Qui est mon voisin ?

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Chers sœurs et frères,

Aujourd’hui, dans la paroisse Saint-Jean, c’est le dimanche des amis et des voisins. Deux fois par an, les paroissiens sont invités à proposer à un voisin, à une connaissance, à un ami, une amie de participer au culte avec eux. L’intention n’est pas de faire du racolage ou de battre des records de participation au culte pour figurer dans le livre des records.
Ce qui est en jeu, c’est de multiplier des gestes d’ouverture et d’accueil; c’est d’inviter au partage; c’est de se rappeler que l’Eglise et les croyants sont envoyés par le Christ à la rencontre du prochain, du voisin, des autres. Pas deux jours par année, mais tous les jours.
Je pense à vous qui nous écoutez à la radio, ou peut-être sur Internet quelque part dans le monde. Et je me demande ce que vous pensez de ce dimanche des amis et des voisins, de cette idée ? Certains d’entre vous se disent qu’ils n’auraient pas du tout envie qu’on vienne les inviter. Vous vivez votre foi sans ressentir le besoin d’être relié à une communauté. Vous avez votre vie spirituelle personnelle, vous écoutez le culte ou la messe à la radio. Je comprends. Vous êtes nombreux ainsi.
D’autres se réjouissent d’être en contact avec une communauté. Vous goûtez la saveur d’une visite, d’un téléphone. Si vous le pouvez, vous aimez sortir de chez vous pour rencontrer des frères et des sœurs en la foi.
Et il y a celles et ceux qui aimeraient bien que l’Eglise, les pasteurs, les prêtres, les croyants viennent plus souvent à eux. Vous n’êtes pas faciles à repérer, mais je pense que vous aussi vous êtes nombreux. La maladie ou l’âge vous tiennent à la maison et personne ne vient. Pour toutes sortes de raisons propres à votre vie, une distance s’est creusée entre vous et l’Eglise, entre vous et votre paroisse. Des fois à la suite de maladresses de l’Eglise ou de malentendus. Il y a de la souffrance en vous, parfois de la colère. Je comprends.

Ce matin, nous sommes ensemble, gens de tous les horizons, communauté rassemblée dans cette église Saint-Jean. Rassemblés pour que l’Evangile nous prenne à témoin et nous interpelle. Un spécialiste de la Loi de Dieu vient de dire à Jésus que la Loi se récapitule ainsi: aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même.
Soucieux de bien faire, le légiste franchit un pas de plus et il demande: qui est mon prochain ? C’est qui cet autre que je suis appelé à aimer? Les autres, il y en a beaucoup, beaucoup trop si on y pense. Il faut bien choisir. Alors qui est mon prochain?

Un homme descendait de la Cathédrale de Lausanne en direction du lac. Dans un passage sombre il tomba sur une bande de voyous qui, l’ayant tabassé, délesté de son porte-monnaie, de ses cartes de crédit, le laissèrent sur le trottoir, inconscient. Passe un homme, ce devait être un pasteur, un peu froussard. Il se dit: si je m’arrête, qu’est-ce qui va m’arriver? Et si les agresseurs étaient cachés aux alentours? Il passe tout droit. Une autre personne survient et se livre au même manège. Arrive alors un étranger de passage. Par la fenêtre de sa voiture, il voit la scène. Il est pris aux tripes. Lui se pose une autre question : si je ne m’arrête pas, qu’est-ce qui va arriver à cet homme? Il descend de la voiture, essuie quelques traces de sang sur le visage du blessé, l’embarque et le conduit dans une permanence. Après quoi, il mène l’homme dans un petit hôtel de sa connaissance. Il paie le montant de la nuit et s’en va. Non sans avoir dit à l’hôtelier que si une nuit supplémentaire était nécessaire, il repasserait plus tard, c’était un habitué du lieu, pour régler le solde. Comme cela le blessé n’aurait aucune obligation.
Jésus se tourne alors vers le spécialiste de la Loi et lui demande: Lequel des trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme qui était tombé sur les voyous ?

Vous savez, chères amies, chers amis, il est un art dans lequel Jésus est passé maître, l’art du renversement, du retournement de perspective, l’art de convertir notre regard, de nous faire voir les choses autrement. Est-ce que vous avez bien écouté la question qu’il pose au légiste? Lequel des trois s'est montré le prochain de l'homme qui était tombé sur les voyous ? Non mais, attendez, finalement c’est qui le prochain dans cette histoire ? L’homme sur le chemin, sur le trottoir ou bien le Samaritain, l’étranger de passage?
Jésus dit bien : lequel des trois s'est montré le prochain ? Le doute n’est pas permis. Le prochain est le Samaritain, l’étranger de passage. Nous voilà obligés de changer notre regard. Le légiste, et nous avec souvent, aurait aimé que Jésus lui dise : ton prochain c’est celui qui a une vie convenable, qui te ressemble et qui est suisse; ton prochain c’est telle catégorie de gens, les autres tu peux les oublier; il aurait voulu une définition du prochain qui permette de le ranger sur une étagère comme on range des objets de collection ou comme on dresse un catalogue. Ah, si nous pouvions avoir un catalogue de prochains ... !
Eh bien non, dit Jésus, les choses ne vont pas comme cela. Le prochain est d’abord celui qui s’approche de l’autre, qui se rend proche de quelqu’un qui est là, qu’il n’a souvent pas choisi de côtoyer et qui a besoin de présence. Le prochain accepte de s’approcher suffisamment de l’autre pour entrer en relation, tendre la main, peut-être prendre la main de l’autre en toute délicatesse, offrir son écoute et ses soins, poser une main sur l’épaule de l’autre. On n’a pas des prochains, on se rend proches.

Comment ne pas voir derrière la figure de ce Samaritain son modèle, le Christ ? Visage attentionné tourné vers nous, proximité de tendresse, amour sans limite pour chacune et chacun de nous, l’amour même du Père.
Parfois dans les Eglises, la tendance est aux lamentations: les gens prennent de la distance, les gens viennent de moins en moins, où est la relève, où sont les jeunes ? Ce qui fait problème n’est pas le constat. Le constat, il est là. Ce qui ne va pas c’est de se lamenter. Ce que le Christ nous dit à travers cette parabole, c’est que si nous confessons lui appartenir, c’est à nous de réduire la distance, d’aller à la rencontre, de chercher le contact. On ne peut pas continuellement dire dans l’Eglise que les gens sont comme ceci ou comme cela, qu’autrefois c’était bien mieux, quand nous avons un Seigneur qui lui est déjà proche de chacune et chacun, qui nous dit : Va et, toi aussi, fais de même.

D’où le dimanche des amis et des voisins. J’ai fait un rêve. Il n’a pas l’ampleur de celui de Martin Luther King, mais quand même. A l’école du Christ, je rêve de retournement de perspective, de changement de regard. Et j’en vois déjà des signes. Que dans notre paroisse, toujours mieux, l’accent porte sur la rencontre, sur l’approche de l’autre, sur la méditation, la rumination et la mise en pratique de ce petit mot : Va ! Que nous sachions résister à l’idée que toujours c’est aux autres de venir.
Que dans la population, celles et ceux qui se sentent abandonnés par la paroisse, par les Eglises, trouvent le courage (il en faut, je le sais) et les moyens de le faire savoir: je vous attends ! Par un message transmis à quelqu’un, un téléphone pour dire, je vous attends ! Tous, ensemble, dans le souffle de l’Esprit, nous pouvons aspirer à ces retournements qui font bouger les choses.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Robert Swizgebel
Musique
Marc Leroy (cor), Pierre Leroy (marimba), Matthias Seidel (basse)