Banquets de joie et de larmes

Cathédrale Saint-Pierre Genève (©DR)

Écouter le culte :

La falaise est baignée de soleil.
La pierre blanche irradie.
Au-dessous, la mer frisotte de douces écumes.
Onze mètres entre le promontoire de pierre et la surface de l'onde.
L'eau translucide et abyssale apparaît comme une invitation au vertige.
Temps calme sur l'horizon
et tempête intérieure.

Autour, les amis attendent le saut.
Tous et toutes l'ont déjà fait, enfin disent-ils.
Respirer.
Fermer les yeux.
Se jeter dans le vide.

Des moments de décisions petites ou grandes pour se jeter dans l’inconnu sans savoir ce qui nous attend ou en le sachant au contraire trop…

Les premières fois
Premiers mots
Premiers pas
Première fois où j'arrive dans la cour de l'école
Première fois où je pousse la porte de la salle de sport.

Les grandes décisions-questions :
Est-ce que je réponds à un amour ?

Grandes décisions heureuses ou moins heureuses :
Est-ce que je me décide pour une opération qui doit m’apporter du soulagement, mais dont je connais que trop les dangers ?

Temps de décision où notre vie risque radicalement de changer.

Et Dieu.
Et Dieu au milieu de ces décisions, où le plaçons-nous ?

Chacune et chacun donne sa réponse à cette question. Il n'y en a pas de juste, de plus valable. Il n'y a que des réponses personnelles, aussi diverses que variées.

Certains, certaines entendent parfaitement Sa voix et la suivent à la lettre.

D’autres interprètent ce qui les entoure comme des signes, des balises indiquant le bon chemin.

D’autres encore se désolent de ne rien entendre malgré leurs appels incessants.

D’autres laissent leur vie aller au hasard ou parlent du destin.

Certaines et certains, la plupart dans notre société, se passent de Dieu et disent guider leur vie par eux-mêmes.

D’autres sentent dans leur vie une présence discrète. « Un message m'est parvenu comme en secret, mon oreille a perçu un très léger murmure », dit Job. Une absence, mystérieuse présence qui guide la vie.

Une présence discrète cachée qu'éprouvent aussi les deux héros du livre biblique d’Esther : Mardochée et Esther. En effet, le texte ne rapporte aucune prière, aucun échange direct ou indirect de l’un des deux avec Dieu.                                      

Esther et Mardochée vivent dans un environnement aux accents terriblement contemporains, où les intrigues politiques se succèdent, où les puissants de ce monde évaluent la décision d'anéantir une partie de leurs sujets en raison de leur religion à la hauteur du manque à gagner dans leur imposition, un monde où le roi peut exhiber son épouse aux yeux de ses convives pour terminer un banquet trop arrosé.

Remontons le fil de l'histoire et observons l’évolution de Mardochée, conseiller du roi, et de sa nièce, la si belle Esther.

Une histoire qui se livre en trois banquets :

  • le banquet de la honte pour le roi qui vient d'être évoqué,
  • le banquet de la révélation,
  • le banquet de la joie.

Au début du livre, les deux passent sous silence leur identité juive et cela sourira à l’ascension d’Esther. Ils appliquent un silence avisé qui a permis à Esther d’escalader les marches du pouvoir jusqu’à devenir reine.

En effet, lors de ce premier banquet, le terme de beuverie conviendrait mieux. Le roi Xerxès, vexé que son épouse ne soit pas venue se présenter, la répudie et choisit Esther pour lui succéder.

Esther va vivre dans un milieu saugrenu. La cour de Perse est décrite comme oisive et festive. Un endroit où l’on aime boire plus que de raison, où les femmes sont considérées comme des trophées à exhiber. Le maître des lieux ne semble pas très recommandable non plus. C’est un jouisseur qui se laisse guider au gré des avis de courtisans intéressés à leurs propres profits. Pour résumer, cette cour n’est pas très adéquate pour une jeune orpheline belle comme le jour.

Esther va affronter tout ce qui lui arrive… en cachant son identité. Cela va plutôt bien lui réussir. Grâce à sa beauté, grâce son habileté, elle va arriver à se concilier la bienveillance du roi Xerxès et ainsi sauver son peuple.                                                                       

Jusqu’ici, tout va bien… enfin tout ne se passe pas si mal !

Comme dans toute bonne histoire, il faut un méchant : je vous présente Haman. Haman, conseiller véreux du roi, qui, par ses insinuations pernicieuses, déclenche un séisme pour le peuple juif du royaume.

Haman est l'archétype d'une autorité politique égoïste qui ne vise que son propre intérêt dans son action et ses conseils auprès du roi. À force de courbettes, Haman, fils de Hammedata l'Agaguite, est élevé et placé au-dessus de tous les princes de son rang.

Un de ses passe-temps est de voir défiler tout ce que la cour compte de dignitaires devant lui... dignitaires qui ont l'obligation de s'agenouiller devant lui. Tous le feront. Sauf Mardochée, dont le genou ne peut fléchir que devant Yahvé, son Dieu.

Haman est légèrement susceptible et prend très mal l'affaire. Il se remplit de fureur contre Mardochée. Faute de le voir s'agenouiller, il veut le faire mettre à terre. Et un des principes les plus simples à manipuler pour faire du tort à un adversaire reste de l'attaquer sur sa religion.

Alors Haman murmure à l'oreille de Xerxès : « Il y a un peuple à part. Ils sont partout, infiltrés parmi tous les peuples, dans toutes les provinces de ton royaume. Leurs lois les distinguent de tout peuple, et ils n'agissent pas selon les lois du roi. Il n'est pas dans ton intérêt de les laisser en repos. Si cela te semble bon, ô roi, signe leur perte, et je ferai peser dix mille talents d'argent par les fonctionnaires du royaume, pour les verser dans les coffres du roi. »

Haman est très doué pour manipuler le roi Xerxès, tellement sensible aux flatteries et à l'argent (il faut bien financer la ripaille !).

Mardochée est en grand danger, le peuple juif est en grand danger, et Esther, elle-même, est en grand danger.

Mardochée lui demande d'intervenir.

Esther est devant la décision.
Elle se retrouve au bord de la falaise.
Elle doit se jeter à l'eau...
Moment de grande décision.
Elle va se révéler.

Esther sait aussi parler au roi Xerxès, qui décidément, est très influençable. Esther invite le roi et le pernicieux Haman à un banquet.   

Entretemps, une nuit, le roi ne trouvant pas le sommeil, fait la lecture des Chroniques de son royaume. Chacun ses lectures ! Il s’aperçoit que Mardochée l'a sauvé d'un complot... et retournement, il demande à Haman d'honorer Mardochée ! L'arroseur arrosé !

Relisez le livre d'Esther, c'est un joyau.

Arrive donc le deuxième banquet du livre avec pour convives Xerxès et Haman. Le banquet de la révélation d'Esther dans une scène digne des plus grands films hollywoodiens : « L'adversaire, l'ennemi, c'est Haman, ce mauvais ! », dit la reine.

Alors Haman fut rempli d'effroi en face du roi et de la reine. Le roi, en fureur, quitta le banquet et sortit dans le jardin du palais. Haman restait là, implorant la reine Esther pour avoir la vie sauve, car il avait bien vu que le roi avait résolu son malheur.

Le roi revenait du jardin du palais à la salle du banquet au moment où Haman s'affalait sur le divan où se trouvait Esther. Le roi s'écria : « Et en plus, on fait violence à la reine en ma présence, dans cette maison ! ». Haman sera puni de pendaison.

Arrive le troisième banquet : le banquet de la joie pour la communauté juive revenue en grâce dans le royaume. Celui dont nous avons lu le récit. Le banquet de la joie qui devient un rituel, celui de Pourim, que le peuple juif devra effectuer chaque année.

Et Dieu dans tout cela… il reste caché.
Caché, comme Esther, qui porte si bien son prénom qui signifie « cachée ».

Caché.
Un Dieu caché.
Un Dieu qui n'empêche pas la peur.
Un Dieu qui laisse la responsabilité à ses créatures.
Un Dieu qui ne retient pas la violence.
Un Dieu qui n'arrête pas la fureur sur les innocent.es.
Un Dieu caché.

Le livre d'Esther et le silence de Dieu obligent alors à la confiance.

Confiance que Dieu est là.
Malgré la peur.
Malgré la souffrance.
Malgré l'absence.
Il est là.
Dans le silence.
Dans la joie.
Dans la communauté.
Il est là.

Invitation radicale à choisir la vie !

Amen.

Les repas, les banquets dans les textes bibliques sont de grands moments communautaires, particulièrement dans le livre d’Esther. Dans ce livre, où le nom de Dieu est absent, de grandes agapes célèbrent la puissance du roi ou la victoire du peuple juif grâce à l’habileté de la reine Esther. Dans chaque cas, il y a de la joie mais aussi tellement de larmes.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Umberto Salvagnin
Musique
Mathilde Gérard au hautbois