très fort dans ce désir de se retrouver plus proche de la création. Comme si l'homme n'avait fait que gâcher la création bonne de Dieu. Comme si nous ne pouvions considérer qu'avec un certain dégoût ce que nous avons fait de cette création.

L'homme a honte de l'homme pour beaucoup de choses. Et la ville en particulier représente comme la concentration de tout ce que l'homme a pu rater ou mal accomplir. Quitter les villes, c'est aussi fuir les conséquences maléfiques de notre propre ouvrage.

Nous avons souvent une idée bien médiocre des capacités de l'humanité en matière de conservation de la création de Dieu. Mais, heureusement pour nous, Dieu n'est pas comme nous. Dieu n'a pas honte de l'homme, il ne désespère pas de ses ouvrages. Je vous en donne une preuve : si la Bible commence dans un jardin, au sein de la nature primordiale de Dieu, elle se termine dans une ville, avec l'Apocalypse. Le paradis des débuts, c'est le jardin, la nature; mais le paradis de la fin, le Royaume de Dieu, sera une ville.

Et une ville véritable, de vastes dimensions, avec ses portes et ses murailles. Une ville formée sur le modèle de celles de l'homme, de celle de Caïn, Caïn qui fut le premier à bâtir une ville, juste après le meurtre d'Abel.

Dieu, à la fin des temps, ne revient pas restaurer le jardin du départ, mais il tient compte du travail de l'homme, de toute l'histoire de la civilisation. Il conserve le modèle de la construction humaine. Je trouve très important de penser que Dieu ne fait pas simplement table rase de tout ce que j'aurai fait.
Dieu va garder en quelque sorte le meilleur de ce que j'aurai projeté et tenté. Il ne va pas rayer nos inventions de la carte, au nom des tristes erreurs qui s'ensuivent le plus souvent, mais il les accueille dans son projet.

Dieu ne construit pas son Royaume tout seul, enfermé dans son laboratoire, mais il tient compte des essais, des erreurs, des espoirs et des besoins de l'homme.
Dieu ne va pas venir simplement effacer à la fin des temps ce que nous aurons fait, pour nous réinstaller enfin dans ce paradis que nous n'aurions jamais dû quitter - et qu'il avait de toute façon prévu de nous donner de toute éternité.

Le lieu de la fin du monde sera un lieu de Dieu, bien sûr, mais il portera aussi l'empreinte de la façon de faire propre à l'homme, Je ne crois pas que Dieu fuirait nos villes pour s'échapper dans la nature le week-end. Je ne crois pas que Dieu se tient loin de nos bas quartiers, ou du Letten de Zürich...

De me savoir ainsi accueilli et respecté par Dieu dans mes projets de vie, m'encourage à oser être pleinement moi-même devant lui. Et je trouve cela très libérant, très soulageant de penser que Dieu tient compte de ce que je suis, de ce que je peux créer et accomplir.

Comme le disait un certain rabbin, à la fin du monde, Dieu ne me demandera pas "Pourquoi n'as-tu pas été tel ou tel illustre personnage ou modèle de la foi ?" Il me demandera : "Pourquoi n'as-tu pas été toi-même ?".

C'est l'enjeu de toute une vie. C'est aussi en particulier celui du catéchisme, qui vous est proposé à un âge où tout en vous, les jeunes, se construit. Le catéchisme vient à ce moment où vous êtes en train de chercher votre indépendance, et de vous éveiller à votre individualité.

Vous êtes à un âge où tout se construit et où vous vous trouvez comme en train de bâtir votre propre ville, celle qui portera votre marque, que ce soit sous la forme d'une plaque de bronze ou sous celle d'un graffiti. Une cité à votre image.

Faire de votre catéchisme un de ces lieux de construction et de découverte de soi est nécessaire et important pour votre vie. Car au fond, le projet de Dieu pour l'homme, c'est que chacun puisse devenir pleinement lui-même, et vivre une vie de plénitude.

A l'image de la construction d'une ville, je suis appelé à bâtir, c'est-à-dire à me construire et m'insérer dans la communauté des hommes. Devant Dieu, je peux tirer mes plans, choisir mes matériaux, innover et faire grandir l'héritage que j'ai reçu. C'est un peu tout cela, donner un sens à sa vie.

Et dans la foi, je sais maintenant que tout cela ne sera pas balayé un jour comme on efface un brouillon ou un croquis mal fichu. Mais je sais que Dieu fera quelque chose de ce que je suis, et que son Royaume aura aussi un peu de ma couleur et de mon empreinte.

Dieu est à ce point proche de moi, qu'il m'accueille dans son projet, qu'il reçoit et accueille ce que je suis. Et la Jérusalem céleste aura un peu de ma couleur.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Roland Favez
Musique
Orchestre "Molécule"