Dans l'espérance de Pâques : fidèles à nos racines et ouverts à l'autre

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Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien, de ce jour, de chaque jour !

Lorsque nous jetons un regard aujourd'hui sur le monde tel que les nouvelles nous en renvoient quotidiennement l'image, nous n'avons pas particulièrement lieu d'être enchantés. Car le moins qu'on puisse dire est qu'il nous offre un spectacle dramatiquement contrasté.

D'un côté se dessine un mouvement de rassemblement général des peuples dû à l'accélération vertigineuse des moyens de transport et de communication qui multiplient et démultiplient les occasions de contact et d'échange; un mouvement de convergence qui ouvre devant nous la perspective et la vision d'une société globale dans le respect des différences et la pluralité des couleurs comme des cultures qui font la richesse de l'humanité; un mouvement non vers l'unité — mot dangereux dans l'Eglise comme dans l'Etat -, mais vers l'union puisque, ainsi que Saint-Augustin l'a proclamé, "Dieu a fait le monde multiple et divers sans être ni plus grand ni plus petit". En moins d'un siècle, l'humanité est passée de la diligence à l'avion supersonique. De l'autre nous assistons à la multiplication des ruptures et des conflits qui mettent en danger la paix non seulement en certaines régions du globe, mais de l'espèce humaine prise dans son ensemble.

Comme la terre en poursuivant sa course dans l'espace oscille sans cesse entre le jour et la nuit, notre espèce oscille entre l'harmonie et le chaos, l'opulence sans mesure et la misère sans espoir, la surabondance et le manque du nécessaire.
Face à cette situation, le spectacle de cette assistance réunie ce matin dans cette cathédrale de Genève où, depuis des siècles, des êtres humains sont venus adorer Dieu selon la conscience et non selon la consigne, dans cette cité qui n'est pas devenue internationale, mais qui est née telle en tant que lieu de rencontre et d'échange de courants humains venus de tous les horizons, a quelque chose d'enchanteur. Issus de plusieurs pays et familles spirituelles, nous formons, en cet instant, face à l'avenir "un coeur et une âme".

Pain pour le prochain ! Ce programme me rappelle la quatrième requête de l'oraison dominicale. "Donne-nous aujourd'hui notre pain… quotidien", selon les anciennes versions, "de ce jour" selon la version oecuménique, "de chaque jour", "nécessaire", "de tous les jours" voire "pour toujours" selon d'autres interprétations.
En fait, que demander ?
Nul mieux que Martin Luther, dont nous célébrons cette année le quatre cent cinquantième anniversaire de sa mort, ne l'a mieux expliqué. Dans son catéchisme, paru en 1531, il écrit : "Was heisst täglisches Brot ?" (Que signifie le pain quotidien ?) "Antwort" (réponse) : "Alles was zur leibe Narung und Notwendigkeit gehört" (tout ce qui appartient à la nourriture et à la nécessité corporelle) "als trinken, essen" (comme le boire et le manger). A quoi il ajoute : "des habits, une maison, un foyer, un champ, de l'argent, un gouvernement crédible, le beau temps, la paix, la santé, l'éducation, de bons amis, des voisins dignes de confiance "und das Gleiche" (et toutes choses semblables)…

"Le pain quotidien" est donc une expression qui, en rhétorique française, équivaut à une figure désignée sous le nom de métonymie qui consiste à prendre la partie pour le tout comme lorsqu'on dit qu'il y a des centaines d'âmes dans cette assemblée alors qu'il y a aussi des centaines de corps…
Que Dieu nous donne donc tout ce qui est nécessaire non seulement pour ne pas mourir, mais pour vivre jour après jour, d'aujourd'hui à demain au plein sens du terme ! Ah ! dira-t-on, voilà une requête bien helvétique puisque nous, Suisses, nous appartenons à ce petit nombre d'élus, habitants privilégiés d'un pays sans problèmes où le pain quotidien est descendu miraculeusement du ciel avec tous les autres biens indispensables à la vie dès l'origine !

Détrompez-vous ! En Suisse, pays vieux de plus de sept siècles, le pain quotidien a longtemps consisté à devoir travailler dur pour cultiver un sol ingrat sous un ciel souvent hostile. Mais aujourd'hui que nous moissonnons les fruits de ce labeur, nous nous reconnaissons le devoir de penser aux êtres humains démunis en plusieurs régions du globe de manière à exaucer la prière que Dieu nous adresse de les aider à vivre.
Car, demander à Dieu, source de toute vie, aujourd'hui, le pain indispensable c'est aussi lui demander l'énergie propre à alimenter notre ardeur au travail, notre capacité d'initiative, notre fidélité dans la foi, notre courage dans l'épreuve et notre générosité dans l'action de manière à illustrer ces paroles d'un poète contemporain :

Il est dans le coeur de celui qui pardonne
Dans la main de celui qui donne
Et dans le lac limpide et bleu
Où l'homme se penche et s'étonne
Que son image ressemble à Dieu.

Amen.