"Je me tiens à la porte et je frappe.
Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi (ou je prendrai la Cène avec lui et lui avec moi)." Apocalypse 3 / 20
Chers Frères et Soeurs,
Tant la parabole du Grand Festin que cette lettre à l'église de Laodicée comportent à l'intérieur de la Bonne Nouvelle qu'elles proclament une mise en garde précise.
Cette mise en garde précise et dure - le Frère Marcel Durrer l'a bien fait remarquer dans son analyse - et qui nous choque même tant dans le "aucun de ceux que j'avais invités ne participera au repas" du Maître dans la parabole, que le "parce que tu es tiède, je te vomis" prononcé par l'Amen à l'ange de l'église de Laodicée, qui toutes deux nous paraissent comme antiévangéliques si on les sort de leur contexte et si on n'écoute qu'elles, cette mise en garde n'a pas pour but de restreindre la Bonne Nouvelle, de la limiter, d'en atténuer l'effet, mais de faire en sorte que personne, si possible, ne passe bêtement à côté.
La Grâce de Dieu est pour tout le monde : toutes les femmes sont ses filles qu'Il aime et tous les hommes sont les fils qu'Il chérit, et Il veut toutes et tous les sauver, mais Dieu connaît ses filles et ses fils et Il sait que parce que certaines et d'aucuns ont reçu dans ce monde déjà des avantages incontestables, elles courent le risque et il se pourrait bien qu'ils manquent leur vocation, qu'ils ratent l'invitation.
Le peintre et vitrailler Ernest Bieler, qui a fait les trois grandes verrières sud de notre église, avec pour sujets "la Foi, l'Espérance et la Charité ou l'Amour", ne s'y est pas trompé, qui a choisi la parabole du grand festin, avec ses aveugles, ses boiteux, ses estropiés, ses paumés et tous ses marginaux pour illustrer le thème de l'Amour de Dieu qui fait grâce à toutes et à tous, même aux riches. Quand bien même les riches, il faut que Dieu les avertisse et les tance parce que la puissance de l'Argent est considérables et les certitudes qu'il donne puissantes. Paroissiens de Saint-François, nous admirons les vertus du Poverello et la Prière de Frère François - ou en tous cas qui lui est attribuée - nous semble magnifique, et pourtant, regardant autour de la Place où est notre église, nous nous rassurons des certitudes matérielles que nous apportent les nombreux établissements bancaires qui l'entourent…
La description du Laodicéen que donne l'Amen dans la lettre qu'il dicte à l'ange brosse de nous un portrait assez ressemblant. Tu te crois riche, parce que tu as de l'argent… mais ce n'est pas la vraie richesse. Tu te crois vêtu parce que tu es habillé chez de bons tailleurs, mais tu ne te vois pas véritablement dans ta nudité et ta misère, parce que ta vue n'est pas bonne… Dieu qui veut sauver tout le monde, veut aussi sauver les riches c'est pour cela qu'avec rudesse Il les avertit dans ces textes.
"Je me tiens à la porte et je frappe"
Ce qui frappe dans l'attitude du Christ portant la Bonne Nouvelle c'est l’infini respect qu'Il a de celui auquel il espère s'adresser.
Car le Christ n'entre pas d'autorité chez l'homme. Si quelques textes bibliques montrent la saisie de l'homme par Dieu, comme Jérémie 20/7 ("Eternel, tu m'as saisi et tu m'as vaincu") ou la façon dont l'apôtre Paul parle de sa conversion sur le chemin de Damas, ici et dans la plupart des textes évangéliques, nous voyons le Christ être dans l'attente de l'homme, dans le respect entier et presque absurde de sa totale liberté.
Le Christ dit en quelque sorte "Je suis là, derrière ta porte, je t'attends. Je signale juste ma présence en frappant pour que tu entendes et prennes conscience qu'on te demande. Mais peut-être n'es-tu pas là ? ou, après une journée chargée et énervante n'as-tu pas envie de voir quelqu'un. Tu dis en toi-même "La Paix, qu'on me fiche la paix". Je ne te dérange pas… J'attends le moment favorable.
Prenons bien conscience, Frères et Soeurs, que c'est non seulement une image, un symbole, mais la réalité de l'approche que Dieu fait de chacun de nous, pour nous atteindre, pour nous interpeller, pour commencer un dialogue.
Dans chacune de nos journées, nous voyons des signes divers, nous recevons des impressions de la vie même que nous vivons et des événements auxquels nous sommes mêlés, des rencontres que nous faisons d'autres personnes, d'autres problèmes.
C'est à travers tout cela que se concrétise ce que dit notre texte "Je me tiens à la porte et je frappe". Ce heurt de Jésus ce sera aussi bien une fleur inattendue, un chant d'oiseau, qu'une mauvaise nouvelle, la mort d'un ami ou d'un inconnu, mais qui fait même dire au plus éloigné de la foi et de Dieu, "mon Dieu".
"Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi" ou comme dit pour nous mettre en demeure de réfléchir le texte du livret préparé pour cette semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens "je prendrai la Cène avec lui et lui avec moi".
Une Sainte Cène, une eucharistie. Et vous paroissiens qui êtes ici vous voyez bien que la Table de communion est vide, rien n'y a été préparé, ni pain ni vin. Ainsi, après avoir parlé du Grand Festin et de son invitation à toutes et à tous et de la Cène avec Jésus en personne, nous n'aurons rien à partager ensemble, si ce n'est nos lectures, nos prières et nos chants, mais nous ne mangerons pas ensemble, nous ne prendrons pas en commun le repas du Seigneur.
Vous le savez bien, c'est pour l'instant impossible en raison de certaines directives ecclésiastiques romaines, c'est peut-être bizarre, c'est surtout triste, parce que nous en avons envie mais nous en reparlerons tout à l'heure en conclusion, parce qu'il faut d'abord qu'en suivant notre texte nous découvrions le miracle que Dieu propose : une communion intime et personnelle, un repas en tête-à-tête avec le Christ Jésus.
Si la Bible nous parle dans l'Ancien Testament du choix et de l'élection du peuple juif, puis du salut de l'ensemble du monde au travers de ce nouveau peuple qu'est l'Eglise, assemblée des fidèles, le mode de communication habituelle de Dieu est l'interpellation d'une personne et le dialogue avec elle.
Jésus s'est bien adressé à des foules, qu'il comparait à des troupeaux sans berger, mais c'était d'un promontoire, d'une colline ou d'un bateau, mais ensuite il s'adressait à tel ou tel en particulier, et quand il guérissait, même dix aveugles, c'est à chacun individuellement qu'il ouvrait les yeux et accordait sa bénédiction personnelle.
Si nous nous laissons interpeller par le Christ frappant d'une façon ou d'une autre à la porte de notre indifférence ou de notre solitude, alors nous approchons de ce grand miracle qu'est la rencontre personnelle que Dieu fait de l'un ou de l'autre d'entre nous et qui est comme un repas en tête-à-tête.
Vous êtes seul dans votre cuisine, ou seul à une table de restaurant dans la foule des clients anonymes et parce qu'à ce moment vous vous laisserez appeler par Dieu, le pain que vous mangerez et que vous romprez vous-même vous paraîtra celui qu'Il vous donne. Il se pourra même qu'il n'y ait comme aujourd'hui rien à manger, mais parce que vous serez ouvert au Christ, alors dans votre esprit, votre émotion, votre intelligence ou votre sensibilité, Il entrera pour vous, pour être avec vous.
Aujourd'hui, nous vivons une civilisation du spectacle. Tout doit être spectaculaire, étonnant, déconcertant. Seul le sensationnel fait recette et seul il fait monter le taux d'audience, radiophonique ou télévisuel, le fameux audimat. Je crois que Dieu se moque et du sensationnel et de l'audimat. Quand il a donné son Fils au monde, c'était dans une étable ou sur une croix de condamnation.
L'église, dans sa direction romaine, a raison de ne pas vouloir transformer la Cène en spectacle. S'il est tout à fait normal et bien que des communautés tant de catholiques et de protestants qui cherchent ensemble prennent à l'occasion ensemble le repas du Seigneur, il serait non seulement déraisonnable, mais faux de le faire à la radio ou à la TV comme un scoop sensass. Alors quand sera-ce que catholiques et protestant prendront la Cène ensemble ?
Je crois qu'il faut que d’abord nous soyons, chacune et chacun, à l'écoute de l'Autre et des autres. Quand le Christ aura frappé à notre porte et que nous lui aurons répondu, lorsque nous aurons pris avec Lui ce repas en tête-à-tête, nous pourrons le prendre ensemble et plus aucune subtilité théologique ou philosophique qui aujourd'hui fait obstacle ne tiendra debout. Lorsque nous nous serons débarrassés de cette langue de vipère qui si souvent anéantit notre fraternité théorique, alors non seulement nous nous accueillerons vraiment catholiques, orthodoxes, anglicans et protestants comme des frères, mais suivant l'exemple pratique de mère Sofia, nous nous accueillerons entre paumés et riches pour un seul Grand Festin…
"Je me tiens à la porte et je frappe"
ENTRE, SEIGNEUR JESUS. ENTRE CHEZ MOI.
Amen.