Où est Dieu ? Que fait Dieu ? Cette question, frères et soeurs, nous l'avons beaucoup entendue ces derniers temps, mais c'est aussi une vieille question qui traverse la vie des hommes aux prises avec le malheur.
Ainsi avant-hier, un quotidien de Suisse romande racontait le voyage de gymnasiens de la Côte Vaudoise en Alsace, plus particulièrement au Struthof, un camp de concentration. "Après ça, comment peut-on encore croire en Dieu", demandait l'un d'eux ? Et puis il y a la Bosnie; l'immense détresse des populations touchées par la catastrophe de Tchernobyl, qui visitent leurs maisons abandonnées et enterrent leurs enfants. Ils ont pris les radiations de plein fouet; on ne leur avait rien dit. Il y a dans nos vies personnelles, dans la vie du monde, de ces moments où l'on se demande : où est Dieu ? Que fait Dieu ? Je pensais à cela, durant la semaine qui vient de s'écouler, alors que je me replongeais dans la parabole des talents, en vue de notre rencontre de ce matin.
Je sens que certains pourraient avoir envie de m'arrêter tout de suite. "Ah, elle est belle l'image de Dieu dans la parabole des talents! D'abord un, c'est injuste! Le premier serviteur reçoit cinq talents, le deuxième seulement deux et le troisième un. Pourquoi ces différences ? Ensuite, que faites-vous de la fin de l'histoire ? De ce pauvre homme à qui on ôte même ce qu'il a et qui est jeté dehors dans la nuit, dans les larmes et les grincements de dents ? Belle image de Dieu en vérité... image d'injustice et de dureté".
Je sais bien, frères et soeurs, que d'aucuns parmi vous pensent ainsi, et c'est bien pourquoi j'ai envie ce matin de vous prendre par la main et de vous ramener vers cette parabole. Il vaut mieux revenir à certains textes bibliques qu'en être trop vite revenus.
Savez-vous ce que représente un talent ? Petit problème mathématique : sachant qu'un talent égale 6'000 deniers; sachant qu'un denier représente le salaire journalier d'un ouvrier; pendant combien de temps peut-on payer un ouvrier avec un talent ? Réponse, légèrement arrondie à la hausse, 17 ans.
Voilà une première image. L'homme, le maître de maison, qui part en voyage et confie ses biens à ses serviteurs, place en eux une confiance immense, totale, illimitée. Il leur confie des sommes énormes, démesurées. Autre chose maintenant : la différence dans l'octroi des talents; à l'un cinq, à l'autre deux, au troisième un talent. Etes-vous bien sûrs qu'il s'agisse là d'une injustice ? Je pense à la réflexion d'un écolier qui disait : "La maîtresse croit qu'elle est juste avec nous, parce qu'elle nous traite tous de la même manière!" Mais tous ceux qui travaillent avec des enfants, à l'école, dans des groupes de toutes sortes, savent bien qu'il n'est pas juste de traiter chaque enfant de la même manière. C'est vrai aussi dans la famille, et ce n'est pas vérifié qu'avec les seuls enfants. Les relations humaines montrent que l'un a besoin qu'on lui consacre beaucoup de temps et d'attention; un autre en aura moins besoin. Tel devra être encouragé pour qu'il prenne confiance en lui, en ses moyens; tel autre, plus assuré, apprendra comment faire bénéficier des camarades de ses compétences. Ce n'est pas vrai que, dans les relations humaines, tout le monde est traité de la même manière. Faire vraiment attention aux autres engage aussi à adapter sa manière d'être, en fonction des attentes et des caractéristiques de l'autre. Ces différences ne sont pas injustes, elles signifient une attention à l'autre. Le maître de la parabole fait exactement cela. Nous sommes si pressés de crier l'injustice qu'il y a un membre de phrase que nous manquons souvent : à l'un cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités. Ce n'est pas de l'injustice, c'est de la délicatesse. D'abord la confiance, ensuite la délicatesse.
Là où nous étions prêts à partir en guerre contre un Dieu injuste et arbitraire, nous rencontrons Dieu qui nous environne de grâce. Les sommes confiées, même à celui qui n'a qu'un talent, sont tellement grandes, qu'elles sont à l'image de l'amour infini de Dieu qui nous est donné en Jésus-Christ. Cet amour fait de nous des amis de Dieu, des intimes de Dieu, comme ça, gratuitement, sans que nous l'ayons mérité de quelque façon que ce soit.
Les deux premiers serviteurs, aussitôt, font fructifier leurs talents et ils doublent la somme remise. Ils font quelque chose de ce qu'ils ont reçu. Ils ont saisi que la confiance, l'attente, l'espérance, de leur maître étaient qu'ils prennent leurs responsabilités, qu'ils fassent preuve d'initiative, qu'ils se conduisent en hommes libres, responsables. Quand le maître rentre de son long voyage, pour régler ses comptes, il accueille les deux serviteurs avec exactement les mêmes mots: "C'est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai; viens te réjouir avec ton maître". Il dit les mêmes choses à l'un et à l'autre, ce qui montre bien que l'important ne réside pas dans le nombre de talents, mais dans ce que nous en faisons.
Le troisième serviteur creuse un trou dans la terre et il enfouit son talent, qu'il rendra intact à son maître. S'il ne s'était agi que de conserver l'argent, pour ensuite le rendre intact, aucun reproche n'aurait pu lui être fait. Enterrer de l'argent, en ce temps-là, vous déchargeait de votre responsabilité, en cas de vol. Pour préserver, il était adéquat dans son comportement. Mais voilà, comme l'a écrit quelqu'un, il a tué l'espoir que le maître avait mis en lui. Il n'a rien fait de faux. Il était propre en ordre. Mais, timoré, il n'a pas pris de risques. Il n'a pas engagé sa responsabilité, son initiative, sa liberté. Il a eu peur et il s'est enfermé dans une mentalité d'esclave qui fait juste ce qu'on lui dit. Alors que la confiance du maître, si vaste, si généreuse, fait de nous des partenaires appelés;- c'est une vocation - à répondre à tant d'amour par des gestes d'amour et des initiatives pour les autres.
Aviez-vous déjà réalisé, frères et soeurs que Dieu espère en nous, au moins autant que nous espérons en lui ? Il compte sur nous. Il a besoin de nous.
J'ai un faible pour une histoire de Raymond Devos. Il entre dans une église et il voit Dieu qui prie. Il entend Dieu qui dit :
"Oh! homme, si tu existes, un signe de toi !"
J'ai dit :"Mon Dieu, je suis là".
Il m'a dit :"Miracle ! Une humaine apparition !"
J'ai dit: "Mais mon Dieu, comment pouvez-vous douter de l'homme puisque c'est vous qui l'avez créé ?"
Il m'a dit :"Oui, mais il y a si longtemps que je n'en ai pas vu un dans mon église, je me demandais si ça n'était pas une vue de l'esprit".
J'ai dit :"Vous voilà rassuré, mon Dieu".
Il m'a dit :"Oui, je vais pouvoir leur dire là-haut:
L'homme existe, je l'ai rencontré".
Où est Dieu ? Que fait Dieu ?
Je pense qu'à bien des moments, Dieu doit se dire :"Où est l'homme ? Que fait l'homme ? Quand il voit la vie et le monde comme nous les faisons.
Dieu nourrit l'espérance de trouver sur la terre des hommes et des femmes qui répondent à son amour par des gestes d'amitié et d'amour, offerts à d'autres; des hommes et des femmes qui n'aient pas peur d'imaginer des chemins de solidarité pour aller à la rencontre et tendre une main amie, donner d'eux-mêmes, à ceux et celles qui en ont besoin.
Bien sûr, il y a la fin de la parabole, ce 3e serviteur jeté dehors. C'est une manière de dire que la grâce de Dieu, nous ne pouvons pas l'enfouir en nous-mêmes et en jouir tout seuls, pour nous-mêmes. Faire porter des fruits à la grâce de Dieu n'est pas à bien plaire et Dieu nous interroge là-dessus. Il nous attend... pas au contour... mais il espère en nous. Cela ne devrait pas nous faire peur. Le Christ ne nous appelle pas à une morale héroïque... Chacun selon ses capacités... Ce qui est grave aux yeux de Dieu, c'est de ne rien faire du tout.
Où est Dieu, que fait Dieu ? La question reste, comme un mystère dont nous ne tenons pas toutes les clés. Aujourd'hui, je nous invite à écouter la question qui brûle au coeur de Dieu... Où sont les hommes et les femmes ? Que font-ils ? Je nous invite à écouter l'espérance de Dieu de voir se lever, toujours à nouveau, des hommes et des femmes qui soient des signes encourageants sur le chemin des autres. Nous ne comprenons pas tout. Beaucoup de questions sur le pourquoi des choses restent non résolues. Mais nous pouvons entendre le Christ nous glisser à l'oreille : "Chaque fois que vous avez fait cela, - visiter, écouter, secourir, nourrir, étancher une soif -, chaque fois que vous avez fait cela à l'un de ces plus petits qui sont mes frères, mes soeurs, c'est à moi que vous l'avez fait".
Amen.