Dieu : singulier, pluriel ?

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Lorsqu'un enfant naît dans une famille, surtout si c'est le premier, un rééquilibrage de la vie de famille doit se faire. Lorsque deux personnes se marient, un rééquilibrage doit se faire entre elles et aussi avec leurs familles respectives. Lorsque quelqu'un arrive à la retraite, il y a également un rééquilibrage à réaliser aussi bien pour lui-même que pour son conjoint. Après Pentecôte aussi, un rééquilibrage est nécessaire, non pas en Dieu lui-même bien sûr, mais chez les croyants. La venue de Jésus-Christ, puis le don du Saint-Esprit ont apporté tant d'éléments nouveaux qu'il fallait aussi que les croyants opèrent un rééquilibrage dans leur compréhension de Dieu et dans leur foi. Pour mieux saisir cela, faisons un léger retour en arrière; prenons un peu de recul grâce aux deux courts extraits de l'évangile de Jean que nous venons d'entendre.

Le premier texte offre cette particularité d'être, à bien des égards, un parallèle du récit de la Pentecôte. Je m'explique. L'évangile ne parle évidemment pas de l'événement de Pentecôte; mais l'événement dont il parle - le baptême de Jésus - ne manque pas de ressemblances avec l'événement de Pentecôte. On y retrouve les mêmes personnages, s'il est permis d'utiliser ce terme, pour parler du Père, du Fils et du Saint-Esprit (cf. Actes 2, 33).

Lors du baptême de Jésus - ce n'est pas un hasard si cela se passe sur le seuil du Nouveau Testament - , Jean-Baptiste, comme prophète, a eu cette révélation exceptionnelle : il a vu le Fils en face de lui, il a entendu la voix du Père et il a aperçu l'Esprit-Saint descendant comme une colombe. Et il témoigne avec force de cette révélation. Dans les deux cas (baptême de Jésus et Pentecôte), il s'agit d'un moment charnière, d'une étape importante de l'histoire du salut des hommes: le baptême de Jésus, c'est le début de son ministère actif, c'est un pas décisif en direction de la croix; la venue du Saint-Esprit, c'est le début de la communauté chrétienne, c'est la possibilité offerte à chacun de vivre dans la foi au Dieu vivant. Et surtout, dans ces deux cas, Père, Fils et Saint-Esprit sont ensemble à l'oeuvre.

Tout au plus, peut-on déceler une différence en ce sens que lors du baptême de Jésus, l'accent est nettement mis sur le Fils, tandis que, lors de la Pentecôte, le Saint-Esprit est sur le devant de la scène. Avec, comme corollaire, une dimension plus objective de la révélation avec le Fils (incarnation, mort et résurrection) et une dimension plus subjective de cette révélation avec l'Esprit (il nous permet d'assimiler cette révélation et d'en vivre). C'est la différence que nous pouvons constater aussi entre la colombe et les langues de feu: Jésus a reçu l'Esprit en totalité (une colombe), alors qu'à Pentecôte, l'Esprit est réparti entre les croyants, chacun en recevant une part (plusieurs langues de feu).

L'autre extrait de l'évangile de Jean est d'une teneur bien différente: il s'agit de promesses que Jésus fait aux siens à la veille de sa mort. Et ces promesses ont précisément pour but de préparer la suite. Elles préparent non seulement l'événement de la Pentecôte proprement dit, mais aussi la vie des croyants et de la communauté chrétienne tout au long des siècles. Préparer l'événement est important, pour que les participants puissent s'y retrouver le moment voulu; c'est bien ce qui s'est passé le jour de Pentecôte et c'est grâce à la préparation reçue que Pierre et ses compagnons ont pu prendre la parole avec l'autorité et la compétence nécessaires. Préparer l'événement est aussi important pour que les croyants puissent comprendre ce qui s'est passé et puissent mieux connaître Dieu.

L'Esprit qui vient à la Pentecôte agit en relation étroite avec le Père et le Fils; il n'est pas un libre esprit, décroché de tout antécédent (contrairement à ce que pensent et affirment certains promoteurs religieux de notre époque). Au contraire, il s'agit toujours de cette même histoire du salut, dont témoigne toute la bible; je ne peux qu'y faire allusion ici. Dieu ne modifie pas sa manière de faire; il l'affine et la précise simplement.

Tout était déjà en germe dans l'Ancien Testament; et c'est avec le Nouveau Testament que la révélation de tout ce que Dieu est, nous est plus complètement donnée. Les paroles de Jésus soulignent la continuité qu'il y a donc entre l'oeuvre du Fils et celle du Saint-Esprit en particulier; ce que souligne déjà de manière très concrète la liaison étroite dans le calendrier entre Pâques et Pentecôte (Pentecôte n'est rien d'autre que le cinquantième jour après Pâques!).

Risquerai-je ici une image, celle d'un feu d'artifice qui débute par une fusée: elle monte haut dans le ciel obscur et y dessine un trait lumineux; puis elle s'élargit et s'épanouit en une pluie gracieuse. Comme toute image, celle-ci a ses limites. Ne me faites donc pas dire que Dieu serait aussi passager qu'un feu d'artifice, ni qu'il y aurait "éclatement" en lui et qu'il se diviserait en d'innombrables particules. Avec cette image, j'aimerais simplement souligner ce passage du singulier au pluriel, le déploiement de l'un, la richesse du Dieu que nous sommes invités à connaître, sa plénitude.

La manifestation du Saint-Esprit à Pentecôte oblige surtout à bien le situer par rapport au Père et au Fils, déjà mieux connus auparavant. Même si le témoignage biblique est complexe à nos yeux, il est remarquable. Et nous devons nous garder de l'appauvrir et de n'en retenir qu'une partie. Le Dieu qui se fait connaître à nous par la Bible n'est pas un dieu monolithique, monochrome, d'un seul bloc (ce serait mal comprendre l'insistance de l'Ancien Testament sur l'unicité de Dieu). Tout en étant unique, il est aussi divers. Tout en étant singulier, il est aussi pluriel (au sens de pluralité, et nullement de pluralisme).

La richesse des couleurs nous aidera peut-être à mieux comprendre; est-ce d'ailleurs un simple hasard si les couleurs de base sont au nombre de trois ? Père, Fils et Saint-Esprit se complètent admirablement et vivent une communion particulièrement étroite. Ils ne sont pas pour autant interchangeables: on ne peut dire : "L'Esprit a été fait chair", ni "le Fils a été répandu à Pentecôte." C'est ainsi que la création est plutôt le fait du Père, encore que le Fils et l'Esprit-Saint y participent; c'est ainsi que le salut, la réconciliation est le fait du Fils, encore que le Père et l'Esprit-Saint y contribuent; c'est ainsi que la rédemption est le fait de l'Esprit, encore que le Père et le Fils y aient aussi leur part. Ce qui signifie que nous ne recevons pas du Père exactement la même chose que du Fils ou de l'Eprit; pour simplifier, le Père, c'est Dieu au-dessus de nous; le Fils, c'est Dieu avec nous (Emmanuel) et l'Esprit, c'est Dieu en nous.

Le rôle particulier de l'Esprit dès la Pentecôe, c'est de valoriser, de monnayer l'oeuvre du Père et du Fils; et de nous en faire vivre; c'est lui qui nous apprend à prier, c'est lui qui nous permet de comprendre le Parole de Dieu, c'est lui qui nous donne le pardon et l'assurance du salut, c'est lui aussi qui nous donne la joie, la paix, l'amour.. (Gal. 5,22).

Parler du Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit n'est pas une tâche facile; notre raison bute sur ce mystère. Mais Dieu n'est pas une chose ou une idée qu'on pourrait aisément expliquer et comprendre. Nous serions plus grands que Dieu lui-même si nous le pouvions. Dieu est vivant; il est celui qui nous rencontre, qui nous aime et que nous pouvons aimer. Je suis intentionnellement parti de quelques passages bibliques, pour montrer que c'est moins une question de compréhension intellectuelle et de spéculation, qu'une question de foi et de vie à l'écoute de la Parole de Dieu.

Je pense en particulier qu'il est essentiel à notre époque - traversée, dans divers domaines, de courants globalisants et absolutistes, de tendances uniformisantes et centralisatrices - de méditer cette singularité et cette pluralité du Dieu vivant. Il est le Dieu de l'unité aussi bien que le Dieu de la diversité. Et cela s'oppose à tous les totalitarismes, quelle que soit leur nature, à toutes les vues trop réductrices, à toutes les schématisations trop dures. Nous aurons l'occasion, si vous le voulez bien, d'en reparler encore dimanche prochain. Je conclus provisoirement en reprenant cette triple expression qui tente de dire aussi bien que possible quelque chose du mystère de ce Dieu singulier et pluriel, ce Dieu si riche et surprenant : le Père, Dieu au-dessus de nous, le Fils, Dieu avec nous (Emmanuel) et l'Esprit, Dieu en nous.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jürg Brunner
Musique
Choeur de l'église méthodiste d'Utzwil