Tu aimeras Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme

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De tout ton cœur, de toute ton âme…

Ce matin, j'aimerais méditer en votre compagnie la seconde parole du sommaire de la loi : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur…
Dimanche dernier nous avons vu que l'unité de Dieu nous donnait notre propre unité humaine, que nous avions tout à la fois à découvrir et à conquérir. Maintenant il nous appartient d'aimer Dieu avec les diverses dimensions de notre personnalité : le cœur, l'âme, la pensée et la force.

Pour Jésus ce commandement, qui vient du Deutéronome, est l'un des plus grands; selon son interlocuteur il l'emporte sur les devoirs rituels de la religion, pourtant exigeants en ce temps-là !

Avançons pas à pas, sans nous presser.

Tu aimeras… D'abord il s'agit d'aimer. Aimer, dans la Bible est une forme de connaissance particulière — une connaissance par sympathie, celle-là même que Paul souhaite aux Ephésiens : Que Dieu illumine les yeux de votre cœur !

Nous voilà prévenu : On ne connaît Dieu que par l'amour.
On peut être un savant extrêmement érudit, et n'avoir jamais eu accès au "tu aimeras" dont il est ici question; en sens inverse, on peut n'avoir fait aucune étude et éprouver spontanément la joie qui ne s'éteint pas.
Jésus n'affirme-t-il pas que les enfants en savent plus long sur Dieu que bien des spécialistes autorisés ?
"Je me tourne vers l'Intelligence du Père Tout Puissant" répétait le peintre Cézanne, qui comme beaucoup d'artistes avait gardé intacte une part de l'enfance.

***
Tu aimeras de tout ton cœur… Le mot n'a ici rien d'anatomique. Chez les Anciens, le cœur désigne le centre de l'individu, son originalité, ce qui fait qu'on est qui on est et pas quelqu'un d'autre. Dans les représentations romanes, gothiques ou byzantines du Christ en majesté, ce centre est parfois figuré par les plis circulaires ou en spirale de la tunique au niveau du ventre.

Aimer Dieu de tout son cœur c'est essayer de vivre au plus près de cette originalité qu'Il nous a donné. Vivre généreusement, comme on dit du soleil qu'il est généreux parce qu'il déverse sa lumière sans compter. Pour Jésus le but de la vie n'est pas de s'économiser : "celui qui veut garder sa vie la perdra " prévient-il — c'est-à-dire qui veut conserver sa vie pour lui-même passera à côté de l'essentiel.
Au contraire : le but de la vie est de donner ce qu'on est.

Tous les êtres te louent ! s'exclame le psalmiste. Comprenons : toute créature loue Dieu par ce qu'elle est. C'est sa nature et son destin. Un poème d'Angélus Silésius lui fait écho :
La rose est sans pourquoi
Elle fleurit parce qu'elle fleurit
Elle ne prête pas attention à elle-même
Elle ne se demande si on la voit

Alors, comme la rose fleurit, fais confiance à ce que tu es profondément. Comme Dieu t'a fait, tâche de vivre. C'est ton destin et ta nature. Laisse ton être agir : ce que tu es vaut tellement plus que ce que tu as !

***
Maintenant, l'âme. Tu aimeras de toute ton âme…
Peut-être, au siècle des ordinateurs et des machines dites intelligentes, vous paraîtrai-je désuet en vous parlant de l'âme.
Et pourtant ! L'âme est justement ce que n'atteindront jamais les machines intelligentes les plus perfectionnées : l'image de l'unité divine imprimée en nous. Calvin parle, en sa jolie langue, "d'un je ne sais quoi de divin engravé en nous" — l'être humain est une gravure dont Dieu est l'auteur.
Dans les êtres de poussière que nous sommes s'allume la flamme qui relie à l'Infini.
Lorsque la Bible parle de l'âme, elle parle de la jonction en nous du temps et de l'éternité, de l'étincelle de lumière divine présente en chacun.

Je l'ai souligné dans ma méditation précédente : la plus belle expérience qu'on puisse faire ici-bas est de se laisser toucher par l'Un.
Aujourd'hui j'ajoute : c'est par l'âme que l'Un nous touche.
C'est par l'âme qu'on fait l'expérience de Dieu.
Dans cette condition humaine parfois si décourageante et si dure, l'âme est la porte par laquelle l'ange de l'infini vient nous visiter.

Bien sûr, il est à peu près impossible de traduire avec des mots ces visites-là.
Bernard de Clairvaux, qui fut sans doute l'un des prédicateurs médiévaux les plus accomplis, s'arrête soudain au beau milieu d'un sermon et, sans que ce soit un effet oratoire, confie à ses auditeurs : "J'avoue que moi aussi, le Verbe — c'est-à-dire l'Esprit divin — m'a touché". Il essaie d'expliquer mais n'y parvient pas. Les mots vagabonds s'envolent et s'éloignent, incapables d'atteindre à l'essentiel. Cette expérience d'aimer Dieu de toute son âme, je la dirai mystique, au sens primitif du terme : muette. Elle est faite d'extase silencieuse.
Il n'en reste pas moins que cet effleurement silencieux aura après coup transformé notre vie.
***

Troisième direction, la pensée.
Elle n'est pas mentionnée dans le Deutéronome. Il est possible que ce soit un rajout de Jésus. En tous cas la pensée équilibre à merveille l'édifice.
Aimer Dieu ne relève pas seulement de la générosité et de l'abandon mystique — mais encore d'un sain recours à la pensée.
On ne peut pas se contenter de l'émotion pure; il faut encore de l'esprit critique et du bon sens.
Tu aimeras Dieu de tout ton esprit critique et de tout ton bon sens : voilà une recommandation d'une singulière actualité, n'est-il pas vrai ?

En une époque où la barre de l'an 2000 exerce sa fascination sur beaucoup d'esprits, où des écrivains sont menacés au nom de Dieu, où des attentats sont commis au nom de Dieu, où des hommes politiques sont éliminés au nom de Dieu, où les membres d'une certaine secte se suicident au nom de leurs croyances, on admettra sans peine que réfléchir un peu avant de proclamer "Dieu m'a dit !" n'est pas superflu.
Entre les choses de Dieu et les dérapages humains, un discernement s'impose…
Il peut venir à l'esprit des croyants des idées inconciliables avec celles de Dieu. La foi n'est pas une garantie de ne jamais se tromper. Elle doit être confrontée à la pensée.
Tu aimeras ton Dieu de toute ta pensée. Traduisons : tu résisteras à tes pulsions de mort et à ta violence. Tu auras la lucidité de dire non à ce qui si aisément se fait passer comme venant de Dieu mais vient en réalité de ton côté obscur.
Le fanatisme religieux, quelle que soit sa forme, se nourrit d'irresponsabilité. Il est incapable de faire le tri. Il prétend aimer Dieu absolument mais n'obéit qu'à des motifs troubles. Au fond, il est une défaite majeure de la pensée.

Mais l'appel à la critique constructive que nous adresse le sommaire de la loi vaut aussi pour un autre domaine — moins dramatique mais combien vital : la pensée permet de se renouveler.
Je m'explique.
Dans le Premier Testament, on rencontre souvent l'expression : le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. La tradition juive, avec son acuité coutumière, s'est demandé pourquoi la préposition « de » est répétée trois fois, et pourquoi il n'est pas écrit plus sobrement : le Dieu d'Abraham, Isaac, et Jacob.
Explication : on ne doit jamais se contenter des acquis du culte de nos prédécesseurs; chaque génération doit réexaminer sa relation avec le Dieu vivant.

Ce petit commentaire illustre mon propos.
Périodiquement le discours religieux se referme, en s'officialisant. La piété se fige. Notre façon de parler de Dieu s'installe dans le conformisme et la routine. A la longue, on finit par "éteindre l'Esprit" comme dit l'apôtre.
Et périodiquement, il faut se livrer à une révision générale.
Qu'a fait d'autre Jésus en son temps ?
Par exemple, qui peut nier que nos Eglises vénérables ont un urgent besoin de trouver un nouveau souffle ? De créer un autre langage qui rétablisse le contact avec le monde contemporain ? D'élaborer une vision globale, positive et audacieuse de la vie dont les hommes et les femmes d'aujourd'hui ont besoin ?
En même temps, restons confiants : ce langage, cette vision — on les trouvera.
Si Jésus nous demande d'aimer Dieu par la pensée, c'est que nous pouvons compter sur elle.

***

Enfin la force.
Cela évoque le mot de l'Ecclésiaste : "Tout ce que ta main trouve à faire avec la force que tu as, fais-le".
Paradoxe : l'homme qui se sent souvent faible et perdu dans l'Univers a de la force en lui. Elle est là, il ne faut pas la négliger. C'est une bonne nouvelle. Il y a en toi une force qui te permet d'entreprendre une œuvre et de faire quelque chose de ta vie.
Ainsi la vie est d'abord action, projet, chantier. Une vie dont la force ne trouve pas à s'investir est contrariée : ceux qui traversent l'épreuve actuelle du chômage et de ses effets - pas seulement matériels - le savent, hélas.
Seulement attention : il ne s'agit que de ta force. Elle a ses limites. Il ne sert à rien d'entreprendre une œuvre au-delà de ta force.

Le danger, c'est la démesure. Se mettre sur les épaules des fardeaux tellement lourds qu'ils finissent par nous écraser. Le colloque de Davos, qui s'est déroulé ces jours, a examiné cette nouvelle société dans laquelle nous entrons : la société numérique. D'une puissance fantastique — presque sans limites.
Mais ne sera-t-elle pas au-delà de nos forces ?
"A quoi sert de gagner le monde, dit Jésus, si l'on doit y perdre son âme"?

Tu aimeras ton Dieu de toute ta force : agis, Dieu y prend plaisir, il t'a fait pour cela. Mais j'ajoute : en sachant que tu ne te coucheras pas le soir avec la satisfaction du devoir accompli.
Il est dans la nature de l'œuvre humaine d'être inachevée.
Valéry comparait la perfection à la flamme d'une bougie : nous traversons seulement la perfection, comme la main impunément tranche la flamme. Mais la flamme est inhabitable.
Alors agis, mais sans te détruire.

Le Livre d'Heures d'un Père latin du Ve siècle commence ainsi : voici que Dieu fait approcher de moi les jours voisins de la vieillesse. Qu'ai-je fait d'utile, moi dans un si long espace de temps ?

Quand à notre tour, l'heure venue, nous nous poserons cette grave question, jetant un regard sur le chemin parcouru, puissions-nous répondre : je suis allé, avec la force que j'avais. Et si tout ce que j'ai accompli doit maintenant s'effacer, car tout est comme le vent, du moins ai-je été, par la grâce de Dieu, enfanté à moi-même.

De tout ton cœur, de toute ton âme…

Ce matin j'aimerais méditer en votre compagnie la seconde parole du sommaire de la loi : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur…
Dimanche dernier nous avons vu que l'unité de Dieu nous donnait notre propre unité humaine, que nous avions tout à la fois à découvrir et à conquérir. Maintenant il nous appartient d'aimer Dieu avec les diverses dimensions de notre personnalité : le cœur, l'âme, la pensée et la force.

Pour Jésus ce commandement, qui vient du Deutéronome, est l'un des plus grands; selon son interlocuteur il l'emporte sur les devoirs rituels de la religion, pourtant exigeants en ce temps-là !

Avançons pas à pas, sans nous presser.

Tu aimeras… D'abord il s'agit d'aimer. Aimer, dans la Bible est une forme de connaissance particulière — une connaissance par sympathie, celle-là même que Paul souhaite aux Ephésiens : Que Dieu illumine les yeux de votre cœur !

Nous voilà prévenu : On ne connaît Dieu que par l'amour.
On peut être un savant extrêmement érudit, et n'avoir jamais eu accès au "tu aimeras" dont il est ici question; en sens inverse, on peut n'avoir fait aucune étude et éprouver spontanément la joie qui ne s'éteint pas.
Jésus n'affirme-t-il pas que les enfants en savent plus long sur Dieu que bien des spécialistes autorisés ?
"Je me tourne vers l'Intelligence du Père Tout Puissant" répétait le peintre Cézanne, qui comme beaucoup d'artistes avait gardé intacte une part de l'enfance.

***
Tu aimeras de tout ton cœur… Le mot n'a ici rien d'anatomique. Chez les Anciens, le cœur désigne le centre de l'individu, son originalité, ce qui fait qu'on est qui on est et pas quelqu'un d'autre. Dans les représentations romanes, gothiques ou byzantines du Christ en majesté, ce centre est parfois figuré par les plis circulaires ou en spirale de la tunique au niveau du ventre.

Aimer Dieu de tout son cœur c'est essayer de vivre au plus près de cette originalité qu'Il nous a donné. vivre généreusement comme on dit du soleil qu'il est généreux parce qu'il déverse sa lumière sans compter. Pour Jésus le but de la vie n'est pas de s'économiser : "celui qui veut garder sa vie la perdra " prévient-il — c'est-à-dire qui veut conserver sa vie pour lui-même passera à côté de l'essentiel.
Au contraire : le but de la vie est de donner ce qu'on est.

Tous les êtres te louent ! s'exclame le psalmiste. Comprenons : toute créature loue Dieu par ce qu'elle est. C'est sa nature et son destin. Un poème d'Angélus Silésius lui fait écho :
La rose est sans pourquoi
Elle fleurit parce qu'elle fleurit
Elle ne prête pas attention à elle-même
Elle ne se demande si on la voit

Alors, comme la rose fleurit, fais confiance à ce que tu es profondément. Comme Dieu t'a fait, tâche de vivre. C'est ton destin et ta nature. Laisse ton être agir : ce que tu es vaut tellement plus que ce que tu as !

***
Maintenant, l'âme. Tu aimeras de toute ton âme…
Peut-être, au siècle des ordinateurs et des machines dites intelligentes, vous paraîtrai-je désuet en vous parlant de l'âme.
Et pourtant ! L'âme est justement ce que n'atteindront jamais les machines intelligentes les plus perfectionnées : l'image de l'unité divine imprimée en nous. Calvin parle, en sa jolie langue, "d'un je ne sais quoi de divin engravé en nous" — l'être humain est une gravure dont Dieu est l'auteur.
Dans les êtres de poussière que nous sommes s'allume la flamme qui relie à l'Infini.
Lorsque la Bible parle de l'âme, elle parle de la jonction en nous du temps et de l'éternité, de l'étincelle de lumière divine présente en chacun.

Je l'ai souligné dans ma méditation précédente : la plus belle expérience qu'on puisse faire ici-bas est de se laisser toucher par l'Un.
Aujourd'hui j'ajoute : c'est par l'âme que l'Un nous touche.
C'est par l'âme qu'on fait l'expérience de Dieu.
Dans cette condition humaine parfois si décourageante et si dure, l'âme est la porte par laquelle l'ange de l'infini vient nous visiter.

Bien sûr, il est à peu près impossible de traduire avec des mots ces visites-là.
Bernard de Clairvaux, qui fut sans doute l'un des prédicateurs médiévaux les plus accomplis, s'arrête soudain au beau milieu d'un sermon et, sans que ce soit un effet oratoire, confie à ses auditeurs : "J'avoue que moi aussi, le Verbe — c'est-à-dire l'Esprit divin — m'a touché". Il essaie d'expliquer mais n'y parvient pas. Les mots vagabonds s'envolent et s'éloignent, incapables d'atteindre à l'essentiel. Cette expérience d'aimer Dieu de toute son âme, je la dirai mystique, au sens primitif du terme : muette. Elle est faite d'extase silencieuse.
Il n'en reste pas moins que cet effleurement silencieux aura après coup transformé notre vie.
***

Troisième direction, la pensée.
Elle n'est pas mentionnée dans le Deutéronome. Il est possible que ce soit un rajout de Jésus. En tous cas la pensée équilibre à merveille l'édifice.
Aimer Dieu ne relève pas seulement de la générosité et de l'abandon mystique — mais encore d'un sain recours à la pensée.
On ne peut pas se contenter de l'émotion pure; il faut encore de l'esprit critique et du bon sens.
Tu aimeras Dieu de tout ton esprit critique et de tout ton bon sens : voilà une recommandation d'une singulière actualité, n'est-il pas vrai ?

En une époque où la barre de l'an 2000 exerce sa fascination sur beaucoup d'esprits, où des écrivains sont menacés au nom de Dieu, où des attentats sont commis au nom de Dieu, où des hommes politiques sont éliminés au nom de Dieu, où les membres d'une certaine secte se suicident au nom de leurs croyances, on admettra sans peine que réfléchir un peu avant de proclamer "Dieu m'a dit !" n'est pas superflu.
Entre les choses de Dieu et les dérapages humains, un discernement s'impose…
Il peut venir à l'esprit des croyants des idées inconciliables avec celles de Dieu. La foi n'est pas une garantie de ne jamais se tromper. Elle doit être confrontée à la pensée.
Tu aimeras ton Dieu de toute ta pensée. Traduisons : tu résisteras à tes pulsions de mort et à ta violence. Tu auras la lucidité de dire non à ce qui si aisément se fait passer comme venant de Dieu mais vient en réalité de ton côté obscur.
Le fanatisme religieux, quelle que soit sa forme, se nourrit d'irresponsabilité. Il est incapable de faire le tri. Il prétend aimer Dieu absolument mais n'obéit qu'à des motifs troubles. Au fond il est une défaite majeure de la pensée.

Mais l'appel à la critique constructive que nous adresse le sommaire de la loi vaut aussi pour un autre domaine — moins dramatique mais combien vital : la pensée permet de se renouveler.
Je m'explique.
Dans le Premier Testament, on rencontre souvent l'expression : le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. La tradition juive, avec son acuité coutumière, s'est demandé pourquoi la préposition de est répétée trois fois, et pourquoi il n'est pas écrit plus sobrement : le Dieu d'Abraham, Isaac, et Jacob.
Explication : on ne doit jamais se contenter des acquis du culte de nos prédécesseurs; chaque génération doit réexaminer sa relation avec le Dieu vivant.

Ce petit commentaire illustre mon propos.
Périodiquement le discours religieux se referme, en s'officialisant. La piété se fige. Notre façon de parler de Dieu s'installe dans le conformisme et la routine. A la longue on finit par "éteindre l'Esprit" comme dit l'apôtre.
Et périodiquement, il faut se livrer à une révision générale.
Qu'a fait d'autre Jésus en son temps ?
Par exemple qui peut nier que nos Eglises vénérables ont un urgent besoin de trouver un nouveau souffle ? De créer un autre langage, qui rétablisse le contact avec le monde contemporain ? D'élaborer une vision globale, positive et audacieuse de la vie dont les hommes et les femmes d'aujourd'hui ont besoin ?
En même temps, restons confiants : ce langage, cette vision — on les trouvera.
Si Jésus nous demande d'aimer Dieu par la pensée, c'est que nous pouvons compter sur elle.

***

Enfin la force.
Cela évoque le mot de l'Ecclésiaste : "Tout ce que ta main trouve à faire avec la force que tu as, fais-le".
Paradoxe : l'homme qui se sent souvent faible et perdu dans l'Univers a de la force en lui. Elle est là, il ne faut pas la négliger. C'est une bonne nouvelle. Il y a en toi une force qui te permet d'entreprendre une œuvre et de faire quelque chose de ta vie.
Ainsi la vie est d'abord action, projet, chantier. Une vie dont la force ne trouve pas à s'investir est contrariée : ceux qui traversent l'épreuve actuelle du chômage et de ses effets pas seulement matériels, le savent, hélas.
Seulement attention : il ne s'agit que de ta force. Elle a ses limites. Il ne sert à rien d'entreprendre une œuvre au-delà de ta force.

Le danger, c'est la démesure. Se mettre sur les épaules des fardeaux tellement lourds qu'ils finissent par nous écraser. Le colloque de Davos, qui s'est déroulé ces jours, a examiné cette nouvelle société dans laquelle nous entrons : la société numérique. D'une puissance fantastique — presque sans limites.
Mais ne sera-t-elle pas au-delà de nos forces ?
"A quoi sert de gagner le monde, dit Jésus, si l'on doit y perdre son âme"?

Tu aimeras ton Dieu de toute ta force : Agis, Dieu y prend plaisir, il t'a fait pour cela. Mais j'ajoute : en sachant que tu ne te coucheras pas le soir avec la satisfaction du devoir accompli.
Il est dans la nature de l'œuvre humaine d'être inachevée.
Valéry comparait la perfection à la flamme d'une bougie : nous traversons seulement la perfection, comme la main impunément tranche la flamme. Mais la flamme est inhabitable.
Alors agis, mais sans te détruire.

Le Livre d'Heures d'un Père latin du Vème siècle commence ainsi : voici que Dieu fait approcher de moi les jours voisins de la vieillesse. Qu'ai-je fait d'utile, moi dans un si long espace de temps ?

Quand à notre tour, l'heure venue, nous nous poserons cette grave question, jetant un regard sur le chemin parcouru, puissions-nous répondre : je suis allé, avec la force que j'avais. Et si tout ce que j'ai accompli doit maintenant s'effacer, car tout est comme le vent, du moins ai-je été, par la grâce de Dieu, enfanté à moi-même.

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Desbaillet
Musique