Notre Père qui es aux cieux...

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« Les oiseaux volent, les poissons nagent et l'homme prie ». C'est ainsi que les pères de l'Eglise définissaient la nature humaine. Ils voulaient dire que derrière les fonctions, les tâches et les obligations diverses qui forment notre moi social, il y a un moi intime et profond qui se caractérise par la prière. Quelque chose en nous cherche à s'ouvrir à l'Essentiel.
Chaque jour, l'Oraison dominicale est priée dans toutes les langues de la terre par des chrétiens de toutes obédiences. Elle est la prière de tous et de chacun qui préfigure bien avant la Pentecôte le mystère de la communion de l'ensemble des chrétiens. L'Eglise universelle n'a cessé de s'en nourrir à travers les siècles. Il peut arriver cependant que la familiarité nuise à la compréhension. Le risque de la récitation machinale n'est pas exclu. Ne perdons jamais de vue que cette prière s'adresse précisément à notre moi intime et profond, et que donc elle appelle de notre part un effort de compréhension. Jésus l'a voulu ainsi :"Voici comment vous devez prier..." N'est-ce pas souligner que chaque terme a son importance ? Aussi je vous propose de méditer pas à pas l'invocation de l'Oraison dominicale : "Notre Père qui es aux cieux..."

Dieu est. Le fait premier relatif à Dieu, c'est le fait qu'Il soit. "Je suis Celui qui est": la révélation faite à Moise dans l'épisode célèbre du buisson ardent est le point de départ de l'aventure d'Israël. Israël a découvert - à moins qu'il n'ait été découvert par lui, comme on voudra, l'Etre qui fait être toute chose et qui en même temps les dépasse toutes, l'Etre qui est la racine de ce qui existe et qui détient le secret de l'Univers, la vie de tout ce qui vit, l'esprit de toute âme. Dieu est. Cette réalité est indépendante de mon moi, de ma volonté, de mon imagination et même de mes croyances. Certes il arrive souvent que je perde Dieu, que je doute de son existence et de sa présence. Il m'arrive de me demander si je m'illusione. Mon moi profond peut se fermer à la réalité de Dieu : nous connaissons tous ces moments-là. Mais ce sont de tristes moments qui passent. Car fermer les yeux n'a jamais éteint le soleil. Même caché par les nuages, il est.

Une prière juive du matin dit ceci :
Je suis Celui qui était avant que le monde soit - Je suis Celui qui est pendant que le monde est - Je suis Celui qui sera après que le monde ait été.

Dieu est : cela ne se prouve pas mais s'éprouve. C'est de l'ordre de l'apocalypse (=dévoilement) intérieur qui a touché Moïse. Somme toute, c'est une excellente nouvelle : au coeur de votre existence se tient une Présence illuminative. Il s'agit de vous laisser toucher par elle.

Dieu est. Mais qu'est-il ? Il est nôtre : notre Père. D'emblée nous voilà avertis : la question de Dieu concerne chacun intimement. Elle est notre question sur le chemin de la vie. Nul n'y échappe, quelles que soient les réponses qu'on essaie d'y apporter. Les réponses sont légion : croyantes, agnostiques, athées. Remarquez que ce sont toujours des façons de prendre position par rapport à la question. Personne ne peut s'y soustraire. Même l'indifférence - le pire ennemi de la spiritualité - est au fond une tactique d'évitement - donc une reconnaissance "à l'envers". Ne dit-on pas : ignorer ostensiblement ? Maître Eckhart, le grand prédicateur médiéval, note avec pénétration : "même quand tu blasphèmes tu loues Dieu !" Le paradoxe n'est qu'apparent : n'est-il pas vrai qu'on rejette avec d'autant plus de force ce qui vous touche de près ? N'est-il pas vrai que la haine peut être de l'amour "à l'envers"? On n'a jamais fini de s'expliquer avec l'Ultime ! Certainement, si nous avions le temps de débusquer tous les malentendus s'apercevrait-on que les athées authentiques sont rarissimes : il y a surtout des croyants malheureux... Dieu est notre question sur le chemin de la vie. Une question est aussi une direction dans laquelle on doit avancer : la direction de l'Eveil. S'éveiller à la présence de Dieu en soi et en toute chose, voilà ce qui fait le sens de la vie, que Jésus appelle naître d'En Haut... Seul cet éveil personnel peut apporter un peu de plénitude et de paix dans nos existences troublées, blessées, si souvent délabrées et pitoyables.

Dieu est notre Père. Image délicate à manier que celle de Dieu en tant que Père ! Inconsciemment nous avons tendance à projeter sur Dieu nos expériences, positives ou négatives, de la paternité humaine. Du père Fouettard au bon-papa-gâteau en passant par toutes les variantes imaginables, notre relation à Dieu s'imprègne d'une sensibilité héritée de notre enfance dès lors que nous L'appelons : notre Père. Il faut déblayer avec soin !

Dieu est Père en ce sens qu'Il est mon Origine. Quelque chose de son être est en nous. L'astrophysicien Hubert Reeves estime que nous sommes de la "poussière d'étoiles". Tant au plan matériel que spirituel, nous sommes des enfants de l'Univers. Cela rejoint ce que la Bible dit de notre Origine. On peut en effet proposer deux étymologies du nom ADAM , l'ancêtre primordial selon la Genèse. La première rapproche ADAM du mot ADAMA, terre : l'homme est tiré de la terre à laquelle il retournera à sa mort. La seconde rapproche ADAM d'une expression hébraïque signifiant: je ressemble au Très-Haut.
Il y a donc deux niveaux de paternité. Le premier nous transmet la vie biologique par le père qui est sur la terre; le second dépend du Père qui est aux cieux. De même que nous portons la marque de notre filiation biologique (on ressemble forcément à ses parents), nous portons également l'étincelle d'Infini d'où nous venons et où nous allons: Dieu a mis dans le coeur de l'homme la pensée de l'Eternité (Qo 3: 10).
Nous sommes appelés dès ici-bas à devenir un avec ce qui nous fait être, à entrer dans une relation d'intimité avec la source de l'Etre. N'est-ce pas l'urgence, dans une société dont le rythme effréné nous déconnecte et nous disperse psychiquement ?

Dieu est notre Père. Mais où se tient-il ? Où le rencontrer ? L'Oraison dominicale répond : aux cieux. Là encore c'est une image. Les Anciens n'étaient pas des naïfs : les cieux dont il s'agit ne désignent pas un espace physique mais un mode de la conscience. Prenons conscience qu'à l'image du ciel, qui commence à portée de ma main pour fuir vers l'infini, Dieu est à la fois lointain et prochain, insaisissable et intime, transcendant et immanent, extérieur et intérieur, présent et absent. Ces constrastes, violents voire douloureux parfois, font la respiration de notre vie spirituelle. Dieu se cache et se révèle alternativement, c'est pourquoi le doute aussi bien que la foi appartiennent à une vie riche en Dieu.
Prenons conscience qu'à l'image du ciel, qui commence à portée de ma main pour fuir vers l'infini, Dieu est à la fois lointain et prochain, insaisissable et intime, transcendant et immanent, extérieur et intérieur, présent et absent. Ces contrastes, violents voire douloureux parfois, font la respiration de notre vie spirituelle. Dieu se cache et se révèle alternativement, c'est pourquoi le doute aussi bien que la foi appartiennent à une vie riche en Dieu. Prenons conscience également que les cieux expriment notre propre profondeur. Angélus Silésius, sommet de la mystique chrétienne occidentale, s'exclame : "Arrête, où cours-tu ? Le ciel est en toi. Ne cherche pas Dieu ailleurs." Dieu parle et se révèle dans ton ciel intérieur. Ecoute la voix du Dieu intime au point précis où tu trouves ton origine en Lui...
"Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret". Jésus pouvait-il mieux indiquer qu'il se trouve, dans notre intériorité, une source jaillissante, gratuite, illimitée qui nous relie à l'origine divine ? Une fois les besoins matériels satisfaits surgissent les besoins plus profonds. Et l'aventure humaine tout entière pourrait se résumer à l'impératif suivant : reviens à la source et deviens celui que tu dois être.
Notre Père qui es aux cieux...
Cette prière est toujours jeune, toujours actuelle. Pourquoi ? Parce qu'elle est le meilleur remède à l'angoisse qui nous étreint, nous autres habitants de la poussière.

Il y a un art de la foi comme il y a un art de vivre. L'art de la foi consiste à trouver le Passage (la Pâque), au-delà de ce qui nous terrifie : la souffrance, l'absurde, la solitude, la mort... L'art de la foi est la force d'une confiance en une Sagesse mystérieuse qui donne son sens à toute chose, même à celle qui à nos yeux n'en a pas.

Aussi joindrons-nous nos voix à ce qui fait immédiatement suite à l'invocation que je viens de méditer en votre compagnie : « Que ton nom soit sanctifié ! » C'est à dire : que soit reconnu, su de tous et sans retard, ce que tu es !

N'oublions pas à notre tour de l'entendre, car c'est la meilleure chose qu'on puisse faire au cours de notre pauvre vie, cette vie qui s'efface comme un songe et qui, pourtant, par son accomplissement, peut s'ouvrir sur ce qui est éternel.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Desbaillet
Musique
Les Petits Chanteurs de la Cathédrale St Pierre, dir. Pierre Favre-Bulle